Cézanne et sa Sainte-Victoire
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Cézanne et sa Sainte-Victoire

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Peinte et dessinée près d'une centaine de fois, autant à l'huile qu'à l'aquarelle, plus qu'un simple sujet, la montagne Sainte-Victoire est devenue un personnage à part entière de l'œuvre de Paul Cézanne.

La montagne dans la ville

Si l'on se place d'un point de vue purement géologique, la montagne Sainte-Victoire est un atypique massif calcaire qui domine le plateau provençal, du pied d'Aix-en-Provence jusqu'à la frontière du Haut-Var. Culminant à 1011 mètres d'altitude, le mont fait timidement son apparition dans l'univers de la littérature et de la peinture seulement qu'à partir du XVIIIème siècle. Rares sont alors les auteurs et les artistes qui ont osé se pencher sur son cas. Jean-Pierre Papon en 1780, Walter Scott en 1824, voire Stendhal en 1837, l'ont évoqué du bout de leur plume. "Ce mont de la Victoire qui monte au ciel comme un autel" écrivait alors le poète Joachim Gasquet en 1897 dans Narcisse, roman philosophique et poétique

Loin d'être un lieu isolé, bien au contraire, Aix-en-Provence est un lieu de passage et de villégiature pour de nombreux artistes. Ils sont des dizaines, et pas des moindres, comme Victor Hugo ou Prosper Mérimée, à avoir rendu hommage aux rues et à l'atmosphère colorée de la ville aux mille fontaines. Ils ont scruté chaque médaillon de porte, caressé du bout des yeux les cariatides, le regard prisonnier de cette ville-musée. Au nom de cet intérêt sans pareil à l'égard d'une cité millénaire célèbre pour ce qu'elle avait été, aucun d'entre eux n'a levé les yeux, aucun d'entre eux n'a regardé assez loin. Pourtant, elle était là. A chaque coin de rue, elle est visible, accompagnant le promeneur à travers la ville. La Montagne Sainte-Victoire a toujours couvé du regard la campagne aixoise environnante, et nul ne pourra l'ignorer encore longtemps, puisqu'un certain Paul Cézanne vint au monde un beau jour de janvier 1839.

Impressionniste mais pas trop

Ses premières années de formation artistique sont florissantes pour Paul Cézanne sur le plan relationnel, puisque son chemin croise celui de grandes figures de l'Art de son siècle comme Alfred Sisley, Claude Monet, Frédéric Bazille, Auguste Renoir, Edouard Manet... Il aiguise son œil et son appétit pour l'Art dans les couloirs du Louvre. Avec un trait peu assuré et maladroit, qui deviendra sa touche si atypique, Paul Cézanne s'essaye sans être entièrement convaincu au Romantisme, aux natures mortes puis au modernisme de l'Impressionnisme. Ce ne fut que vers la fin des années 1870 que l'artiste parvint enfin à trouver et entériner véritablement son propre style artistique. Aux peintres Impressionnistes qu’il évitait au début de sa jeune carrière, il emprunte une focalisation sur la vision, mais se décroche de ce mouvement en refusant de se limiter à peindre l’impression d’un paysage. Il cherche le durable, le solide, le palpable, le concret. Ses couleurs deviennent profondes, ses formes sont exécutées sans véritable séparation nette et franche, les touches de couleurs sont apposées légèrement, mais pourtant se dégage des œuvres une sensation de grande cohérence, une vision d’ensemble évidente. Une technique et un style pictural qui connaitra son apogée dans ses représentations devenues mondialement célèbres de la Montagne Sainte-Victoire.

Louis-Auguste Cézanne, son banquier de père, le destinait à une carrière dans le droit. Il ne tiendra que quelques temps à jongler entre les lois, les décrets et les éléments juridiques. Paul Cézanne se tourne rapidement vers le monde de l'Art. Natif d'Aix-en-Provence et ayant grandi entre les pavés du cours Mirabeau et le collège Bourbon, il forme avec Louis Marguery, Jean-Baptiste Baille et Emile Zola, le groupe des "Inséparables". En 1861, l'artiste entame son tout premier séjour parisien, qui s'avérera fructueux sur le plan affectif-artistique puisqu'il se liera d'amitié avec Camille Pissarro et Armand Guillaumin, mais il échouera au concours d'entrée de l'Ecole des Beaux-arts. Comme un prémisse de ce qui attendra Cézanne tout au long de sa carrière parisienne : à l'exception d'une, toutes ses œuvres seront refusées au Salon et le microcosme artistique de la capitale regardera toujours de loin et avec curiosité cet "ermite provençal".

Mort pour faire vivre la Sainte-Victoire

Enraciné dans sa terre provençale, c'est vers elle qu'il revient toujours, et le plus vite possible, car, écrivait-il de Talloires, le 23 juillet 1896, à l'ami Solari, le sculpteur : "Le lac est très bien avec de grandes collines tout autour ;(...) ça ne vaut pas notre pays. Quand on est né là-bas, c'est foutu, rien ne vous dit plus". Aix-en-Provence, la ville-musée, la cité comtale, ne l'intéresse pas. C'est vers la nature qu'il s'évade, comme pendant ses années collège où avec ses Inséparables, quand le temps ne leur était pas mesuré, ils s'aventuraient sur les contreforts de la Sainte-Victoire. "Longtemps je suis resté sans pouvoir, sans savoir peindre la Sainte-Victoire" écrivait-il, "parce que je l’imaginais l’ombre concave, comme les autres qui ne regardent pas, tandis que, tenez, regardez, ells est convexe, elle fuit de son centre. Au lieu de se tasser, elle s’évapore, se fluidise. Elle participe toute bleutée à la respiration ambiante de l’air." Il la place d'abord à l'arrière-plan de ses tableaux, derrière des marronniers, des baigneurs, comme si elle l'intimidait. Puis, il s'en rapproche, l'apprivoise et finit par la placer au centre de ses toiles. Grâce à elle, sa façon de peindre évolue, les formes se simplifient, ce qu'il dessinait autrefois avec précision devient suggéré par son pinceau. Fasciné par cette muse aux rondeurs exigeantes, il résout une à une les contradictions inhérentes à son désir de représenter objectivement la réalité de la nature tout en restant fidèle aux sensations fluctuantes. Le face à face entre la Sainte Victoire et sa palette se métamorphose en épopée sublime. Pour capter sa lumière sans cesse changeante, sa palette de couleurs infinie allant de l'ocre au bleu ciel, il l'a représenté sur 87 tableaux, 44 huiles et 43 aquarelles.

S'aventurant sans cesse sur ses chemins, des Venturiers au Prieuré du sommet, comme le font encore aujourd'hui par milliers les randonneurs expérimentés et les simples passionnés qui s'essoufflent sur ses versants, Paul Cézanne écrira "Là, je suis bien, je vois clair, il y a de l'air". Il révolutionne la peinture et préfigure l'Art abstrait. Le 15 octobre 1906, il est surpris par un orage violent alors qu'il est en train de peindre. Continuant son œuvre sous la pluie, il fait une syncope et mourra d'une pneumonie, huit jours plus tard à 67 ans, au pied de son adorée Montagne. Une fin comme il l'avait imaginé, puisqu'il souhaitait mourir en peignant. Deux destins liés qui se sont mutuellement enrichis dans cet affrontement. Elle est devenue ce qu'il lui a confié. Une place pour l'éternel, Cézanne et Sainte-Victoire unis.


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