Calendrier de l'Avent Culture: 19 Décembre - Les Mains libres

Calendrier de l'Avent Culture: 19 Décembre - Les Mains libres

19 Décembre.

Le dix-neuvième poème des Mains libres de Paul Eluard est nommé "Solitaire." Il est illustré, comme chacun des poèmes du recueil, par une illustration de Man Ray représentant l'antithèse de son livre: des mains prisonnières. Ou du moins, chacune restreinte par l'autre.

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"SOLITAIRE

J'aurai pu vivre sans toi Vivre Seul Qui parle Qui peut vivre seul Sans toi Qui Être en dépit de tout Être en dépit de soi La nuit est avancée Comme un bloc de cristal Je me mêle à la nuit."


Le style surréaliste qui a fait de la poésie une polémique du sens et de l'accessible n'est pas toujours le plus apprécié. Il est l'héritier des déconstructeurs comme Rimbaud ou des transgresseurs comme Lautréamont puis un fondateur pour divers mouvements d'art contemporain dans lequel je me trouve moins de connaissances. C'est une réinvention formelle et stylistique qui semble aussi sonner avec son temps et ses troubles, c'est à dire avec le début d'un siècle où la recherche du beau et du sens des choses va soudain exploser; peut-être disparaître pour un temps. La perte du langage ou de la grammaire se remette en question progressivement. Tout commence avec le dadaïsme puis avec l'impulsion d'André Breton. A mon sens cela tendra à son apogée chez Samuel Beckett.

Ce nouvel art symbolisera la mort de l'esthétique et du classicisme, ou du moins le souhait ardent de leur mort. Les mots sont mutilés et éparpillés; ils doivent être sourds et presque muets. Un balbutiement qui ne doit pas être compréhensible, à aucun moment. Et c'est la distorsion du poème plus que celui-ci qui est en devient la véritable démonstration artistique. Enfin, c'est l'émancipation de toutes les règles qui soient en art qui ouvre le coffre aux sensations nouvelles et modernes: la liberté d'expression et du ton c'est ce que veut dire avoir les mains libres. Dessiner sans contraintes. Dire sans restrictions.

Toutefois, comme souvent le paradoxe frappe le poète. Faire de l'art, même libre, c'est déjà accepter des contraintes et des restrictions; elles sont le support même de la création. Nous sommes nous-même ce réseau de complexes lois autoritaires; nous nous les imposons. Ce sont par exemple nos émotions. Cela peut être aussi les autres à qui nous nous attachons. Notre dépendance à ces choses sont une preuve de plus que l'art ne peut se départir de notre humaine vulnérabilité.

Ainsi vous pouvez déjà, si vous le souhaitez, relire "Solitaire." Regardez à nouveau le dessin de Man Ray. Le sens y est-il évident ? Toutes les tentatives du monde ne feront jamais d'une œuvre d'art une orpheline complète de notre raison et de notre langue; c'est ce que je crois. Ce qui est absurde est souvent sensé. Ce qui est muet est parfois criant. Ce qui est mutilé est toujours robuste. La volonté des artistes demeure, mais le socle de l'art persiste: si une œuvre est bonne, si nous pouvons sentir qu'elle a du cœur, même le surréaliste devient alors clair.

Dans mon cas, je ne comprenais pas Les Mains libres mais j'en ai apprécié la lecture. Je ne trouvais pas ces poèmes grotesques ou prétentieux; ils m'avaient l'air d'avoir des choses à dire. Maintenant que le temps a passé, je relis Les Mains libres, et lorsque mes yeux un peu fatigués et pourtant attentifs tombent sur le poème "Solitaire", j'ai le sentiment d'en comprendre chaque mot.

Ces mains du poème ne sont pas libres. Comment pourraient-elles l'être ?


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Les Mains libres de Paul Eluard et Man Ray est un recueil de poèmes publié en 1937. Œuvre associant constamment la prose poétique de Eluard avec les dessins de son comparse, elle forme l'un des jalons les plus touchants et réjouissants du surréalisme, tant dans son exercice de ce style que dans sa vraie réussite formelle. C'est aussi une anthologie polymorphe et chimérique qui, je pense, ne cesse d'évoluer avec l'âge de son lecteur, et dont le prisme s'étend à la sensibilité de celui-ci; à sa maturité ou à son humeur. Probablement ma pièce surréaliste favorite avec l'ensemble des tableaux de Magritte.


Léo Martin.

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