Canal de Suez : stratégies maritimes & perspectives logistiques

Canal de Suez : stratégies maritimes & perspectives logistiques

A quelques années d’intervalle, les deux plus importants passages transisthmiques de Suez et de Panama auront changé de calibre avec l’ambition de toujours mieux servir les artères dominantes du commerce international. Gigantisme naval, transbordement tactique, orchestration logistique : Suez reste au cœur de stratégies opérationnelles et prospectives ; le tout dans un marché mondial atone.

Canal de Suez : chiffres clés

Long de 193,3 kilomètres, Suez reste un défi permanent pour garantir plus de 20 mètres de tirant d’eau aux navires marchands. Pour s’en convaincre, rappelons que le doublement des voies sur plus de 113 kilomètres (contre 77 kilomètres auparavant) a nécessité l’excavation et le dragage d’un demi-milliard de mètres cubes de matériaux pour un coût supérieur à 2,5 milliards US$ !

Aujourd’hui, tous les navires marchands peuvent emprunter Suez hormis les plus grands vraquiers (de type Valemax) et les pétroliers supérieurs à 240,000 tpl (les plus grands VLCC et les derniers ULCC en circulation). En 2015, l’artère stratégique égyptienne a flirté avec le record symbolique du milliard de tonnes nettes de trafic pour des revenus supérieurs à 5,17 milliards US$. Les porte-conteneurs sont devenus dominants dans l’activité de Suez avec 5 941 unités sur un total de 17 483. Des 4 millions d’EVP ayant transité par le Canal, 75% concernent exclusivement la route Extrême-Orient-Europe, suivi à 11% par la route reliant le sud-est asiatique aux marchés de l’est des Etats-Unis.

Dans une intensité commerciale toujours largement dominée par les routes maritimes Est-Ouest de l’hémisphère Nord, Suez demeure un passage obligé. Les choses pourraient cependant évoluer graduellement.

 Suez Vs Bonne-Espérance !

La nouvelle configuration du Canal de Suez se projette dans un environnement géostratégique complexe. Les incertitudes politiques au Moyen-Orient, les menaces terroristes sur tous les Etats riverains du Canal ou encore la persistance de la piraterie maritime dans le Golfe d’Aden constituent des menaces pour le système transisthmique. Les surcoûts, particulièrement en matière d’assurance, ajoutent un peu plus de morosité dans les comptes de résultats des armements investis sur Asie-Europe. L’atonie des marchés pétroliers et vraquiers se surimpose à la situation conteneurisée et fragilise les projections ambitieuses censées payer une partie de la facture du nouveau dimensionnement de la double voie du Canal de Suez.

Rappelons qu’un porte-conteneurs de 18,000 EVP paie environ 800,000 US$ chaque passage dans l’isthme. En période de surcapacité navale chronique, certains armements relancent l’alternative maritime du contournement du continent africain par la route du Cap. Avec des soutes à 150 US$ la tonne (IFO 380), orchestrer un schéma hebdomadaire Asie-Europe mobilise une dizaine de navires qui ajustent leur vitesse en conséquence, permettant de réduire mécaniquement les coûts totaux d’exploitation des services. Selon une étude récente des analystes de portoverview.com, l’on constate une augmentation de ces « détournements structurels » sur la route via le Cap de Bonne-Espérance depuis le dernier trimestre 2015. Même le canal de Panama s’en trouve directement impacté puisque les armements équilibrent les services classiques Transpacifique-Panama-Côte Est USA via des rotations qui connectent Asie du sud-est-Côte est USA via le Cap de Bonne-Espérance.

 Les alternatives à Suez existent déjà…

Par ailleurs, la voie royale « all water » du Canal voit arriver de nouvelles concurrences multimodales. De la mythique Route de la Soie à la Transsibérienne, les chinois font pleuvoir les investissements ; plus pour diversifier les routes d’approvisionnements énergétiques que pour les détourner de Suez ; mais les expériences réussies ces dernières années encouragent les chargeurs européens et chinois à tenter l’aventure. Les nations émergentes comme la Turquie, et plus récemment la République d’Iran, entrevoient dans ces connectivités ferroviaires des débouchés intéressants sur des tracés alternatifs aux routes maritimes classiques. Le 15 février 2016, 32 conteneurs en provenance de la province du Zhejiang ont parcouru 9,500 kilomètres en 14 jours pour atteindre Téhéran avec la collaboration remarquée des compagnies ferroviaires kazakhe et turkmène.

Le développement économique de l’immense Asie centrale permet aussi d’espérer le déploiement de schémas logistiques combinant flux sino-européens en transit avec les potentialités de production/consommation/transformation des pays traversés. A titre d’exemple, le Kazakhstan souhaite transformer son enclavement géographique en un nouveau carrefour géostratégique et logistique, servant de convergence entre des flux orientés Est-Ouest et des potentiels complémentaires Sud-Nord.

Autre alternative logistique, les combinaisons air-mer avec des soutes aériennes rendues très attractives par le modèle d’affaires des compagnies du Golfe. L’orchestration d’une logistique combinée permet aux chargeurs du luxe français par exemple de tenter des synergies qui entraînent de facto le contournement de l’isthme égyptien. Les produits profitent de l’intensité des sillons aériens depuis les aéroports européens pour transiter sur d’immenses zones logistiques dans les territoires du Golfe avant d’être embarquées sur les porte-conteneurs pour un temps de transit maritime inférieur à 2 semaines.

 Du désert de sable au désert de glaces…

En guise de conclusion, mais cela ne relève encore que d’une projection stratégique à long terme, la valorisation des potentiels de l’Arctique russe pourrait se conjuguer avec le raccourci nautique polaire pour proposer des solutions maritimes et logistiques très éloignées des sillons dragués dans le désert du Sinaï.

Des développements industrialo-portuaires de Yamal en Sibérie aux médiatiques rotations expérimentales de navires marchands chinois, les solutions arctiques s’affinent sur l’autel du réchauffement planétaire. Les modèles économiques et logistiques restent incomparables avec la solution de Suez mais la pertinence de telles projections est plus à chercher dans ses dimensions géopolitiques et géostratégiques.

Sécurité et contrôle, fiabilité et flexibilité, partenariats bilatéraux et multilatéraux: les routes polaires font parties de ces alternatives à Suez qui continuent de se dessiner dans un univers marchand toujours plus ouvert… et incertain.

Gabriel S.

Expert Port Community Systems | Logistics Supply Chain | Trade Digitization | ISM PARIS | #Passion

8 ans

Dr YannAlix, je vous suis depuis bientôt 4 ans grâce à Mme Laurence Debain,Mr Vissiennon Apolinaire et Xavier Soenen. Je suis reste admiratif face à vos analyses pointues qui m'inspirent d'ailleurs sur mon Blog (gabrielsounouvou2020.blogspot.com). Si vous faites un tour au Bénin un jour, ce serait avec un grand plaisir que nous vous inviterons aux discussions qui commencent bientôt sur les questions logistiques.Vous êtes un modèle !

Jacques Bellezit

Attaché d'Administration de l'Etat - Compte et avis personnels

8 ans

Voila qui est très clair: Les schémas sont remarquables et contribuent beaucoup à la compréhension !

Bara SADY

Administrateur général chez Cabinet de Consultance AMCE

8 ans

excellente reflexion Yann Alix

Comme tourjours yann c est excellent

Gaston Déry, C.M.,C.Q.

Conseiller stratégique et formateur en développement durable, responsabilité sociale et mise en valeur de la biodiversité. #Misterbiodiversity

8 ans

Très bon article Yann. Gaston

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