Ce que je dois à Michel Rocard Le 4 juillet 2016
Quand je pense aux années Rocard, je pense à l’hôte de Matignon, à mes deux ans passés à la tête du cabinet du ministre de la Justice, Pierre Arpaillange entre 1988 et 1990, d’abord ; et ensuite à l’année « Bioéthique » - 1990/1991 – consacrée à l’élaboration du rapport commandité par le Premier ministre en tant que chargée de mission auprès de lui.
Si j’avais à résumer ce que je retiens de Michel Rocard, je dirais qu’il a été un inventeur et un rénovateur. J’entends par là qu’en créant le RMI et la CSG, il a fait preuve d’une inventivité remarquable en fournissant les moyens de remédier aux maux qui nous rongent toujours : en premier lieu, la précarité et le sous-emploi dus à une insuffisante qualification empêchant la mobilité indispensable pour s’adapter à un monde qui change ; en deuxième lieu, la fragilité de notre système social hérité de l’après-guerre en raison de l’incohérence des prélèvements obligatoires et du déséquilibre structurel de la sécurité sociale. Les deux réformes sont pérennes, même si elles ont l’une et l’autre été partiellement détournées de leurs buts.
Mais Michel Rocard a aussi été un rénovateur bridé. Il aurait pu en effet moderniser non seulement le parti socialiste en en faisant un grand parti à la fois protecteur et ouvert à la mondialisation, mais également la vie politique elle-même en la rendant moins clanique et son apparat moins monarchique.
Au ministère de la Justice, j’ai pu constater combien Michel Rocard était soucieux de renforcer les moyens d’un appareil judiciaire traditionnellement impécunieux, de même que les moyens dangereusement dérisoires de l’administration pénitentiaire. Par ailleurs, Michel Rocard a été l’un des premiers en France à tirer la sonnette d’alarme sur le financement des retraites. Aussi lors de la grève de FO pénitentiaire en 1989, tentative pour ce syndicat en perte de vitesse de récupérer des voix (en vain), il n’a pas baissé la garde refusant jusqu’au bout la bonification d’ancienneté demandée par les personnels.
Quant à l’année Bioéthique, Bruno Sturlese, avec qui j’ai rédigé le rapport « Aux Frontières de la Vie », et moi-même avons pu grâce au Premier ministre et à l’appui sans faille des membres de son cabinet : Jean-Paul Huchon, Yves Lyon-Caen, Yves Colmou et Manuel Valls, mener jusqu’au bout cette mission exaltante. J’ai eu carte blanche pour m’entourer des plus grands scientifiques français en génétique et en biologie et enquêter dans les pays les plus avancés en Amérique du Nord et en Asie. J’ai aussi pu organiser à Paris des auditions publiques avec des personnalités mondiales parmi les plus marquantes ; une pratique tout à fait inusitée à l’époque. Tout cela j’ai pu le faire avec une totale liberté de penser et dans un climat d’amitié et de confiance avec l’équipe du Premier ministre.
J’ai remis mon rapport en tête à tête à Michel Rocard un 14 mai 1991, deux jours avant qu’il ne fut remplacé par Edith Cresson. Je ne pense pas qu’il avait anticipé ce départ. C’est peut-être cela qui est le plus émouvant : un homme d’Etat qui fait son devoir, sans se douter apparemment que son sort est scellé, et qui le fait jusqu’au bout, sans modifier ses plans, ni son agenda.
Mais j’ai une autre dette envers Michel Rocard : au moment en effet où j’ai été attaquée violemment par quelques ténors politiques, dont Arnaud Montebourg et Raymond Forni en tête, pour avoir accepté la proposition de Jacques Chirac de me nommer ministre des Affaires européennes du gouvernement Raffarin, Michel Rocard a spontanément pris ma défense dans une lettre adressée au Journal le Monde, administrant là encore la preuve de son courage et de sa parfaite honnêteté intellectuelle. Je ne l’oublierai pas jusqu’à mon dernier souffle.
Je veux lui rendre hommage aujourd’hui comme à un homme visionnaire, sincère et qui a assumé les très hautes responsabilités politiques qui ont été les siennes sans faire preuve du moindre sectarisme et avec un sens profond de l’intérêt général attaché à sa mission. C’était aussi un grand européen qui a d’emblée compris la vocation historique de la France dans une Europe politique axée sur la compétitivité, mais aussi la solidarité.
La disparition de Michel Rocard est une perte pour la France. Il restera dans l’Histoire.
Noëlle Lenoir, Ancienne ministre, Paris le 4 juillet 2016
înspecteur général (h), Consultant
2 ansComment ne pas partager cet hommage clair, désintéressé et si vrai a un grand homme d’état, bridé par un Mitterrand machiavélique, et une assemblée dissonante. Le servir fut un honneur, car on ne servait pas un clan, un courant du PSG, mais l’intérêt général pour la France. Que d’émotions dans cette cour des invalides quand son cercueil avançait porté par les gardes, sous ce soleil harassant, fidèles nous pleurions l’homme, notre inspirateur respecté, celui qui sentait la France et qui fut son serviteur , jamais son technocrate. Pour lui la technique devait être avant tout au service de l’homme , du pays. Michel , reste un grand homme d’Etat, respecté par tout l’échantillon républicain, merci de nous avoir montré la voie, là est notre chemin, pensons à J Jaurès !.
Administrateur Jazz in Marciac - Le Club des Partenaires
8 ansMerci pour ce beau témoignage.
Associé / Avocat à la Cour - Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP
8 ansNoëlle, très instructif et bien vu notamment "rénovateur bridé".