Ce qui pèche dans les formations à l'égalité femmes-hommes

Ce qui pèche dans les formations à l'égalité femmes-hommes

Question à 1000€ : l’égalité n’est-elle qu’une question de (bonnes) femme.s ?

Je ne vous parle pas de critiquer les mobilisations non mixtes des militantes, ni de discuter de la possibilité pour un homme d’être ou pas féministe (bien qu'il ne sera pas interdit de revenir sur ces sujets). Non. Ma réflexion porte sur un constat qui se vérifie et s'illustre quotidiennement sur cette plateforme où s’expriment largement une majorité d’expert.e.s et format.rice.eur.s en égalité femmes-hommes, en genre, en diversité, en inclusion, au travail, en entreprise, dans les médias. Certain.e.s que j’ai directement interrogé.e sur cette problématique, sans avoir de réponse sinon des justifications. Pourquoi un tel taux de participation féminine aux formations, séances de coaching, sessions d’apprentissage concernant les savoirs-être et savoirs-faire en matière de prise de parole, de positionnement (leadership), de gestion de ressources humaines dans le domaine de l’égalité femmes-hommes alors qu’elles sont les premières victimes de la division sexuée du travail et des discriminations de genre en milieu professionnel ?

Pourquoi ces programmes (doivent-ils) reçoivent (recevoir) une validation « mixte » (par autant d’hommes que de femmes, me suis-je entendue répondre) bien que si peu d’hommes s’estiment devoir être concernés ? Bien sûr, les dominant.e.s ne perçoivent pas leur domination, et bien sûr, la supériorité numérique des décideurs sur les décideuses. Là non plus, il n'existe aucune mesure coercitive pour les obliger à participer. Contreproductif.

Mais peut-être, surtout, que leurs contenus, sont-ils encore trop inconsciemment construits pour qu’ils s’adressent surtout aux femmes.  Eternelles sujets à redresser, éduquer, formater, bonnes poires habituées à se plier aux injonctions, qui est de devenir les parfaites égalitaristes qu’il faut être, aujourd’hui, pour être bien considérée. Dans le milieu de l’aide internationale au développement, c’est encore pire, depuis bientôt deux décennies que l’on martèle que « la femme est l’avenir des pays – essentiellement – du Sud », classiquement, à elles de porter l’effort de (re-)dressage - d'une économie, d'une Nation, de domestication (on se réfèrera aux sociologues-anthropologues féministes matérialistes que sont Colette Guillaumin et Nicole-Claude Mathieu dans l'usage de ces termes), de maîtrise et de reproduction des (bonnes) normes éducationnelles et professionnelles en la matière.

Depuis que Simone de Beauvoir a brillamment démontré qu’ « on ne naît pas femmes, on le devient » (Le Deuxième sexe, 1949), il semble que toutes les actions (moins pour les théories) d’émancipation s’inscrivent dans un seul sens : celui qui consiste à démontrer qu’une femme (équi-)vaut un homme. L’inverse n’est-il pas vrai ? L’intérêt de l’outil genre est pourtant qu’il réussit à démontrer que le sexisme est un système de rapports sociaux dans lequel sont pris les femmes ET les hommes.

Parmi mes récentes découvertes, une émission de radio-podcast qui travaille à attaquer l’autre versant de la montagne sexiste : Les Couilles sur la table https://www.binge.audio/category/les-couilles-sur-la-table/ Animée par la journaliste Victoire Tuaillon pour Binge Radio dans laquelle et selon ses propos (recueillis dans le magazine des « technologies et des hommes » 01Net, 907, 24.04-14.05 2019) elle s’attache à « déconstruire la fausse évidence de l’universel masculin ». Elle y reçoit donc universitaires, chercheur.e.s, journalistes concernés par les manières dont, en Occident, en France, on construit les masculinités et dont on reproduit, donc, par ce biais aussi, les inégalités de sexe.

Réajustons nos grilles d’évaluation, relisons les contenus de nos formations en matière d’égalité femmes-hommes, réinventons nos outils de diagnostics et nos instruments pédagogiques, en re-questionnant, dans le domaine de la formation professionnelle aussi, la pertinence d’une mixité idéalisée : osons proposer des formations qui s’adressent exclusivement, spécifiquement aux hommes. Schoking?

Ne le serions-nous pas si le combat contre le viol reposait exclusivement sur des formations aux violé.e.s pour se prémunir contre ce crime? On y apprendrait à comment bien se comporter pour ne pas attirer les potentiels agresseurs: à éviter les lieux à fort taux criminalistiques en la matière - petites ruelles peu fréquentées, artères sans éclairage - , à éviter de sortir la nuit ou non accompagné.e, à ne pas porter de vêtements provoquants - trop courts, trop longs, trop "connotés" -, à éviter de (trop) se maquiller, à ne pas porter de talons trop hauts pour pouvoir courir... Enfin, je vous dis ça, mais c'est que ce que nous, les filles, apprenons déjà au cours de notre socialisation. Il faut aussi mémoriser un ou plusieurs numéros d'urgence (3919, vous connaissez? c'est le nouveau dispositif contre les violences sexistes et sexuelles). Actuellement, il faut déjà avoir fait au moins deux années d'études en droit pour savoir caractériser le (la nouvelle définition du) viol. Et puis, on nous propose d'apprendre à prendre la parole en public, savoir s'affirmer, défendre une demande d'augmentation, à ne pas avoir peur d'intégrer des filières scientifiques, à être dans l'agentivité sinon l'agressivité, la capacitation, l'affirmation et l'assurance de soi, toutes entrepreneuses de nos vies pour prouver que nous, femmes, valons autant que les hommes.

Epuisant. Déprimant. Culpabilisant

Reposons la question : l’homme ne doit-il pas (aussi) devenir une femme comme les autres ?


 

Violaine Dutrop

Autrice, spécialiste genre et éducation, présidente-fondatrice de L'institut EgaliGone - Collectif Nos enfants, nous-mêmes - Instagram : @olivine.poudrat

1 ans

bien d'accord avec toi ! ça m'a toujours énervée ces demandes de suradaptation des femmes...

J’aimerais amener une note positive : de nombreux hommes parmi mes clients cherchent à améliorer leur rapport aux femmes et à réduire les inégalités autour d’eux. C’est rarement la raison première de leur demande de coaching, mais ça arrive assez vite en général. Le coaching n’est pas une « formation » et c’est peut-être pour ça que ça marche. Les changements de prisme et d’attitude durables s’effectuent sans passer par le jugement ni la culpabilisation.

Magali Masquelier-Pérez

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Solenn Thomas

Recrutement de Dirigeant•es, Fondatrice d’Eklore, Initiatrice de Debout Citoyen•nes

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Dans la lignée des réflexions pour changer de perspectives sur le sujet, je vous recommande ce podcast : https://www.binge.audio/ce-que-la-soumission-feminine-fait-aux-hommes/ Il questionne ce que la soumission féminine a fait aux hommes (et non plus ce que la domination masculine a fait aux femmes). Dans quelle mesure peut-on choisir d’être, ou non, un homme dominant ? Dans les relations amoureuses et sexuelles, comment la socialisation des femmes à être soumises influe-t-elle sur le comportement, les conceptions, et les possibilités des hommes ?

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