CEDH, 24 mai 2018, Laurent c. France : on ne peut pas intercepter et lire un papier remis par un avocat à ses clients privés de liberté

Dans sa décision Laurent c. France du 24 mai 2018 (n° 28798/13), la CEDH protège une fois de plus le secret couvrant les correspondances échangées entre un avocat et son client privé de liberté.


En l’espèce, un avocat, en robe, attendait le résultat du délibéré d’un JLD avec deux clients qu’il venait d’assister. Ses clients, placés sous escorte policière, lui demandèrent sa carte de visite professionnelle. N’en ayant pas sur lui, il leur remit un papier plié sur lequel il avait noté ses coordonnées. Le chef d’escorte se fit remettre le papier, le déplia, le lut puis le rendit au client. L’avocat reprocha au policier de ne pas respecter la confidentialité de ses échanges avec son client. La même scène se déroula avec le second client.


Les juridictions françaises ont refusé de sanctionner ce comportement délictueux du policier, considérant que le papier plié n’était pas une correspondance protégée au sens de l’article 432-9 du code pénal (Cass. Crim. 16 octobre 2012, n° 11-88136).


La CEDH n’a pas la même appréciation et juge que le papier remis par l’avocat à ses clients est une correspondance au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (1). Son interception et sa lecture par un policer n’étaient pas justifiées dès lors qu'il n'existait aucun motif plausible de penser qu'elle comportait un élément illicite (2).


1) Un papier plié remis par l’avocat à ses clients est une correspondance protégée au sens de l’article 8 Conv. EDH.

Toute personne a droit au respect de sa correspondance quels que soient son contenu et sa forme, notamment quand elle est échangée avec un avocat (CEDH 6 déc. 2012, Michaud c. France, n° 12323/11, § 90; CEDH, 12 juin 2007, Frérot, n° 70204/01, § 53).


Cela vaut pour les échanges entre un avocat et son client détenu (CEDH, 25 mars 1983, Silver et autres c. Royaume-Uni, § 84, série A no61 ; CEDH, 12 février 2013, Yefimenko c. Russie, n° 152/04, § 144).


Il en résulte que le chef d’escorte, en interceptant et en prenant connaissance du contenu des papiers pliés transmis par l’avocat à ses clients, a commis une ingérence dans le droit au respect de la correspondance entre l’avocat et ses clients.


Examinant si cette ingérence était justifiée, la CEDH considère essentiellement qu’elle n’était pas nécessaire pour prévenir une infraction pénale.


2) L’interception et la lecture du papier plié remis par l’avocat à ses clients n’étaient pas nécessaires pour prévenir une infraction pénale en l'espèce inexistante.

2.1.La CEDH rappelle que s’il est possible de contrôler la correspondance de personnes détenus (Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, § 45, série A no 233), les échanges entre un avocat et son client détenu sont protégés par l’article 8 Conv. EDH qui leur accorde un « statut privilégié » (§ 44).

Ainsi, on ne peut ouvrir de tels courriers que s’il existe « des motifs plausibles de penser qu’il y figure un élément illicite non révélé par les moyens normaux de détection ». En outre, ils ne peuvent être lus que « dans des cas exceptionnels, si les autorités ont lieu de croire à un abus du privilège en ce que le contenu de la lettre menace la sécurité de l’établissement ou d’autrui ou revêt un caractère délictueux d’une autre manière » (§ 44).


2.2. En l’espèce, il n’existait aucun motif plausible de penser qu’un élément illicite figurait dans la correspondance transmise par l’avocat à ses clients détenus.

De manière très pragmatique, la CEDH relève que le papier transmis par l’avocat à ses clients privés de liberté ne suscitait pas de soupçons particuliers et que sa remise a été faite ostensiblement par l’avocat sans tenter de dissimuler son action au chef d’escorte.


La Cour en conclut que l’interception, l’ouverture et la lecture de la correspondance de l’avocat ne répondaient à aucun besoin social impérieux et n’étaient donc pas « nécessaires dans une société démocratique » au sens de l’article 8 § 2 Conv. EDH.

La France est donc condamnée pour violation de l’article 8 Conv. EDH.


Conclusion : un isolement accru de la jurisprudence constitutionnelle

Le Conseil constitutionnel refuse toujours de consacrer la valeur constitutionnelle du secret professionnel qui s’impose à l’avocat (décision n° 2015-478 QPC du 24 juillet 2015, Association French Data Network et autres).


Certes, il protège constitutionnellement le secret des correspondances sur le fondement des articles 2 (droit au respect de la vie privée) et 4 DDHC (Cons. const. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 et n° 2014-420/421 QPC du 9 octobre 2014). Il rattache le secret professionnel en matière médicale au droit au respect de la vie privée (n° 99-422 DC du 21 déc. 1999, Rec. p. 143 ; n° 2004-504 DC du 12 août 2004, Rec. p. 153). Cependant, il n’étend pas ce principe aux avocats.


Il faut continuer à solliciter le Conseil constitutionnel sur cette question car, au regard de sa jurisprudence fondée sur l’article 2 DDHC, on peut considérer que le secret des correspondances couvre, d’une part, les courriers échangés entre des avocats ainsi qu’avec leurs clients et, d’autre part, éventuellement d’autres documents entrant dans le champ de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971.


Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de David Lévy

Autres pages consultées

Explorer les sujets