Ces petites choses que le Covid-19 nous apprend sur nous
Nous n’avons rien vu venir. Enfin...si.
C’était là, sous nos yeux, sur nos écrans, dans la presse, mais nous n’avions pas compris. Depuis fin décembre, nous recevions des nouvelles d’un mystérieux coronavirus apparu à Wuhan, en Chine. Mais qui vraiment se souciait de Wuhan ? Nous suivions donc cela, indifférents. Certains regardaient ces images d’hôpitaux de campagne montés par l’armée chinoise, sans s’imaginer que nous, en Europe, ferions de même quelques semaine plus tard. D’autres, souvent les mêmes regardaient ces images de corps sans vie dans les rues de Wuhan que personne n’osait approcher, sans s’imaginer que des personnes décèderaient, sous nos latitudes, du même mal sans que leurs familles puissent les revoir et les embrasser une toute dernière fois. D’autres encore dissertaient sur le lockdown des grandes villes chinoises. « Seul un régime autoritaire peut décréter cela ! » entendait-on. La Chine, oui, c’est vraiment très loin par rapport à nos préoccupations. Mais ils n’imaginaient pas la suite.
Cela a fini par déborder pour atteindre les pays voisins et au-delà. Une raison pour s’y intéresser. Nos expatriés et nos touristes revenaient, passant en quarantaine dans des clubs de vacances transformés en zones de transit sanitaire, ou encore étaient bloqués sur des navires de croisière.
Et puis, tout a basculé. Les choses n’étaient plus exotiques. Les cas en Italie apparurent à un rythme effréné à partir de février et pour nous tous cela signifiait quelque chose de certain: ce n’est plus qu’une question de temps avant que le virus ne gagne la Belgique.
Et le virus est maintenant là. Au milieu de nos foyers, dans nos administrations, dans nos entreprises, nos écoles, nos lieux de culte, nos hôpitaux et nos prisons. Il est aussi en chacun de nous maintenant que nous sommes en confinement. Que nous apprend-il sur nous et notre façon de fonctionner ?
Le Covid-19 nous présente notre reflet dans le miroir
Avant qu’il ne se déclenche, nous ne nous posions plus vraiment de question sur quoi que ce soit. Les choses étaient les choses. Les mêmes routines, obsessions, enjeux, polémiques remplissaient notre quotidien. Notre journée était faite avant même le chant du coq, nos lignes de rupture étaient connues, le camp auquel on appartient, les idées à soutenir ou à combattre, les bons et les méchants aussi. Bonne ou mauvaise journée, qu’à cela ne tienne, nous avions un équilibre précaire, certes, mais sur lequel nous avions un semblant de contrôle. Nous avions un modèle de société que nous pointions comme le parangon du progrès social et économique.
Il aura suffi d’une méchante Uber Grippe planétaire pour rebattre les cartes et nous ramener à plus d’humilité. Nous découvrons le body distancing, nous qui adorons nous serrer la main ou nous embrasser. Nous (re)découvrons ô combien il est important de se laver les mains, le télétravail, la résilience et les soirées jeux de société avec les enfants. Nous découvrons qu’en quoi que ce soit, nous ne sommes jamais entièrement prêts et que les vérités peuvent fluctuer. Il y a des choses, des paramètres qui nous échappent et sans lesquels notre capacité à juger et à décider s’en retrouve diminuée dans son efficacité. Nous qui avons l’habitude de planifier sur plusieurs trimestres, sur plusieurs années, nous apprenons aujourd’hui ce qu’est naviguer à vue et à improviser. Quel est notre horizon de projection ? Une semaine ? Deux ? Allez…disons huit ? Nous qui avons l’habitude tout mesurer à l’aune occidentale, quels sont aujourd’hui nos repères et nos recettes pour endiguer cette pandémie ? L’incertitude n’est plus une valeur qui se valorise sur les marchés, on redécouvre qu’elle façonne notre destin.
Le Covid-19 révèle chacun d’entre nous
La crise révèle des comportements les plus irresponsables comme les dernières fêtes en prélude à la fermeture des bars, le non-respect des règles du confinement, les razzias dans les rayons des commerces alimentaires, les vols ou détournements de matériel médical comme les masques de protection ou hélas, le racisme à l’encontre des personnes d’origine asiatique associées malgré elles à la propagation du virus.
Mais, surtout, nous nous souviendrons qu’elle aura révélé le meilleur en nous quand on pense au personnel médical et de secours qui lutte, à flux tendu, au péril de sa propre santé, sans relâche, au sein des hôpitaux, au sein des maisons de repos, pour endiguer et faire reculer ce fléau. Ou encore à toutes celles et ceux grâce à qui des pans entiers de notre économie continuent de tourner. Elle est révélatrice du meilleur quand on pense à l’immense mobilisation citoyenne pour venir en aide aux personnes les plus vulnérables. Ici et là fleurissent de nombreuses initiatives locales et sur les réseaux sociaux : de la garde d’enfants à l’aide aux personnes âgées en passant par le soutien scolaire et aux sans-abri, cette crise sanitaire révèle les meilleurs penchants humanistes auprès de nos semblables. On se souvient soudain que nous avons des voisins d’un certain âge et qu’il faut aller s’enquérir de leur état. En fait, on est prêt à se souvenir de tout aujourd’hui, si cela peut aider à lutter contre le virus.
Le Covid-19 nous questionne
Sur notre modèle économique, sur la façon dont nous produisons et nous consommons. Le monde des entreprises est exposé en première ligne et a entamé une course contre la montre. Nous savons que le prix à payer sera conséquent pour nos entreprises, essentiellement nos PME et nos indépendants, en termes d’emploi, de financement et de continuité des activités. Nous nous rendons compte que la santé financière et opérationnelle de nos PME est fragile et il faut certainement saluer les mesures fédérales et régionales décidées afin d’éviter un effondrement de notre machine qui fonctionne à flux tendu. Combien sont les PME et les indépendants qui n’ont que très peu de marge en matière de trésorerie au point de ne pas pouvoir honorer leur loyer ou l’échéance suivante de leur prêt hypothécaire ? Combien sont-elles à découvrir tardivement qu’elles n’ont pas de plan de continuité à l’instar des grandes compagnies ?
En sortie de crise, il serait intéressant de réfléchir aux vertus et aux limites de notre modèle industriel, à un réagencement des priorités industrielles et socioéconomiques. Il est vrai que nous avons fait du monde un village et il est certainement plus simple (mais plus vraiment moins cher en fait) de confier à la Chine la production de biens, y compris ceux de première nécessité. Mais que fait-on quand l’usine chinoise, ou le pays entier, est incapable de nous livrer pour quelque raison que ce soit ?
Nous sommes capables de placer sur orbite des satellites mais nous constatons amèrement que nous sommes incapables de nous fournir localement en masques de protection médicale. Tout ceci pourrait redonner un regain au débat sur les conditions de relocalisation industrielle de certains secteurs.
Ensuite sur notre système de santé qui n’échappera pas au débat du lendemain. Jusqu’à quel point a-t-il été pensé pour gérer une pandémie ? Nous avons jusqu’ici fait preuve d’une grande résilience notamment parce que nous compensons avec un personnel médical épuisé, qui se dépasse pour gérer la situation et sur la relative discipline des citoyens qui doivent absolument comprendre qu’il ne faut pas engorger les hôpitaux. Mais que savons-nous de notre système de santé ? Est-il correctement financé, équipé et doté de ressources humaines suffisantes ? Les fonds philanthropiques adossés aux hôpitaux du pays lancent des appels vers la population, les entreprises et les mécènes afin de financer le matériel de première ligne et la création d’unités Covid-19 pour accueillir les personnes atteintes du virus. Est-ce rassurant ? La transition sanitaire devrait probablement rejoindre dans l’agenda politique les transitions économique et énergétique.
Enfin, sur notre modèle de fonctionnement politique. Notre pays a eu besoin de prendre de la hauteur lorsque cette crise s’est déclarée. La tentation communautaire était là mais nous avons réussi, non sans peine et avec un certain délai, à y mettre une sourdine momentanée pour concentrer les efforts à la lutte contre une pandémie qui n’a que faire de la énième réforme de l’Etat, des frontières linguistiques, des enjeux communautaires, des exclusives partisanes, des gouvernements en affaires courantes ou de plein exercice. L’enjeu aujourd’hui est de sauver des vies. Sauver des vies. C’est un beau programme politique. Même pour six mois.
Une crise révèle par ailleurs celles et ceux qui nous gouvernent. Si d’aucuns prédisaient à la Première ministre Sophie Wilmes un simple interim en affaires courantes, sans relief, elle a réussi fédérer autour d’elle l’essentiel des forces politiques du pays. Oui, c’est parfois la situation qui fait l’homme ou la femme d’Etat. Quoi qu’en dise ou qu’on puisse en penser, on ne change pas de capitaine en pleine tempête, on lui donne les moyens d’accomplir sa mission.
Nous sommes encore loin de sortir de cette situation. Les prochaines semaines, les prochains mois s’annoncent difficiles. Nous vaincrons ce mal, nous pleurerons nos morts, nous serons soulagés, mais nous serons transformés à jamais. Le Covid-19 nous fait quitter un monde sans que nous sachions vraiment dans quelle direction il nous mène.
Une crise est toujours un moment au cours duquel surgissent maintes questions. De meilleure facture et plus utiles que les polémiques, les questions sont légitimes, elles participent pleinement à la santé de notre système démocratique. Immanquablement, de nombreuses autres apparaitront.
Il y aura un temps pour des débats, pour des réponses, pour réfléchir à une société différente, à de nouveaux paradigmes, à des priorités différentes.
En attendant, restez autant que possible chez vous et prenez soin de vous et de vos proches.