Ces thématiques clés qui façonnent l’usine du futur
Thème porteur s’il en est, la numérisation du secteur industriel a fait ces derniers mois l’objet de nombreux articles et a vu une multitude d’événements lui être dédié. Le terme d’industrie 4.0 en est même venu à perdre sa signification première et est aujourd’hui régulièrement employé pour définir la digitalisation de l’économie en général, au-delà de celle du seul appareil de production industrielle. On se limite toutefois souvent à aborder cette révolution sous les seuls angles de ses causes et de ses conséquences, notamment sur les modèles économiques ou sur le marché de l’emploi.
Mais en quoi « l’usine du futur » va-t-elle réellement révolutionner notre manière de produire ? Quelles sont les thématiques clés de ce bouleversement numérique ? Le salon « Smart Industries », qui se tenait début décembre à Paris, était l’occasion idéale de découvrir quelques-unes des grandes verticales qui façonnent déjà, sur le plan technique ou organisationnel, l’industrie de demain.
L'usine virtuelle
La numérisation de l’industrie n’est pas une tendance aussi récente qu’on peut parfois le croire. L’utilisation des technologies de modélisation 3D au niveau de la conception et de l’industrialisation des produits a débuté il y a déjà plus de trente ans, avec la conception assistée par ordinateur (CAO), remplacée ensuite progressivement par la CAO 3D et aujourd’hui par la réalité virtuelle. De nos jours, chaque objet, chaque produit, de l’implant médical à l’avion de ligne, est conçu à l’aide de ces outils.
La nouveauté c’est la transposition de ces techniques à des lignes de fabrication, voir à l’usine entière. L’utilisation du virtuel dans ce contexte permet notamment d’optimiser l'implantation des postes d’usinage ou d’assemblage, de simuler leur fonctionnement, de concevoir les systèmes de commande et de contrôle qui y seront liés tout en tenant compte de contraintes telles que l’espace disponible, l'énergie consommée ou encore la cadence et le coût de production. Le tout, bien évidemment, avant la (coûteuse) mise en place.
Les mêmes outils permettent ensuite de simuler le processus de production, et notamment les flux, dans le détail. Cette visualisation permet de déceler d’éventuels défauts et d’optimiser l’ensemble de la ligne avant de lancer la fabrication, permettant ainsi de réaliser des économies considérables.
La fabrication additive
Cette technologie, qui a commencé à se développer dans les années 80, est sans doute une des évolutions les plus marquantes dans la manière de produire. Sur la base d’un modèle numérique, elle permet de créer des pièces par ajouts successifs de matière (d’où le terme « additif »), contrairement aux procédés habituels qui consistent à en soustraire.
Limitée encore récemment aux matières plastiques, cette méthode de fabrication concerne aujourd’hui également les matières métalliques plus résistantes, élargissant considérablement les perspectives d’utilisation. Elle permet de produire des pièces complexes monobloc, sans assemblage ni soudure, d’alléger certains designs en autorisant des structures plus aériennes ou encore de réparer et remplacer certaines pièces dont la fabrication a cessé. Particulièrement importante lors de la phase de prototypage, qu’elle a révolutionné, la fabrication additive est désormais largement utilisée au stade de la production, que ce soit dans le domaine médical, automobile ou aéronautique (domaine ou l’allègement du poids des pièces qu’elle autorise, en limitant la matière là où elle est strictement nécessaire, est essentiel). Les perspectives qu’elle offre en matière de flexibilité, de rapidité et d’optimisation de l’usage des ressources sont de plus en plus valorisées.
La cobotique
Le principe de la cobotique (pour robotique collaborative) est d'associer en temps réel les compétences d'un être humain (savoir-faire, analyse, décision) et les capacités d'un robot (force, précision, répétition), dans le but de décharger le premier cité des tâches les plus complexes ou pénibles au profit de tâches à plus forte valeur ajoutée. Le cobot permet ainsi d’améliorer les conditions de travail de l’opérateur, tout en accroissant sa productivité en lui offrant la possibilité de manipuler mieux et plus vite des pièces chaudes, lourdes, ou trop petites pour être saisies avec précision.
Encore peu nombreux (moins de 2% des ventes de robots industriels), l’utilisation des cobots et cependant appelée à se généraliser, notamment au vu de son prix, largement inférieur à celui des robots classiques. Parallèlement, les prochaines générations de cobots devraient encore gagner en intelligence et en autonomie, grâce aux progrès réalisés dans le domaine de la vision, de la mobilité et de l’auto-apprentissage. Potentiellement, le robot collaboratif du futur ne nécessiterait plus de programmation : pour réaliser une opération donnée, il disposerait de l’intelligence nécessaire pour définir lui-même les mouvements à effectuer.
La réalité augmentée
Souvent confondue avec la réalité virtuelle, dont le but est avant tout de s’affranchir de son environnement, la réalité augmentée vise quant à elle à s’y ancrer pour mieux le compléter et l’enrichir. C’est cette dimension qui intéresse particulièrement l’industrie, puisqu’elle permet par exemple d’analyser et d’optimiser les performances d’une ligne de production.
A travers l’utilisation de dispositifs adaptés (lunettes, tablettes), les opérateurs peuvent désormais disposer en temps réel d’informations précises et adaptées quant aux étapes et à l’ordre des opérations à effectuer, au montage d’une pièce, aux performances énergétiques d’une machine, à l’état d’un stock, etc.
En permettant de s’affranchir d’une documentation technique volumineuse ou de la consultation d’une base de données, en rationnalisant les déplacements et en minimisant les besoins d’accès aux environnements dangereux, la réalité augmentée permet des gains importants en matière de compétitivité, de productivité mais aussi de sécurité.
Déjà largement utilisée dans l’industrie dite « lourde » (aéronautique, automobile), la réalité augmentée est appelée à se démocratiser rapidement du fait de ses innombrables applications et de son coût finalement modéré au vu des gains potentiels qu’elle représente.
Quelle place pour l’homme ?
Les bouleversements annoncés par l’arrivée à maturité des technologies mentionnées ci-dessus, mais aussi par le big data ou les objets connectés industriels, vont bien-sûr conduire à l’évolution, voir à l’automatisation de nombreux métiers. Toutefois, contrairement aux idées reçues, l’homme conservera bien une place centrale au sein de l’usine du futur. Il en a d’ailleurs toujours été ainsi au fil des révolutions successives qui ont marqué l’industrie. Au contraire, certains des outils mentionnées plus haut, telles que la cobotique et la réalité augmentée, montrent que c’est aussi et peut-être surtout autour de l’humain que se construisent les modes de production de demain.
En réalité, les technologies de la quatrième révolution industrielle pourraient même conduire à une certaine relocalisation de la production industrielle (et donc à de possibles créations d’emplois), au vu de l’efficience et des gains de productivité qu’elles permettent. Un potentiel qui se matérialiserait par de plus petites structures de production, plus largement automatisées, plus flexibles et localisées plus près de leurs clients. De belles perspectives pour notre industrie, qui impliqueront toutefois d’importants efforts en matière d’investissement, que ce soit sur le plan des infrastructures ou de la formation.