"C'est la watt que j'préfère"

"C'est la watt que j'préfère"

Salon de l’automobile oblige, les gazettes regorgent ces jours-ci d’articles et points de vue souvent contradictoires, parfois teintés de mauvaise foi, sur la voiture. Il faut dire qu’entre habitants isolés habitant des pays gigantesques et parisiens vivants sans voiture, ou au contraire aimant écouter FIP dans le bouchon du périphérique le dimanche soir, chacun à son avis ! En vérité, là comme ailleurs en matière environnementale la réponse est dans la nuance et le pragmatisme. Oui, la voiture (voire l’avion !) dans le Nevada, difficile de faire sans. Pareil dans certaines de nos provinces. Le car sharing, c’est bien aussi. L’usage du vélo, électrique ou non, également. Partout, l’intermodalité est assurément la clef !

Mais un autre débat prend le dessus sur tous les autres : la « watture ». La watture, ce véhicule électrique appelé à remplacer, à l’horizon 2035, nos « bagnoles » dotées de moteurs thermiques fumant et pétaradant. Réduction des émissions de Co2 dans l’air mais production à impact environnemental inquiétant, efficacité énergétique versus dépendance aux minerais rares, la voiture électrique concentre toutes les injonctions paradoxales de la transition environnementale et économique. Ces injonctions, on les retrouve aussi dans les hésitations du régulateur européen, au gré des élections. Mais sauf changement de législation européenne (qui reviendrait à casser le thermomètre pour ne pas voir la maladie), le secteur n’a d’autres choix que d’aborder ces problématiques de manière proactive. 

Le gouvernement français souhaite porter à 2 millions d’ici 2030 le nombre de voitures produites en France – là où la moitié de la valeur d’une voiture électrique réside dans sa batterie, moteurs électriques et logiciels. Autant d’éléments, et souvent de nouveaux acteurs qui, pour l’heure, ne sont pas français. De même, l’écrasante majorité des terres rares utilisées dans les batteries sont extraites et surtout raffinées en Chine, à 90%. Aujourd’hui et pour longtemps, la Chine est le seul pays à avoir su construire sur son territoire l’ensemble de la chaîne de valeur permettant de construire une voiture électrique.

L’objectif des politiques françaises et européennes est in fine non pas d’« emmerder les Français », comme disait Pompidou, encore moins l’industrie automobile européenne, à la peine, mais bien de repenser le transport, de réduire  ses émissions de gaz à effet de serre mais aussi de (re)trouver des champions européens. Le consensus scientifique est clair : il n’y a pas de décarbonation de l’activité économique possible sans décarbonation du transport. Dans le calcul des émissions d’une voiture électrique sur l’ensemble de son cycle de vie, il reste des incertitudes mais là aussi le consensus scientifique est clair : la voiture électrique gagne toujours face à la voiture thermique.  

Il reste, selon l’ADEME, que l’impact environnemental d’un véhicule électrique sera d’autant meilleur selon le mix énergétique utilisé pour sa recharge, ainsi qu’en fonction de son poids et de la puissance de sa batterie, de l’intensité de l’usage du véhicule. S’il s’agit d’une deuxième voiture, autant qu’elle soit légère. Bref, ce n’est pas si simple. Et cela tombe bien, car chez (RE)SET, nous aimons les défis et nous voulons commencer à réfléchir aux solutions !

L’impact environnemental et notamment l’utilisation de minerais rares doivent être compensés par l’allongement de la durée de vie et la possibilité de réparer. La voiture électrique peut, ironiquement, se caler sur le modèle économique longtemps développé par sa cousine, la voiture thermique. En effet, ce secteur a longtemps été « à l’avant-garde des bonnes pratiques de réemploi, de réparation, de pièces d’occasion, riche d’un écosystème économique divers et dynamique », comme le rappelle l’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée).

L'éthique de la chaîne d'approvisionnement des batteries doit quant à elle être garantie par une traçabilité accrue des matières premières. Les process de production, toujours à la recherche d’une meilleure rentabilité, sont eux aussi pointés du doigt. Par exemple, le « giga-casting », technique consistant à produire plusieurs pièces automobiles d’un seul bloc, implique un remplacement potentiel de la voiture (moins cher que la réparation !) au moindre choc.  Tesla a d’ailleurs récemment fait machine arrière sur le sujet.

Enfin, le secteur devra s’organiser et se structurer, en réunissant l’ensemble de ses acteurs, pour prendre en charge la fin de vie des batteries – et notamment s’atteler à la problématique de leur recyclage. Par ailleurs, il faut fortement accroître le renforcement des compétences et de l'expertise pour l'entretien et la réparation des véhicules électriques.

Concevoir des voitures c’est bien, pouvoir les utiliser c’est mieux ! La France aurait besoin de 4 fois plus de bornes électriques qu’actuellement d’ici 2030 – et ces dernières doivent être déployées sur l’ensemble du territoire (et pas seulement en ville) pour assurer la possibilité de faire des trajets longues distances.

Concevoir de bonnes voitures et pouvoir les utiliser, c’est bien, mais vouloir les utiliser, c’est encore mieux ! Le consommateur, comme souvent en matière de transition, aura le dernier mot. Et si l’on ne souhaite pas que cette transition là se traduise aussi par un rejet et une aggravation des disparités sociales, il faut que les constructeurs jouent le jeu. Pour faire court : que leurs véhicules soient conçus pour un usage familial, à des prix « adaptés ». Tout va dans le même sens : pour que les « wattures » se développent au mieux pour la société et pour l’environnement, il faut qu’elles soient simples, solides, réparables, légères et peu chères. On en est assez loin. C’est tout l’enjeu de l’une des stars du salon de l’automobile, la Renault 5 électrique. En revanche, la future R4, ou 4L, symbole de la « bagnole populaire » des années 60 et 70, dévoilée ces jours-ci, rate le critère de prix, s’il faut en croire les médias spécialisés : deux ans de SMIC, ce n’est pas raisonnable pour démocratiser la watture !

Finalement, et comme on le rappelle régulièrement chez (RE)SET, la transition environnementale n’est pas « magique ». En 2024, la prime à la conversion au véhicule électrique a vu son montant maximum diminuer de 1 000€. Les industriels français vont devoir s’adapter et proposer des véhicules électriques à bas prix, comme le font certains constructeurs chinois. La France et l’UE sont confrontés à un nouveau dilemme : augmenter toujours plus les droits de douane, « à l’américaine », pour les protéger de la concurrence chinoise, ou au contraire, stimuler cette concurrence pour faire baisser les prix – en faveur des consommateurs français. Certains industriels ont choisi de prendre le problème à l’envers : Stellantis a annoncé vendre des « wattures » de l’enseigne chinoise Leap Motors dès la rentrée 2024, après être devenu actionnaire de l’entreprise en octobre dernier. Les constructeurs chinois, eux, se laissent convaincre par les droits de douane élevés d’implanter directement leurs usines en Europe. Ils sont en avance, technologiquement. A nous de faire comme l’Empire du Milieu l’a fait il y a 20 ans, par exemple en matière ferroviaire : assortir ces implantations d’obligations de partage de la technologie et du « know how » …

L’industrie automobile doit se préparer à gravir l’Everest en watture. Prévoyez les chaînes. Watt else ?! 😉

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