La non-sollicitation comme facteur de différenciation?
Pourquoi est-il de plus en plus difficile pour les marques qui font le pari du marketing par l’expérientiel scénographique et interactif — du simple stunt par une installation interactive éphémère aux projets permanents d’aménagements et d’expériences scénographiques à grand déploiement — de se différencier vraiment au sein de leurs industries respectives, même avec les technologies les plus avancées? Comment mettre les technologies de l’audiovisuel, de l’interactif et de l’intelligence *ambiante au service d’un storytelling qui permet aux entreprises de réellement se démarquer aux yeux de leurs clients ou employés en leur faisant vivre des expériences pertinentes et porteuses de sens?
Je crois que les problématiques et approches de solutions que j’évoque ici concernent toute entreprise — sans distinction d’industrie, taille, mission ou modèle d’affaires — en position de poser un geste médiatique dans le but de toucher, d’informer, ou tout simplement de se rapprocher de ses clients ou employés. Et je ne parle pas ici du contenu qui fait et fera toujours la différence, quel que soit le sujet, l’intention ou le médium.
Plutôt que de tenter d’en mettre plein la vue à tout prix et grand renfort de projecteurs laser, haut-parleurs multipoints ou murs de LED, comment les décideurs peuvent-ils faire le pari d’utiliser les technologies de pointe — Intelligence artificielle et ambiante, capteurs et senseurs de nouvelle génération, déclencheurs dématérialisés** — pour offrir à leurs clients ou à leurs employés une expérience personnalisée, pertinente et porteuse de sens facteur de réelle différenciation?
* L’intelligence ambiante qualifie entre autres des environnements dans lesquels les éléments technologiques présents interagissent de façon transparente pour l’utilisateur pour lui offrir divers des bénéfices résultant de cette interaction supérieurs à ce que peuvent offrir individuellement ces éléments technologiques.
**Déclencheurs d’action ou interaction sans utilisation d’appareils ou périphériques autres que l’utilisateur lui-même, ses mouvements, expressions faciales et interactions éventuelles avec ses pairs et/ou son environnement.
Foisonnement et lassitude
Il y 30 ans, l’expérientiel tel qu’on l’entend aujourd’hui dans les Marcom, l'interactif et le “tout technologique” prenaient tranquillement leur place, notamment dans le monde de l'art numérique en émergence depuis la fin des années 50. Peu importe le nom que l’on donnait à ces artistes “numériques” ou “en nouvelles technologies”, leurs productions étaient encore réellement synonymes de magie. L’internet d’alors ne concernait pratiquement que l’armée et les institutions d’enseignement, les jeux vidéo étaient encore confidentiels, l’affichage publicitaire essentiellement sur papier et les concerts et spectacles grand-public se passaient d’abord et avant tout sur la scène, les écrans géants installés autour demeurant l’exception plutôt que la règle. Aujourd’hui, les pixels sont partout, tout le temps et de plus en plus. De l’écran de nos téléphones, montres et tablettes à ceux des panneaux vidéo d’affichage publicitaire, jusqu’aux façades d’immeubles illuminées de projections architecturales en passant par nos ordinateurs et téléviseurs.
L’extase éventuellement provoquée par la prouesse technologique est de plus plus en plus éphémère. Dans le domaine de l’expérientiel interactif, la durée de vie du fameux “WOW” recherché par tout professionnel Marcom se réduit chaque jour un peu plus et les progrès dans le domaine des technologies de la diffusion de contenus sont si rapides et continus que la nouveauté cesse très rapidement d’en être une.
Alors, est-ce que se contenter d’ajouter au “bruit” ambiant suffit à une marque pour se différencier et porter plus haut son étendard? Y a-t-il d’autres moyens pour vendre ses saucisses que d’en projeter une de la taille d’un Zeppelin à la sortie du métro?
Haute résolution = basse résolution
L'objectif de toute médiatisation est en général très précis et nécessite impérativement l'attention des gens pour leur vendre un savon, une assurance qu'ils ont déjà ou un énième téléphone portable.
Or, quelque soit le soin apporté à médiatiser un environnement et peu importe les technologies employées — aussi récentes et haute-résolution fussent-elles — le résultat demeurera toujours infiniment plus "basse-résolution" que ce que le réel peut offrir.
Il suffit de regarder de plus près l’expérience que peut procurer une simple visite dans un parc un jour d’été. Que l'on s'allonge au soleil pour bayer aux corneilles ou dévorer un livre, on peut décider de porter attention au souffle du vent dans nos cheveux... Ou pas. On peut porter attention au spectacle des rayons du soleil à travers les feuilles d’arbre sur les pages de notre livre... Ou pas. On peut perdre toute notion du temps en observant les fourmis grouiller dans tous les sens ou collaborer pour emporter une miette de son sandwich. Ou pas...
Une expérience de nature, où l'attention sur quoi que ce soit n'est jamais exigée, est diamétralement opposée à celle d'un message médiatisé. En ce sens, le raccourci qui consiste à supposer que tout ce qui ne sollicite pas à tout prix est potentiellement porteur de richesse est-il pertinent?
Favoriser l’inattendu
Il est possible de créer la surprise — et donc de marquer, toucher ou au moins interpeller de manière plus durable — en sortant par exemple du sempiternel rectangle à images et en ne se contentant pas d’ajouter par-ci par-là écrans et projections vidéo “standard”.
Faire apparaître une image là où on ne l’attend pas ou encore favoriser le traitement acoustique et les paysages sonores interactifs peuvent donner des résultats peut-être moins spectaculaires au premier abord mais propices à la création d’une expérience inédite riche et porteuse de sens.
Les outils et savoir-faire dans le domaine de l’intelligence ambiante permettant de travailler dans des espaces en volume évoluent à un rythme tel qu’il est possible désormais d'appliquer de nombreux principes interactifs vers des espaces “non-scriptés” pour lesquels on ne connaît ni le nombre de visiteurs, ni les gestes qu’ils vont poser, quand et à quelle vitesse ou encore comment ils vont interagir entre eux et avec leur environnement.
Par exemple, le groupe Marriott a fait de hôtel Renaissance en plein cœur de Manhattan le premier hôtel "numérique vivant" de la Grosse Pomme. Des senseurs, caméras et détecteurs combinés à des projecteurs vidéo et haut-parleurs permettent de proposer aux visiteurs une série d'expériences alimentées par l'analyse de leur nombre et de leurs mouvements, direction, vélocité, gestes et direction du regard pour leur offrir des contenus différents et personnalisés à mesure de leur exploration de l'hôtel. Par exemple, chaque visiteur se voit assignée une signature sonore qui le suit et se transforme lorsqu’il croise un autre visiteur qui se promène lui aussi avec sa “bulle de son”. La simple rencontre de deux inconnus dans un couloir crée alors un événement sonore — une mélodie, un rythme, les possibilités sont infinies — et devient prétexte à l’échange. Que ce soit par le biais de contenu de type "atmosphérique" ou d'informations plus précises, la ville de New York parle directement au visiteur par l'entremise d’une scénographie active.
Pour se différencier, solliciter moins, solliciter mieux
Après 30 ans de métier dans l’industrie de la créativité, pour des institutions culturelles “techno” d’envergure internationale et l’entreprise privée en interactif de pointe, je suis convaincu qu’il est essentiel que l’ensemble des acteurs — professionnels Marcom et designers d’expériences de tout acabit — aient la volonté d’éduquer les clients sur ce que cela signifie que de se différencier réellement et ce que la technologie rend possible aujourd’hui.
Cela passe aussi évidemment par une meilleure compréhension des aspirations réelles du client en question, au-delà de ses besoins et désirs exprimés. Dans le cadre d’un mandat, un client nous demandait de concevoir pour lui un programme de projections architecturales pour la façade de ses quartiers généraux. À l’issue de la toute première séance de travail et après avoir posé les bonnes questions, le mandat nous était donné de concevoir un programme de signalétique interactive, ainsi qu’un café et un restaurant pour ses clients et employés.
C’est un métier que de parvenir à saisir ces fameuses aspirations profondes car elles ne sont que rarement exprimées puisque la plupart du temps, votre interlocuteur n’en a pas lui-même conscience. Les outils et savoir-faire du domaine de l’expérientiel scénographique et interactif évoluent sans cesse. Libre à nous de nous en servir pour donner corps à ces aspirations, participer à créer du sens, et offrir un peu plus que de la distraction.
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À propos de l’auteur Depuis 30 ans, Hugues Monfroy met résolument son énergie, sa plume et son entregent au service de la création, la production et la mise en œuvre d’idées, de produits ou services utiles, bienveillants et porteurs de sens dans plusieurs industries du monde de la culture, de l’art, du spectacle, de l’événement, du marketing - expérientiel notamment - et de la communication. Il a participé au rayonnement et à la croissance de nombreuses marques et dirigeants qui ont en commun la recherche de résultats d'excellence. linkedin.com/in/huguesmonfroy
Conférencier, formateur, coach de marque (et de ceux qui la font vivre !)
5 ansExcellent point de vue, j'adhère !
Je crée des images et des environnements, statiques et en mouvement, virtuels et physiques. — I create images and environments, static & moving, real & virtual. | CD, AD, Researcher, Artist & Mentor.
5 ansAlleluia. Du bonbon pour mes oreilles.