Cette nuit la liberté...et demain le chaos ?
Nous y sommes… Demain, c’est la libération ! On l’a enfin vaincu cet envahisseur mortel qui depuis 55 jours nous impose une assignation à résidence. Bien sûr, on nous a accordé quelques sorties mais il ne fallait pas ruser avec les gardiens : 135€ pour être allé voir sa dulcinée cloîtrée dans maison de retraite ou pour être allé acheter son pain sans emprunter le chemin le plus court, ça fait cher l'écart de conduite. C'était tolérance zéro. On se prendrait presque à rêver que ce soit la norme à présent, tout le temps et en tous lieux…
Au fait, on a fait quoi pour être privés de la liberté fondamentale de se déplacer pendant près de trois mois ? Quelle infraction nous reproche-t-on pour nous maintenir enfermés au moment où revient le printemps ? On ne le sait toujours pas...
Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’il y a des métiers essentiels à la survie du pays en crise et d’autres moins. Le personnel soignant, bien sûr ! Je dis « bien sûr » parce que ça ne semblait pas si évident quand nous regardions, impassibles, notre merveilleux système de santé se faire dépouiller par des gestionnaires technocrates. Désormais, chaque soir, nos bonnes âmes applaudissent les médecins, infirmières et autres anges gardiens de notre santé. Il y a quelques semaines, ils manifestaient dans les rues et pour un peu, nous aurions soutenu ceux qui les rudoyaient, obéissants ainsi à une hiérarchie qui ne fait plus la distinction entre la lettre et l’esprit d’un ordre. Heureusement, tout va changer maintenant. Vous y croyez ? Moi pas. Pourquoi ? Parce que tant qu’on gardera les mêmes chefs d’orchestre, la musique sonnera faux. C’est comme ça depuis quarante ans. Depuis cent ans. Plus jamais ça. La der des ders. Et remplacer par qui ? Même ceux qui nous proposent des mélodies (radicalement) différentes, jouent d’abord leurs propres partitions : celles faites pour les premiers violons (eux qui n’y vont jamais d’ailleurs) pendant que l’obscur joueur de triangle ou le besogneux percussionniste, continueront à s’époumoner pour survivre dans la cacophonie ambiante.
Remarquez, cette crise aura eu quelques mérites (il faut toujours positiver le pire). Les parents se sont (enfin) rendus compte que s’occuper de leurs enfants toute une journée, c’est épuisant. Depuis le temps que les assistantes maternelles, les institutrices et les ATSEM leur disaient que leurs petits anges étaient des démons et que ce n’était pas le rôle de l’école de leur enseigner la politesse. Faire des enfants reste relativement simple (quoique...) et assez gratifiant dans notre société. Les élever correctement, c’est une autre paire de manches courtes !
Nos agriculteurs aussi ont eu leurs 55 jours de gloire. Je parle des petits producteurs pas de ceux qui spéculent sur le cours des céréales et se sont empressés de vendre des tonnes de nos stocks de blé à l’étranger. On a réalisé qu’un pays « en guerre » peut vivre sans aller au cinéma ou à l’opéra, n’en déplaise à tous les intellectuels auto-proclamés qui s’érigent en défenseur d’une culture française qu'ils ont contribué à transformer en un divertissement grandguignolesque. En fait, nous, les provinciaux, savions bien que nos paysans étaient vitaux pour la pérennité du pays. Pour sa prospérité et pour même pour sa paix. Ma grand-mère disait : « les chevaux se battent quand il n’y a pas assez de foin dans l’étable. » De masques de protection, en l'occurrence... Prospérité et paix sont les deux préconditions pour nourrir et développer une exception culturelle française. Et non l’inverse. Il n’y a guère qu’à Paris, et dans les grandes villes, qu’on imagine qu’un publiciste à la retraite, un footballeur reconverti ou un ex-mannequin sont plus utiles au bonheur d’un peuple qu’un agriculteur ou un commerçant. Et je ne parle pas des apôtres de la foi…Que tous ceux-là se rassurent : l’embellie sera de courte durée et le désossage de notre modèle agricole au profit d’une hyper concentration industrielle reprendra de plus belle. Au détriment des consommateurs, des petits producteurs et même des millions de petits et grands êtres vivants qui passent leur (courte) vie sur terre à grossir pour finir dans notre assiette. 55 jours de confinement nous ont paru une éternité ? Alors, passer sa vie entière dans une minuscule cage devrait révolter notre conscience d’espèce dominante. On aimerait aussi entendre nos stars sur ce sujet. Mais il y a des choses plus importantes comme de savoir si les plages vous rouvrir ou non. Si nous pourrons à nouveau acheter un max de fringues et manger un hamburger. Ah les beaux jours qui reviennent !
Oui, cette crise nous aura révélé quelques évidences. Par exemple, que le confinement avec sa famille à la Baule est mieux que dans un HLM à Sarcelles. Ça permet de bien se ressourcer et de peaufiner ses arguments pour remettre au travail ceux qui n’ont pas pu profiter de l’iode marin durant deux mois, fut-ce en sacrifiant leurs congés d’été.
Mais aussi que l’argent qui nous fait défaut pour remettre à flot l’école, les hôpitaux ou pour investir massivement dans une véritable transition écologique, existe bel et bien. On en avait eu un avant-goût avec l’immeuble de l’île de la Cité qui a brulé il y a un an. Tous ses millions pour reconstruire « à l’identique » un monument aux morts quand tant de vivants crèvent de faim. Je me demande comment il aurait réagi le Fils du charpentier ? On a bien compris que les critères d'une petite ville des Pays-Bas ne sont que des chiffres sur un papier buvard ; un argument pour les naïfs que nous sommes encore. Face à l’urgence et avec un minimum de volonté politique, on peut donc passer outre. Reste à définir ce qu’est l’urgence: sauver la planète ou Air France... Au moins, nous avons vu que la théorie du ruissellement, si chère à ceux qui vivent dans les nuages, vaut surtout pour les grosses entreprises. Quelques milliers d’euros lâchés du bout des comptes publics pour les PME et des milliards pour les championnes des dividendes reversés aux actionnaires, de l’optimisation fiscale et de la délocalisation à l’étranger. Allez y comprendre quelque chose...La Fontaine en pleure de joie : "selon que vous serez puissant ou misérable"...
Elle nous aura également éclairés sur l'immense détresse de nos aînés dont la fin de vie a été encore plus isolée et triste qu’à l’accoutumée. Le bon Blaise nous l'avait parié : "le dernier acte est sanglant". Alors, on sous-traite désormais cette voie sans issue à des industriels du mouroir, souvent par obligation plus que par choix. Ou du moins, on s'en convainc...
Pourquoi en serait-il autrement ? Depuis des lustres, tout nous incite à éluder nos responsabilités : l’éducation de nos enfants, c'est pour l’école ; les soins à apporter à nos parents, le problème des EHPAD. Nos petits bobos, on les gère aux urgences. Quant aux aléas de la météo, il revient à l’État de tout régler. Le même État qu'on accuse en permanence de vouloir s'introduire dans notre vie privée. Mais après tout, pourquoi pas ? Si le bonheur de vivre l’instant présent est à ce prix. À condition de ne pas oublier que perte de responsabilités va toujours de pair avec perte d’autonomie décisionnelle. Ce qui vaut pour la France face à l’UE, vaut aussi pour les individus face à tous ceux qui les incitent à se décharger de leurs prérogatives...
Je pourrais continuer ainsi la longue liste des enseignements de cette crise mais les bonnes âmes me diraient que ce n’est pas le moment, que l’heure est à l’union nationale et que le temps des explications viendra. Vous y croyez, vous ? Moi pas. Parce qu’après toute crise, chacun n’a qu’une idée en tête, coupables comme victimes : passer à autre chose pour oublier ou se faire oublier. Bien sûr, il y aura des procédures judiciaires et le temps de la justice est plus long que celui des bons sentiments. Mais une loi amnistiant par principe et largement les responsables est toujours envisageable. La deuxième vague législative, en quelque sorte...
Non, rien ne changera. Les Poppys l’ont bien chanté. Et les dernières mesures prises ou envisagées sur le contrôle des citoyens dans l'espace public ou privé ne seront pas de nature à encourager les velléités sociales. Et, de toute façon, qui suivre ? Qui pourrait légitimement symboliser l’ensemble des attentes des Français ?
Mais ne nous y trompons pas. Cette crise était prévisible car elle n’était pas inédite. Depuis le SIDA, nous savons qu’une maladie contagieuse a de beaux jours dans des sociétés où les citoyens sont de plus en plus grégaires et mobiles. Et nous savions que trouver un vaccin demande plus qu'une intelligence scientifique. Il faut un marché ! En 2009, le H1N1 avait été un premier avertissement sérieux. La réponse du gouvernement nous avait alors paru disproportionnée. Aujourd’hui, on redorerait presque le blason de ceux qui, finalement, n'ont rien fait d'autre que de céder au chantage des laboratoires pharmaceutiques. A l’époque, il nous avaient menacé d’une pénurie de vaccins. L’Histoire se réécrit toujours à l’aune du futur. Puis, il y eu le SRAS, Zika et même Ebola qui n’eurent que peu de conséquences sur notre territoire métropolitain. Et ce qui se passe loin, nous concerne moins. Il n'y a qu'à regarder du côté du Yémen pour s'en convaincre.
Toutes les espèces vivantes ont leur prédateur. Les Humains n’y échappent pas. C’est peut-être là, le premier enseignement de la crise du Covid19. L’humilité. La conscience de notre fragilité malgré nos bombes et nos ordinateurs. La chair et le sang qui se rappellent à l'arrogance de notre cerveau.
Cette année, l’Humanité s’est trouvée confrontée à un ennemi invisible et insidieux qui reviendra. L’auteur d’Orages d’acier le savait : « et toujours reviennent les temps. »
Alors, autant nous y préparer dès à présent.
10 MAI 2020