Changer de logiciel pour comprendre et traiter l’autisme

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> Les données sur l’autisme sont bien connues : un impact fort,

car cette maladie, avec une incidence1 de 1,4 %, affecte la communication,

une fonction essentielle au coeur de nos sociétés

modernes. Et pourtant, malgré les « plans autisme » successifs

et les sommes parfois faramineuses investies (des centaines

de millions de dollars aux États-Unis), la pathogenèse de cette

maladie est peu comprise et aucun traitement pharmaceutique

n’est approuvé par les autorités européennes ou américaines. Il

me semble qu’en plus de la complexité et l’hétérogénéité de l’autisme,

le réductionnisme génétique et le peu de prise en compte

du développement du cerveau expliquent notre échec relatif.


En effet, l’autisme est généré in utero. Les données épidémiologiques

montrent une augmentation de son incidence après des

infections virales ou bactériennes, l’inflammation in utero, la

prématurité, les césariennes programmées, l’utilisation de médicaments,

dont la tristement célèbre dépakine, les perturbateurs

endocriniens ou l’exposition pendant la grossesse à des pesticides,

y compris à une distance de 1,5 km des champs d’épandages

(plus que les 3-5 mètres préconisés par les politiques).

Les centaines de mutations génétiques identifiées y contribuent

aussi, mais avec une pénétrance2 faible et une occurence3 mal

estimée (15/20 % ?), limitant leur valeur diagnostique et surtout

ayant un intérêt limité sur le plan thérapeutique. En effet,

tout événement pathologique in utero, qu’il soit génétique ou

non génétique, produit des séquelles en modifiant la croissance

cérébrale, la maturation du cerveau et la formation des réseaux

de neurones qui vont perturber le fonctionnement cérébral, à

l’origine du syndrome autistique. Ainsi, la croissance du périmètre

crânien suit une courbe ascendante progressive, qui se ralentit

peu avant la naissance, peut-être en préparation de cette période

vulnérable. Des données expérimentales issues de nos travaux

suggèrent que ce ralentissement est aboli dans l’autisme, des

structures cérébrales comme l’hippocampe ou le néocortex continuant

à croître au cours de la naissance. Les périmètres crâniens

d’enfants et d’adolescents autistes sont parfois plus grands,

voire de type « mégalencéphale », suggérant une modification

de la croissance in utero en accord avec des observations

cliniques de l’équipe de Bonnet-Brihault4 [1]. Des études

post-mortem montrent d’ailleurs une augmentation du

nombre de neurones dans certaines régions corticales, en

accord avec une pathogenèse intra-utérine. Par conséquent,

l’autisme naît pendant la grossesse et la naissance

sans que nous puissions pour l’instant faire un diagnostic

à ce stade. Afin de comprendre et traiter l’autisme, je

préfèrerais que nous concentrions nos efforts sur la détermination

de la succession d’altérations produites par

l’événement inaugural sur le développement du cerveau

plutôt que sur l’identification de nouvelles mutations

génétiques.

Dans ce contexte, la première notion fondamentale à retenir

est que le cerveau immature n’est pas un petit cerveau

adulte. Les mouvements in utero ne sont pas volontaires

mais réflexes, les signaux corticaux supposés les déclencher

survenant après le mouvement et non avant. Les ondes

rétiniennes générées par une stimulation visuelle chez un

prématuré ne permettent pas de voir. Elles sont transformées

plus tard en réponses rapides, compatibles avec la

vision. Tous les courants ioniques sensibles au voltage ou

aux transmetteurs, comme les patrons de décharge qu’ils

engendrent, sont spécifiques du cerveau immature et remplacés

plus tard par une pléthore de patrons de décharge

adultes. Tout se passe comme si les rôles de ces patrons

de décharge immatures et adultes différaient. Avec mon

collègue et ami Nick Spitzer5, nous avons proposé, au début

des années 2010, le concept de « checkpoint » (« point de

contrôle ») : les activités immatures permettent de valider

ou d’infirmer le câblage des réseaux, câblage qui n’est en

rien automatique. Gènes et activité opèrent en série, et bien

malin celui qui pourra les séparer !

Si la construction du cerveau implique des processus spécifiques,

l’affection intra-utérine va produire ses effets par

des mécanismes spécifiques du cerveau immature. L’événement

pathologique générateur in utero, qu’il soit génétique

ou environnemental, entraîne des séquelles durables, qui se

manifestent en symptômes, parfois des années plus tard.

Le concept de « neuro-archéologie » [2] propose que ces

événements inauguraux pathologiques dévient les séquences

maturatives, aboutissant à des malformations cérébrales et

des neurones mal placés ou mal connectés, responsables du

syndrome autistique. J’ai ainsi suggéré que les neurones mal placés

ne « mûrissent » pas, et engendrent dans le cerveau adulte

des courants ioniques et des patrons de décharge immatures,

cause directe de la maladie. L’étude des désordres migratoires

associés à des épilepsies infantiles confirme cette hypothèse,

les crises étant générées par ces régions dotées de neurones

immatures. Ces observations impliquent, au plan thérapeutique,

que des médicaments ou molécules de confort peuvent avoir des

effets différents chez la mère et son embryon/foetus. Ainsi, la

dépakine, antiépileptique efficace chez l’adulte, engendre des

malformations majeures pendant la grossesse. Son utilisation

permet d’ailleurs de disposer chez les rongeurs d’un excellent

modèle animal d’autisme. Le concept de neuro-archéologie

ouvre de nouvelles perspectives de traitement car des molécules

qui bloquent sélectivement ces activités immatures pourraient

atténuer la sévérité de la maladie, avec peu d’effets secondaires.

Cette approche est moins ambitieuse que la thérapie génique, qui

a vocation à guérir la maladie, mais plus réaliste, car il est peu

probable que le « bon gène » puisse faire revenir le cerveau à la

situation ante, avec une migration et un rétablissement de la

connexion des neurones avec leurs cibles.

Je vais illustrer ces propos par des recherches expérimentales

entreprises il y a trois décennies et qui pourraient aboutir à un

nouveau traitement de l’autisme. Au départ, il y a la découverte

de taux élevés de chlore intracellulaire [(Cl-)i] dans les neurones

immatures, qui se traduisent par une modification de la

polarité de l’acide gamma-amino-butyrique (GABA), qui, au lieu

de se comporter en principal médiateur de l’inhibition, favorise

l’excitation des neurones cibles. Cette propriété, respectée tout

au long de l’évolution, est à l’origine des actions trophiques

du GABA. Ensuite, nous avons observé que les taux élevés de

[(Cl-)i] baissent pendant la parturition et la naissance sous

l’action de l’hormone ocytocine, qui a aussi pour rôle de déclencher

le travail et les contractions utérines. Cette action de l’ocytocine

a des effets neuro-protecteurs pendant cette période

hautement vulnérable. Or cette baisse de [(Cl-)i] pendant la

parturition est abolie dans de nombreux modèles animaux

d’autisme (dépakine in utero, syndrome de l’X fragile, syndrome

de Rett ou inflammation intra-utérine), suggérant une baisse

des actions de l’hormone. L’administration maternelle, juste

avant la naissance, de bumétanide, qui réduit les taux de [(Cl-)

i] et restaure l’inhibition GABAergique, atténue la sévérité de

l’autisme chez le nouveau-né [3, 4]. Ces données suggèrent que

la parturition et la naissance peuvent atténuer ou aggraver un

processus pathologique intra-utérin, avec des conséquences à

très long terme. Les implications sont importantes, sachant le

rôle de l’ocytocine à la naissance sur l’attachement entre la

mère et son bébé et les effets des naissances prématurées et des

césariennes programmées sur l’incidence accrue de l’autisme.

Les implications sont aussi thérapeutiques. En effet, les taux

de [(Cl-)i] élevés et l’inhibition du GABA réduite persistent

dans l’autisme mais aussi dans diverses autres affections : les

lésions de la moelle épinière, les traumas crâniens, l’accident

vasculaire cérébral, les douleurs chroniques, les épilepsies, la

trisomie 21, la chorée de Huntington ou le syndrome de Rett.

Cette liste à la Prévert suggère que, dans l’autisme comme

dans de nombreuses maladies/accidents cérébraux, l’inhibition

GABAergique est atteinte avec un « retour à la situation

immature ». Du coup, il devient possible de réduire la sévérité

du syndrome autistique, en réduisant les taux de [(Cl-)i], avec

des agents comme la bumétanide, un antagoniste sélectif du

principal importateur de chlore. Avec mon collègue et ami Éric

Lemonnier6, nous avons décidé de tenter cette approche dans

le traitement de l’autisme, en nous fondant sur l’observation

que les benzodiazépines, dont l’action passe par le GABA, ont

souvent des effets paradoxaux chez des enfants autistes,

suggérant l’existence éventuelle de taux élevés de [(Cl-)i].

Plusieurs centaines d’enfants ont été traités lors de deux

essais de phases II menés en double aveugle, avec une nette

amélioration de la sociabilité, les parents insistant sur une

plus grande « présence » de leurs enfants. Utilisant le même

protocole, trois études indépendantes montrent des effets

positifs du traitement avec la bumétanide sur la sévérité de

l’autisme. Nos essais menés par l’entreprise Neurochlore,

créée notamment avec Éric Lemonnier, Nouchine Hadjikhani7

et Denis Ravel8, ont constitué une base essentielle pour entrevoir

le développement d’un traitement. Et, effectivement,

avec l’accord des autorités européennes et de la Food and

Drug Administration (FDA) américaine, et la collaboration de

Neurochlore, l’entreprise pharmaceutique française Servier a

commencé un essai de phase III en Europe, Australie, Brésil

et bientôt aux États-Unis. Le futur, j’espère proche, nous dira

si cette approche est couronnée de succès. Il est intéressant

de noter que des travaux d’imagerie cérébrale et du suivi du

regard - effectués en collaboration avec Nouchine Hadjikhani

– ont montré une amélioration de la communication visuelle et

une plus faible activation de l’amygdale par le traitement avec

la bumétanide, confirmant notre hypothèse de travail. Ainsi,

une idée fondée sur des données de recherche fondamentale

confrontées à une expérience clinique pourrait aboutir à un

traitement médical de l’autisme, illustrant l’importance de

sortir des sentiers battus. La compréhension et le traitement

de l’autisme passent par l’étude de la grossesse et de la naissance

[5]. Il faut déterminer comment la naissance affecte

ces séquences maturatives et comment bloquer les activités

immatures que ces séquences engendrent. Il est étonnant que

nous ne sachions quasiment rien sur la préparation du cerveau

à la naissance, épisode très stressant s’il en est, ni comment

cette transition est modifiée dans des maladies du développement

cérébral. Sur les plans clinique et thérapeutique, nous

devons combiner diagnostic et traitement comportemental

précoces afin d’atténuer le syndrome autistique de façon

plus efficace que des interventions plus tardives. La « neuroarchéologie

» offre un cadre conceptuel pour aborder les

recherches futures sur le traitement de l’autisme. ‡

Changing software to understand and treat autism: replacing

genetic reductionism by study of maternity and birth

LIENS D’INTÉRÊT

Y. Ben-Ari est fondateur et président de Neurochlore : start-up dédiée au développement

d’un traitement de l’autisme et des maladies du développement

cérébral.

RÉFÉRENCES

1. Bonnet-Brihault F, Rajerison TA, Paillet C, et al. Autism is a prenatal disorder:

evidence from a late gestation brain overgrowth. Autism Res 2018 ; 11 : 1635-42.

2. Ben-Ari Y. Neuro-archaeology: pre-symptomatic architecture and signature of

neurological disorders. Trends Neurosci 2008 ; 31 : 626-36.

3. Tyzio R, Nardou R, Ferrari DC, et al. Oxytocin-mediated GABA inhibition during

delivery attenuates autism pathogenesis in rodent offspring. Science 2014 ; 343 :

675-9.

4. Lemonnier E, Villeneuve N, Sonie S, et al. Effects of bumetanide on

neurobehavioral function in children and adolescents with autism spectrum

disorders. Transl Psychiatry 2017 ; 7 : e1124.

5. Ben-Ari Y. Les 1000 premiers jours. Comment se construit le cerveau, l’importance

du lien mère-enfant, l’hormone de l’attachement (Th. Raisse contributeur). Paris :

Éditions HumenSciences/Humensis, 2019.


אחד מהגדולים בעולם כל הכבוד.

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