Cheminer vers une gouvernance humaine et éthique
Le secteur social et médico-social traverse une période de profonde crise d’attractivité et de remise en question. Cheffe de service en CHRS, je suis convaincue que notre mission de solidarité doit s’accompagner d’un travail introspectif sur nos modèles d’organisation. Nous devons non seulement résister aux facteurs externes, mais aussi revoir nos pratiques de direction pour qu'elles soient en phase avec les exigences éthiques et humanistes de notre profession. Les réflexions de Francis Batifoulier, consultant spécialisé dans l’accompagnement des équipes de direction, éclairent ce chemin de transformation nécessaire. Son dernier article dans la revue Direction est inspirant.
La crise d’attractivité et le phénomène de désœuvrement
Le secteur social et médico-social fait face à une crise d’attractivité, exacerbée par des pressions économiques, politiques et sociétales. Francis Batifoulier observe un phénomène de « désœuvrement » parmi les équipes de terrain, une incapacité à donner sens à leur travail en raison d’un manque de reconnaissance, notamment salariale. Dans ce contexte de crise multiforme, les dirigeants peuvent être tentés de se réfugier dans la norme et la procédure, ce que Jean-Pierre Pinel appelle la « quantification froide ». Toutefois, cette approche, bien que compréhensible, se révèle inefficace sur le terrain et ne répond pas à l’attente de reconnaissance et de sens des professionnels.
Les causes de ce désœuvrement ne se limitent pas à la reconnaissance salariale. Le COVID-19, le contexte géopolitique, la situation politique en France, l’individualisme croissant, et l’inflation sont autant de facteurs externes anxiogènes. De plus, dans un contexte professionnel où le sens et l'éthique guident nos actions, les contraintes étatiques et les modifications des politiques publiques, telles que la loi immigration, alourdissent encore la situation. La bureaucratie à tout va contribue également à ce sentiment de désœuvrement, en éloignant les professionnels des valeurs humanistes qui les animent.
Consolider le socle éthique comme ancrage collectif
Le travail social vise à garantir l'accès aux droits fondamentaux, favoriser l'inclusion sociale et promouvoir une pleine citoyenneté. Il œuvre pour l’émancipation, l’autonomie, la protection et la participation des personnes, contribuant ainsi au changement social et au développement de la cohésion sociale. Sous-tendu par des principes éthiques et déontologiques, le travail social repose sur des connaissances universitaires, le savoir pratique des professionnels et les savoirs expérientiels des personnes accompagnées. Ces fondements éthiques, véritables piliers de notre profession, reposent sur la dignité humaine, la justice sociale et les droits universels et inaliénables de chaque individu. En tant que dirigeant, incarner et renforcer ce socle éthique est crucial pour maintenir une visée instituante au sein de nos organisations.
La posture de direction : Chef d'orchestre de son organisation
Le rôle du dirigeant dans le secteur social et médico-social est comparable à celui d’un chef d’orchestre. Tout comme un chef d'orchestre harmonise les talents individuels pour créer une symphonie cohérente et émouvante, le dirigeant doit aligner les efforts de son équipe sur des valeurs éthiques partagées pour atteindre des objectifs communs. Cela nécessite une compréhension profonde des dynamiques organisationnelles, une capacité à se remettre en question, à inspirer et à motiver, et une volonté de faire face aux défis avec résilience et créativité.
Francis Batifoulier souligne l'importance de l'équipement psychique par un travail personnel de transformation pour diriger dans la durée. Cette transformation personnelle permet aux dirigeants de rester alignés avec les valeurs fondamentales de justice sociale et de dignité humaine, et de répondre efficacement aux crises tout en maintenant l’engagement et la motivation des équipes. En tant que cheffe de service, je suis convaincue que nous devons non seulement résister aux pressions externes mais aussi engager un travail introspectif sur nos modèles d'organisation. Il est essentiel de questionner nos pratiques, d'explorer de nouvelles façons d'apporter notre expertise dans la direction de nos institutions, et de rester fermes dans notre mission commune de solidarité et de justice sociale.
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Une direction éthique et humaniste
Diriger une organisation dans le secteur social et médico-social ne se limite pas à la gestion administrative ou à l’application des normes. C’est un engagement profond envers l'humanisation des pratiques, la valorisation de chaque personne et la promotion d’un environnement inclusif et respectueux. Les dirigeants doivent incarner les valeurs qu'ils souhaitent voir se refléter dans leur organisation. Cela inclut la transparence, l’équité, l’empathie et une écoute active des besoins et des aspirations des professionnels et des personnes accompagnées.
Dans un monde en constante mutation, où les crises se multiplient et où les repères traditionnels sont bouleversés, le secteur social et médico-social a besoin de dirigeants capables de naviguer avec clairvoyance et intégrité. Consolider le socle éthique de notre profession ne se résume pas à une nécessité, mais à une obligation morale. Il s'agit d'inspirer les équipes non seulement avec humanité, mais aussi en incarnant les valeurs de solidarité et de justice sociale qui sont au cœur de notre mission.
Pour avancer dans cette direction, il est impératif de ne pas craindre le changement, mais de l'accompagner avec discernement. Cela nécessite d'établir des limites claires pour éviter les conflits de valeurs et les dilemmes éthiques qui peuvent surgir. Comment alors concilier les transformations du secteur avec la préservation de nos principes fondamentaux ? Comment naviguer dans des eaux troubles tout en restant fidèles à nos engagements éthiques profonds ?
Pour ne pas conclure
Ces interrogations nous invitent à une réflexion plus profonde et philosophique sur notre rôle en tant que professionnels du travail social. Elles soulignent l'importance de maintenir un équilibre délicat entre adaptation aux défis contemporains et fidélité à nos valeurs intrinsèques. En cultivant cette réflexion, nous renforçons notre capacité collective à transformer les défis actuels.
Ainsi, résister à la tentation d'abdiquer est essentiel. Nous devons être des forces de plaidoyer, en défendant les droits fondamentaux, en luttant contre les injustices et en promouvant une société plus juste et inclusive. C'est en restant fidèles à notre éthique et en agissant comme des agents de changement que nous pourrons véritablement faire la différence.
Pour naviguer efficacement dans ce contexte complexe, Pierre Bourdieu, sociologue, nous rappelle l'importance de l'action sociale comme un levier de changement. En intégrant ses idées sur le champ social et le pouvoir symbolique, nous comprenons que notre rôle dépasse celui de simples acteurs institutionnels : nous sommes des agents du changement social.
Consolider le socle éthique de notre profession revêt ainsi une dimension stratégique. Non seulement cela renforce notre capacité à défendre les droits fondamentaux et à promouvoir la justice sociale, mais cela nous permet également de résister aux pressions externes et de naviguer avec intégrité dans un environnement parfois hostile. En suivant cette voie, nous nous positionnons comme des acteurs engagés dans la transformation positive de notre société, en lien avec les valeurs de solidarité et de dignité humaine que Bourdieu a tant défendues.
Bibliographie
Adjointe de direction medico social
6 moisJe suis d’accord !