Chlordécone, glyphosate… Quand l'histoire se répète

Chlordécone, glyphosate… Quand l'histoire se répète

Il est toujours surprenant de voir que l’histoire, aussi dramatique soit-elle, n’a aucun impact face aux lobbies des industries des pesticides et agroalimentaires. Malgré les alertes, les rapports de nombreux spécialistes, les mises en garde sanitaires, rien y fait ! La santé est sacrifiée au profit ... du profit immédiat.

Petit retour dans le temps… 

En 1976, les Etats-Unis interdisent le Chloredécone : la manipulation et le rejet de ses substances dans la rivière James, dans les années 1960 et 1970, ont attiré l'attention du pays sur ses effets toxiques sur les humains et la faune. La pêche y est interdite pendant 13 ans du fait des risques sur la santé, et jusqu'à ce que les efforts de décontamination de la rivière commencent à porter leurs fruits.

En Espagne, l’autorisation d’utilisation du Kelevan (Chloredécone) a expiré en 1975 et il faudra attendre 1982 pour que la République Fédérale d’Allemagne interdise son utilisation, et 1984 en ex-RDA. En Hongrie et dans l’URSS, le Kelevan était toujours enregistré en 1986, et il a été banni seulement en 1999 en Estonie.

Qu’en est-il de la France, si exemplaire quand il est question d’environnement ? 

Le 18 septembre 1972, Jacques Chirac, alors Ministre de l’Agriculture et de l’Aménagement Rural délivre une Autorisation de Mise sur le Marché provisoire pour le chlordécone sous la dénomination commerciale de Képone, autorisation renouvelée en 1981 par la Ministre de l’Agriculture Edith Cresson, sous le nom Curlone.

Il faudra attendre le 1er février 1990 pour que l’autorisation du chlordécone soit retirée partout en France. Sauf qu’en avril 1990, pour répondre au lobby des planteurs bananiers martiniquais - soutenant qu'il n'existait pas de pesticide alternatif (ça ne vous rappelle rien ?)-, le député Guy Lordinot interpelle le Gouvernement pour solliciter une prolongation de la commercialisation du chlordécone.

Et il y a du stock à écouler… Le 5 juin 1990, Henri Nallet, ministre de l’Agriculture, autorisera une dérogation de deux ans uniquement pour les départements de l'outre-mer. L’autorisation sera renouvelée en 1992 par Louis Mermaz, Ministre de l’Agriculture et des Forêts, et en février 1993 par Jean-Pierre Soisson, Ministre de l’agriculture et du développement rural, qui répond favorablement à une demande de la SICABAM [Société d'intérêt collectif agricole de la banane martiniquaise] pour utiliser le reliquat de chlordécone.

Ce n'est que le 30 septembre 1993 que le pesticide sera enfin interdit à la vente aux Antilles françaises.

Depuis, on sait que la Martinique et la Guadeloupe présentent certains des taux de diagnostic de cancer de la prostate les plus élevés au monde. Un décret paru en 2010 interdit la pêche jusqu'à 500 mètres au large des côtes; la zone d'interdiction serait passée en été 2013 à 900 mètres.

Selon l'INRA et l'Afsset (devenue ANSES depuis sa fusion avec l'AFSSA), le ministère français de l'Agriculture n'a pas ou peu tenu compte des nombreuses alertes sanitaires et environnementales et a privilégié les intérêts économiques (culture bananière) sur l'environnement et la santé dans sa gestion du dossier, alors que dès 1977 des études mettaient en évidence les risques écologiques et sanitaires de ce produit.

De nombreuses plaintes contre X sont actuellement en cours d'instruction :

"Des associations et la Confédération paysanne ont déposé une plainte contre X en 2006 pour « mise en danger d’autrui et administration de substances nuisibles ». Le Monde a pu consulter le procès-verbal de synthèse qu’ont rendu en 2016 les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Le document révèle que l’entreprise Laguarigue a reconstitué un stock gigantesque de chlordécone alors que le produit n’était déjà plus homologué. Or « au moins un service de l’Etat a été informé de cette “importation” », puisque ces 1 560 tonnes « ont bien été dédouanées à leur arrivée aux Antilles » en 1990 et 1991, précisent les enquêteurs." [Le Monde]

Cela ne vous rappelle vraiment rien ?

Le 29 mai dernier, dans le cadre du projet de loi sur l’Agriculture du ministre Stéphane Travers, l’interdiction du glyphosate a été rejetée par une majorité de 63 députés sur 85 votants … Et on apprend dans les jours qui suivent que cet amendement a sciemment été décalé par le président de l’Assemblée Nationale à un moment où l’absentéisme culmine (2h00 du matin). Mais il faut être « réaliste », « tant qu’on n’a pas une alternative pour nos paysans ».

La même « alternative » plaidée en 1990 pour permettre d'écouler le stock de chlordécone dans les Antilles. 

Le glyphosate, classé depuis le 20 mars 2015 comme « probablement cancérogène » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), et pour lequel les manœuvres de la puissante firme américaine MONSANTO ont été mis en lumière dans le scandale du Monsanto Papers, a encore de beaux jours en France.

Mais au-delà du scandale sanitaire, environnemental et humain qui aurait dû inciter nos élus à interdire les pesticides du type glyphosate ou chlordécone, la question économique de la prise en charge des conséquences sanitaires et environnementales devraient inquiéter notre gouvernement.

"L'utilisation du glyphosate a causé chez certains agriculteurs des problèmes de santé irréversibles. L'État leur verse une légère compensation, mais les industriels qui ont mis en vente les produits sans donner d'informations sur leur dangerosité ne leur versent rien."

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