Chronique de rue et intelligence émotionnelle

« Vous n’avez pas honte, vous n’avez pas le droit d’être comme ça… », une dame interpelle avec véhémence, deux passantes devant moi, rue de Rennes à Paris. L’une, baskets aux pieds est habillée de noir, porte un voile noir et le bas de son visage est caché par le voile. Des deux, c’est celle habillée de jean et avec un blouson qui semble la plus choquée. Ces deux jeunes femmes ont continué leur chemin, marchant normalement, sans se cacher, sans être guidées ou surveillées par un homme devant ou derrière elles. Bref, deux jeunes femmes qui se baladent.

Laissons de côté le sujet et regardons plutôt comment fonctionne l’émotion qu’il suscite.

Cette dame en colère, s’est, sans doute, sentie agressée, par la vue de quelque chose qui l’emmène dans une émotion de surprise, puis de dégoût voire de tristesse, de peur ensuite et en réaction de défense à cette peur, à la colère.

Cela me fait penser aux allergies. Vous savez, ce poil de chat (la salive du félin qui y est déposée en fait) qui peut emmener jusqu’à une crise d’asthme en passant par les démangeaisons et les crises de rhinites…Pourtant le chat ne fait rien de mal, notre système immunitaire est juste déréglé et nous croit agressé par une substance toxique et c’est notre propre réaction qui nous rend malade.

Cette dame est allergique. Aux voiles, au musulmans, aux jeunes filles ? Était-elle juste énervée par autre chose ce jour-là et avait besoin d’un exutoire ? je ne peux le savoir. Son système émotionnel « immunitaire » s’est senti en danger, « ses valeurs sont menacées ». (nb : Dans un pays dont les valeurs sont liberté, égalité et fraternité, je vous laisse juge de qui menace les valeurs dans cette histoire).

Si cette dame était moins sensible, elle aurait pu, par souci d’équité, aborder cette jeune femme d’une manière aimable et lui demander ce que signifie ce voile pour elle, engager un échange, c’est accueillir, c’est questionner sans jugement, c’est chercher à comprendre ce que l’on ne connait pas ou pas bien. Elle, et moi aussi, aurions peut être été surpris de la réponse.

Pour cela, elle devait permettre à son néocortex*, de traiter l’information de manière rationnelle et non de laisser l’amygdale* réagir sans autre résultat que d’ostraciser une personne, d'en mettre en colère une autre…et de se perturber elle-même.

Comment ai-je, moi, utiliser mon émotion, pour préserver mes valeurs ? Plutôt que de m’en prendre à l’agresseur, j’ai préféré sourire à l’agressée, lui parler. Le résultat que je souhaitais obtenir : faire sentir à cette jeune femme que tout le monde n’était pas contre-elle et ainsi, je l’espère, atténuer un peu cette sensation d’être rejetée et peut être d’inciter à un jugement modéré sur son environnement et non un rejet de la société. Elle m’a répondu gentiment : « vous savez, j’ai l’habitude », ce qui m’a attristé profondément.La prochaine fois, j'oserai demander pour quelle raison elle porte ce voile.

NB : je n’ai pas d’avis sur les signes ostensibles de religions, (notre religion dominante n’a d’ailleurs pas trop de leçons à donner sur le traitement des femmes), je condamne toute forme de contrainte et de violence et c’est rarement les religions qui dictent cela mais plutôt leur interprétation ou leur absence. Dans l’union européenne (avant Brexit), une femme sur 3 subit des violences sexuelles entre 15 et 59 ans et une sur deux est victime de harcèlement**.

J’aimerai pouvoir utiliser mes émotions, ma colère, à chaque fois pour quelque chose et non contre autre chose ou quelqu’un. Je n’y arrive pas toujours, pas tout de suite mais j’y travaille et je repasse chaque scène où j’ai l’impression que j’aurai pu faire différemment pour un meilleur résultat pour moi et pour les autres. Le temps est important, se laisser du temps, pour laisser le néocortex travailler. Bonne nouvelle, je progresse et ceux qui me connaissent savent de quoi je parle quand je parle de colère et bonne nouvelle, je sais aussi demander pardon lorsque je n’ai pas laissé travailler le néocortex.

Accueillir l’autre, ses différences, ses choix, c’est lui faire confiance, l’encourager à être mieux, l’encourager à accueillir également les autres et leurs différences et si ça ne marche pas, on aura la satisfaction d’avoir fait de notre mieux et on pourra passer à un autre sujet.

Bon courage émotionnel

Philippe Négrier

* Les émotions peuvent se déclencher sans la moindre intervention de la pensée et prendre le dessus sur la raison pendant un temps donné, avant que le système cognitif ait pu analyser l’information rationnellement. Si ce fonctionnement a pu sauver des vies maintes fois au cours de l’histoire humaine, il peut aussi être source d’une réaction inappropriée dans notre quotidien.

* www.lafabriquedeladanse.fr/2019/formations/formations-leadership/comment-fonctionnent-les-emotions-dans-notre-cerveau/

** www.vie-publique.fr/eclairage/19593-la-lutte-contre-les-violences-faites-aux-femmes-etat-des-lieux