Chroniques vingt-et-unièmes — Comment sera le monde ?
Une grande nouvelle : après pratiquement quarante ans de dur labeur, l’Académie française vient de sortir la nouvelle version – la neuvième – de son dictionnaire. Une version commencée donc à une période où Internet n’existait pas, ni les réseaux sociaux, ni les smartphones, ce qui conduit nécessairement, parmi les 59 000 termes qu’elle comporte, à en ignorer certains tels que « mail » ou « web ». Un argument suffisant pour considérer cette version comme déjà dépassée, ce qui ne va pas empêcher nos « immortels » d’entamer aussitôt la dixième qui paraîtra peut-être en 2060. Est-ce justement ce qualificatif d’« immortel » qui enveloppe les académiciens d’un sentiment d’éternité où le temps n’est qu’une variable secondaire ?
Peut-être, pense Kevin. Il n’ose imaginer comment sera le monde en 2060, quels nouveaux mots seront utilisés à ce moment-là, reflets scintillants d’une époque aussi agitée que l’actuelle, aussi désespérante qu’envoûtante, autant emplie de questions sans réponse et de problèmes sans solution, mais que l’on cherchera à vivre dans toute sa plénitude, car que pourrait-on y faire d’autre ? Et une certitude, si le monde existe encore, celle de toujours y contempler par des yeux rêveurs la Lune du Castor, cette Super Lune, pleine et à son périgée, qui a illuminé le ciel dans tous les endroits du globe en ces nuits des 15 et 16 novembre.
Mais pensons à autre chose… La prochaine séance du Liber Circulo approche, et Marcus va sûrement me demander, comme il le fait tous les ans, parce que je suis agrégé de littérature, de résumer les prix décernés en cette rentrée littéraire.
Heureusement, Kevin a pris quelques notes. Et évidemment, il faut commencer par Houris, vainqueur du Prix Goncourt. Le Goncourt, objet de tensions encore plus vives que d’habitude entre la France et l’Algérie. Car le jury du restaurant Drouant a choisi de récompenser Kamel Daoud, auteur engagé, défenseur de la liberté d’expression, ce qui ne peut que lui attirer des ennuis des autorités de son pays, à tel point que ces mêmes autorités ont interdit à Gallimard l’accès au Salon international du livre d’Alger, sans parler de la plainte déposée contre lui pour « violation du secret médical » par une femme, victime de la « décennie noire » des années 1990 qui constitue le thème de son roman, parce qu’il y aurait relaté le parcours de celle-ci confié à son épouse psychiatre.
Kevin ignore la part de vrai de ces événements, mais ce n’est pas suffisant pour l’empêcher de lire l’ouvrage de Kamel Daoud. Et il songe à une autre « année noire », 1994, celle du génocide rwandais. Car Gaël Faye, auteur-compositeur et chanteur, mais également écrivain, finaliste lui aussi du Goncourt, a remporté le Prix Renaudot. On le connaît déjà avec Petit pays paru en 2016 qui nous plongeait justement dans les affres de ce génocide. Cette fois, avec Jacaranda (du nom d’un arbre de la famille des Bignoniaceae, un genre qui comprend environ 50 espèces, la plus répandue étant le flamboyant bleu, d’après les articles qu’a lus Kevin), c’est l’histoire tourmentée du Rwanda qui défile au travers de la vie de quatre personnages se succédant dans le temps. Selon Grasset, l’éditeur, « Comme un arbre se dresse entre ténèbres et lumière, Jacaranda célèbre l’humanité, paradoxale, aimante, vivante ».
De nouveau un livre à lire, mais la pile augmente de volume…
Pour le Prix Femina, et le Grand Prix du roman de l’Académie française, c’est Miguel Bonnefoy (franco-vénézuélien) avec Le Rêve du jaguar qui remporte les deux – un exploit. L’itinéraire édifiant d’un individu parti de rien, puisqu’abandonné par sa mère et recueilli par une mendiante, qui va donner naissance à une lignée dont la réussite sera totale, et ce sur fond d’histoire là aussi agitée du Venezuela.
Sujet très intéressant, encore, mais le temps va me manquer…
Et quant au Prix Médicis, il récompense un roman autobiographique, Ann d’Angleterre, que l’autrice, Julia Deck, a consacré à sa mère. Un hommage et une quête qu’elle résume ainsi : « Je suis fascinée par la trajectoire romanesque de ma mère depuis très, très longtemps. Parce que c’est une personne née dans un milieu très modeste, avant la Seconde Guerre mondiale, où personne n’avait fait des études, et qui s’est beaucoup déplacée, à la fois socialement et intellectuellement, artistiquement ».
Je devrais peut-être prendre une année sabbatique pour lire tout ce qui me reste à lire, mais il y aura l’année prochaine, avant 2060, une autre rentrée littéraire… Et heureusement, d’autres Lunes du Castor…
FIN
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@GDambrev – Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
18 novembre 2024