Chroniques vingt-et-unièmes — S’abstenir de tout commentaire
Gauthier Dambreville
Auteur de VarIAtions, recueil de nouvelles, chez L'Harmattan (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)
— La rentrée, déjà !
— Ne soit pas effondrée, ça revient tous les ans !
— Je n’arrive pas à m’y faire… Bientôt l’hiver.
— C’est vrai, mais on n’a jamais été aussi près du printemps !
Évidemment, Xavier n’a pas tort, même si la remarque d’Émeline est le reflet de deux mois trop vite passés. On sent monter l’agitation politique, les universités d’été se sont tenues et il y a ce « coup », ce scoop un peu éventé toutefois il y a deux semaines par le JDD version Geoffroy Lejeune, une information qu’Olivier Faure a dénoncée comme une fake news, accusant l’hebdomadaire de ne plus être un journal. Ce coup, donc, c’est la liste d’union de la gauche que souhaite Ségolène Royal aux Européennes et dont elle se propose de prendre la tête. Histoire de lancer une « dynamique d’action ».
— Tu crois vraiment qu’ils vont faire l’union ? interroge Émeline.
C’est un pari audacieux, une grande ambition de l’ex-candidate à la présidence de la République. Elle l’a exprimé dans un tweet : « L’aspiration à l’unité des gauches et des humanistes pour mettre fin aux chaos de toute nature, pour stopper le déclin de la France, de ses acquis et de son histoire, pour réaliser l’ordre juste en France et en Europe, pour sortir de la régression climatique, pour redonner un sens à la morale de l’action en politique, le refus de voir les jeunes s’installer dans le désespoir et l’absence de futur, me conduit, à la demande et avec de nombreux amis engagés avec sérieux, à conduire une liste d’union pour les élections européennes, dans un esprit de transmission aux nouvelles générations, en leur épargnant le régime d’extrême droite qui nous menace ».
« L’ordre juste en France et en Europe ». Ségolène Royal sait jouer de la corde sensible. Une promesse de bonheur universel, en somme, dont elle se proclame l’artisane désintéressée. Qui pourrait s’y opposer ? Une façon d’enfoncer le clou après son dernier livre, Refuser la cruauté du monde. Un slogan qui fait rêver et qui se veut rassembleur ; un projet, selon sa promotrice, de nature à régler tous les problèmes, présents et à venir. Malheureusement, le rassemblement souhaité semble patiner. Les écologistes et les communistes ont, sans l’attendre, prévu chacun leur liste, et Olivier Faure (toujours lui) a réagi fraîchement : « On verra s’il existe un désir d’avenir commun grâce à Ségolène Royal ».
Finalement, de quoi s’agit-il ? De l’union de Ségolène Royal en son nom propre et des insoumis ? A-t-elle l’intention de rejouer le scénario de la primaire populaire de l'automne 2021 pour investir le candidat d’union de la gauche alors que chaque parti avait déjà fait son choix, scénario qui a mené au fiasco que l’on sait avec la désignation de Christiane Taubira, laquelle a dû immédiatement se retirer ?
— La voie de Ségolène Royal est impénétrable, se contente de répondre Xavier.
Éric Coquerel, lui, a évoqué un « poisson d’avril ».
Mais ce n’est pas la seule information concernant Ségolène Royal. On commente aussi sa participation prochaine, comme chroniqueuse, à l’émission « Touche pas à mon poste » de Cyril Hanouna, une émission dont l’audience ne cesse d’augmenter, malgré les amendes de l’Arcom qui pleuvent sur elle. Ce sera une séquence hebdomadaire appelée « Ségolène explique », où elle sera censée « donner les clés » de l’actualité politique.
En tout état de cause, certains pourraient penser : que va-t-elle faire dans cette galère ? Mais après tout, n’est-elle pas déjà intervenue régulièrement sur C8, LCI et BFM TV où elle a d’ailleurs été exclue après ses propos controversés sur les crimes de guerre des Russes en Ukraine. On pourrait y voir une cohérence avec ses projets européens afin de lui assurer un nouveau tremplin. Il est toutefois possible qu’elle y rencontre du chahut. Mais ce ne serait pas pour lui déplaire, un peu de buzz ne fait jamais de mal.
C’est effectivement l’idée qui traverse l'esprit d'Émeline.
Mais d’autres – Xavier, sans chercher bien loin – considéreraient qu’il existe une certaine porosité entre le monde politique et les médias.
Ségolène Royal n’est pas la seule en effet à s’être laissé séduire par le mirage de la télé. On a ainsi entendu Roseline Bachelot sur différentes chaînes et radios entre deux ministères : D8, RMC, LCI, BFM TV encore, et RTL dans l’émission « Les Grosses Têtes » !
Et à l’inverse, Louis Boyard doit sa notoriété à son rôle de chroniqueur chez Hanouna, ce qui ne lui a sûrement pas nui, avant de se fâcher avec l’animateur, pour se faire élire député LFI.
Et on oublie également qu’Éric Zemmour était à peu près complètement inconnu du grand public avant d’être éditorialiste chez Ruquier.
— Je la regarderais bien intervenir au moins une fois, pour me faire une idée… dit Xavier.
— Moi, aussi, répond Émeline. D’ailleurs, je suis contre les barrières et les cloisonnements. On a bien vu Macron inviter tous les chefs de parti à l’Élysée. Et ils ont bien discuté ! La rencontre qui a commencé à 15 heures devait se terminer à 22 heures. Mais elle a duré jusqu’à 3 heures du matin !
— Ouais, mais pour moi, ce n’était pas suffisamment représentatif. Je regrette qu’il n’ait pas invité un représentant des abstentionnistes… Ils ont quand même fait 50 % aux dernières élections !
— Je ne sais pas si ç’aurait été utile. De toute façon, il n’aurait rien dit…
— Je m’abstiendrai de tout commentaire…
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FIN
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@GDambrev – Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
4 septembre 2023