CLOTILDE HESME, FLAMME FORTE
Photo Jérôme Bonnet pour «Libération»

CLOTILDE HESME, FLAMME FORTE

Rencontre à domicile avec l’actrice qui a rendu sa défroque de muse arty et entend rééquilibrer une balance audiovisuelle penchant vers le masculin.

Le jour de l’interview de Clotilde Hesme, un renard joue à cache-cache avec les services de la RATP. Planqué dans une anfractuosité haute tension, le goupil égaré oblige le métro à osciller mollo et à couiner moderato. Ce qui donne au trajet vers le XIXe arrondissement et la tour où habite l’actrice une coloration touffue et un peu irréelle. Propriétaire d’un 100 m2«avec vue sur le béton», la native de Troyes poussée à la campagne joue d’emblée franc-jeu. Les cours arborées et les faux-semblants végétalisés des bobos parisiens ne la branchent pas.

Sagement assise sur le coin de son lit pour les besoins de la photo, inconsciente du regard admiratif que lui jette un lapin de porcelaine, elle porte jeans, tee-shirt blanc et baskets. Son mètre 78, la mélancolie intemporelle de ses prunelles vert d’eau et sa bouche framboise écrasée l’ont parachutée dans le mannequinat à 15 ans. Jean-Luc Brunel, pourvoyeur en chair fraîche du Moloch Epstein, était le patron de son agence. Alors, celle qui fut ambassadrice Chanel et laisse désormais courir sur ses tempes quelques fils argentés tempête contre l’impunité des puissants et prône l’imprescriptibilité pour les viols sur mineurs. Dans Amour fou, la mini-série que diffuse Arte, elle campe un médecin que le hasard d’une consultation va faire basculer dans un passé jusque-là jugulé. Temporel et affectif, le court-circuit révèle de sympathiques noirceurs et entaille quelques certitudes sur le couple, les apparences et le désir d’enfant. Mathias Gokalp, le réalisateur, évoque une comédienne à la palette subtile. «Avec elle, il n’y a jamais de mauvaise prise. Elle maîtrise l’ensemble du scénario et construit le personnage de manière très large. Elle a toujours une longueur d’avance. Par contre, elle est tellement respectueuse des autres qu’elle se laisse parfois envahir. Là, elle était en train de se faire grignoter son premier rôle !» Interpréter la normalité quand elle franchit la bande d’arrêt d’urgence et fait quelques tonneaux, Clotilde Hesme adore. Mais elle n’a pas la névrose chevillée à l’âme. Tandis que notre délire animalier gambade et qu’on se focalise sur deux petites biches de pacotille complotant en silence dans la bibliothèque, l’énergique quadra nous décoche de larges sourires, ricoche avec brio sur tous les propos, décroche une photo de sa mère, responsable des mises sous tutelle dans un centre d’action sociale, puis nous tend un cliché de son père, un gamin qu’on peine à imaginer greffier au tribunal.

Adoubée par le cinéma d’auteur, elle a tourné avec Philippe Garrel, Christophe Honoré, les frères Larrieu. Aujourd’hui, elle ne veut plus du terme égérie : «Y’en a marre d’être des muses !» Et, la parité en étendard, bataille contre la phallocratie. Pour porter l’estocade, elle n’hésite pas à dégainer le test de Bechdel, une évaluation en trois points de la présence féminine dans une œuvre audiovisuelle : Y a-t-il au moins deux personnages féminins portant des noms ? Ces deux femmes se parlent-elles ? Leur conversation porte-t-elle sur un sujet autre qu’un personnage masculin ? Récompensée en 2012, elle réclame plus de transparence dans le fonctionnement d’une Académie déstabilisée et applaudit Adèle Haenel qui brise l’omerta. Dans «son petit cercueil», un coffret en bois estampillé «Produits du Sud-Ouest», son césar s’oxyde et elle ne s’en offusque pas.

Ses sœurs Elodie et Annelise, qui évoluent dans le même milieu, la surnommaient «Petite Che Guevara» ou «Don Quichotte». Polie et policée, l’actrice sait aussi lâcher la bride au cow-boy à éperons qui sommeille en elle. Fabien Gorgeart, réalisateur et ami, lui donne d’ailleurs du «John Wayne». «Avant de la rencontrer, je la pensais distante, froide, intellectuelle. En réalité, elle a un côté camarade de chambrée, pote de service militaire. De par sa drôlerie et son énergie, elle me fait sortir des clichés de représentation des filles.»

A un jet de pierres de son balcon, il y a le Cours Florent qu’elle a fréquenté avant d’entrer au Conservatoire. Le théâtre, vital, lui permet d’exister en tant que sujet. Elle aime l’engagement physique que demande la scène et l’imaginaire un peu magie noire de ces projets pas forcément efficaces ou rentables. Réfractaire aux réseaux sociaux, elle assume son anachronisme en ne pépiant pas sur Twitter et en frustrant les 583 abonnés Instagram en attente de son premier post. Elle ne renie pourtant pas l’air du temps, pratique le yoga et se revendique décroissante.

Ni mariée ni pacsée, elle a deux enfants avec son compagnon technicien dans le ciné. Jean a 8 ans, Selma 3. Elle les a mis au kung-fu, trouve essentiel de complimenter son fils sur ses tenues et de ne pas bêtifier façon chienchien à susucre avec sa fille. Observateur, l’aîné a remarqué que les tâches culinaires incombaient surtout à son père et demandé quel était le masculin de «féministe». Celle qui a tourné enceinte et tiré son lait entre deux prises voudrait qu’on octroie aux femmes la liberté de ne pas enfanter. Quand on l’interroge sur l’instinct maternel, elle ouvre le bouquin Love Me Tender de Constance Debré et lit : «Mère, ça n’existe pas. Mère comme statut, comme identité, comme pouvoir ou non-pouvoir, comme position, de dominé et de dominant, comme victime et comme bourreau, ça n’existe pas […]. Il y a l’amour, et c’est tout autre chose.» Certaine que la famille est une institution à dépasser, elle ferait volontiers la peau à «la violence générationnelle», ces histoires dont on hérite et qu’on transmet malgré soi. Pour elle, la sororité semble surtout avoir été vecteur de vocations, si on l’écoute raconter les soirées télé de son enfance, la série Santa Barbara où elle s’identifiait au flic enquêteur, le cinéma américain et ses héros, les clips de Balavoine sans cesse rejoués par le trio. «Bon, dans Petit Homme mort au combat, j’étais le gosse décédé, donc je n’avais pas grand-chose à faire», glisse la benjamine avec humour. Dans l’isoloir, elle fut Hamon, puis Macron. Mais jure qu’on ne lui refera pas le coup de l’homme providentiel. Aujourd’hui, elle soutient les profs et manifeste contre la loi Blanquer.

Balayant les stéréotypes de genres, elle a parfois désarçonné les hommes. Se souvient de sa déception en découvrant dans un coin de la scène le bouquet de fleurs qu’elle avait fait livrer à un amoureux théâtreux. Sinon, elle ne croit pas à une guerre des sexes ni au puritanisme à nos portes. Avec ses deux sœurs, elle bosse sur un projet de téléfilm. Le thème ? La première grève des femmes contre le droit de cuissage.


1979 Naissance à Troyes

2005 Les Amants réguliers (Philippe Garrel).

2012 César du meilleur espoir.

2012 et 2015 Série les Revenants.

20 février 2020 Série Amour fou (Mathias Gokalp), Arte.

Nathalie Rouiller photo Jérôme Bonnet pour «Libération»

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