La transition numérique à l'aune de la transition énergétique

La transition numérique à l'aune de la transition énergétique

Si Internet peut dématérialiser les connaissances et les communications, sublimer la mobilité, rendre le "monde plat", il ne peut être au-dessus des lois de la physique : il consomme de l'énergie. Par delà les coûts qu'il engendre et les économies qu'il promet, il nous renvoie directement et individuellement à nos modes de vie et de consommation.

Le grand rendez-vous inter-gouvernemental de la Cop 21 s'achèvera bientôt sur quelques engagements permettant de préserver la flamme de cette démarche et de repousser temporairement un rendez-vous d'éternité que nous a envoyé il y a peu notre système bioclimatique. A défaut d'avoir pu envoyer un signal fort en faisant venir les délégations à pied ou à vélo, pour d'évidentes raisons logistiques, l'usage de systèmes de téléconférence n'a pas été plébiscité, certains symboles restant plus forts que d'autres. En fait, il n'aurait pas été spécialement opportun de le faire car, en empreinte carbone, la sur-couche informatique de l'humanité, Internet, pèse à présent autant que l'aviation [1] avec cependant une particularité importante : Internet ne fonctionne qu'avec de l'électricité, qui rappelons-le n'est pas disponible à l'état naturel et qui doit donc être produite de façon continue car elle ne peut être stockée. Internet puise donc in fine dans le stock d'énergie des pays par lesquels il passe, énergies fossiles, énergie nucléaire (si centrales existantes), hydroélectrique (si barrages installés) ou renouvelables (si présentes et disponibles), et donc fossile au premier ordre. A titre d'exemple, Internet consomme 16% de l'électricité au Royaume-Uni (source Royal Society), provenant à 40% du charbon et 30% du gaz... [2]

16% ! Mais qui gaspille autant ? Hélas, la réponse n'est pas si simple et en fait, elle est diaboliquement complexe. Il faut essayer de dresser les grandes lignes comptables de la question dont les études quantitatives ne sont pas vraiment possibles dans un secteur en rapide et perpétuelle mutation. Côté augmentation des coûts énergétiques, on peut distinguer trois composantes.

1 - Ubiquité obligé, Internet s'est tout d'abord dédoublé depuis quelques années en une version terrestre et filaire et une version aérienne et hertzienne; sa parfaite disponibilité impose des couvertures complètes du territoire en ADSL, en WiFi, en 3G/4G, reliés par toutes les fibres optiques et faisceaux hertziens possibles... Toutes ces antennes, ces relais, ces routeurs, ces boitiers doivent rester sous tension 24 heures sur 24 indépendamment de leur usage. En termes énergétiques, c'est comme si on laissait des autoroutes désertes éclairées la nuit (et le jour aussi en fait...)

2 - La deuxième composante réside dans la virtualisation de l'information par la grâce des incontournables clouds. Ces derniers ont nécessité la construction de data-centers aux besoins énergétiques impressionnants, mais faible au regard de la consommation cumulée de tous les terminaux qu'ils servent (smartphones, tablettes, PC...). Ce faisant, ils font voyager l'information sur toute la terre selon une géométrie tout à fait particulière où le plus court chemin pour envoyer un courrier électronique d'un bureau d'une entreprise européenne à un autre situé au même étage, par exemple, sera de passer par un data-center en Irlande, terre de médiation entre des intérêts économiques américains et juridiques européens. Toute cette non-localité a évidemment un coût énergétique.  

3 - Enfin, les clouds ne sont pas que des entrepôts à données "un peu" excentrés du lieu d'usage, ce sont aussi des usines où la donnée est tout d'abord sauvegardée (donc répliquée avec un coût énergétique) et surtout travaillée dans les forges du Big Data dont la nouvelle marque de fabrique est le 4V : volume, vitesse, véracité, variété. Chacun de ces V nécessite de l'énergie et leurs effets se multiplient plus qu'ils ne s'additionnent. Ces usines étant à présent pleinement opérationnelles, il ne reste plus qu'à les alimenter par les données des milliards d'objets connectés (80 milliards prévus pour 2020... [8]) qui commencent à déferler dans notre quotidien et à mettre notre environnement sous coupe numérique réglée. On peut tout de même se poser la question du coût énergétique et environnemental d'autant de capteurs. Pour l'instant, aucune étude n'est visible.

Côté économies, les GAFA+ et les hébergeurs ont rapidement compris les enjeux de la question énergétique et cherchent à effacer la consommation de leurs data-centers avec différents mécanismes allant de la fiscalité à l'utilisation des énergies renouvelables [3]. Dans le même temps, la performance énergétique des terminaux, des réseaux, des data-centers, s'améliore également de façon permanente et sans sombrer dans le greenwashing. Mais ces effets ne sont intéressants que dans leur total et sont encore rarement rapportés à l'utilisateur pour qu'il en perçoive le poids dans son quotidien. Des chiffres émergent de ci, de là, qui présentent à l'utilisateur une facture encore indolore mais non nulle : 6 g de CO2 le coût d'un destinataire en plus dans un mail...[9] L'iPhone ne consomme pas 2W mais autant qu'un frigidaire si on intègre le coût énergétique dépensé dans le réseau et les data-centers associés... [4] Des études essaient également d'ébaucher quelques indicateurs mais les débats font rage par exemple sur le coût énergétique d'une requête sur Google oscillant entre 0,3W et 6W (soit un rapport de 20) ou sur la comparaison du coût énergétique de livraison d'un film en DVD ou en streaming... montrant que les méthodes de calcul ne sont pas encore prêtes à définir un indicateur énergétique mondial rapporté à l'unité d'information (et d'ailleurs pour quelle information : stockée, véhiculée, consommée ?) 

Par delà cette hypothétique comptabilité que seule la Terre pourrait tenir, il faut en plus intégrer trois dynamiques supplémentaires qui viennent changer de façon drastique les ébauches de calculs réalisés jusqu'ici. La première est celle des effets de rétroaction sur la consommation énergétique induits par l'introduction de nouvelles technologies : par exemple les smart-grids censées réguler au mieux la consommation énergétique d'un quartier ou d'une ville et réduire les ponctions sur le réseau principal. Autre exemple, le thermostat Nest qui peut jouer un rôle de tout premier plan dans l'effacement électrique en tirant parti de l'inertie thermique du bâtiment dans lequel il est installé. Enfin, dernier exemple, on peut citer tous les mécanismes d'information destinés à certains usages, comme le transport, permettant d'anticiper les embouteillages ou le stationnement afin d'éviter les gaspillages énergétiques dus à l'attente. On estime, en 2005, à 70 millions d'heures le temps passé à rechercher une place en France, correspondant à 10% du trafic environ ! [10] L'essor des applications de stationnement et de trafic a indéniablement des effets sur la consommation mais ils sont difficiles à mesurer.

Le deuxième effet est celui de latence relatif à la mise en route d'un nouveau système devant supplanter le précédent. A titre d'exemple, la consommation de papier commence à décroître dans les pays de l'OCDE, pourtant 30 ans après l'apparition de l'informatique (et ce n'est pas le paradoxe de Solow dont on parle ici). Autre exemple, le télétravail ne représente que 16% de la population active en Europe [11] et croît lentement, trop lentement au regard des moyens informatiques disponibles. Enfin, un exemple amusant est celui du Bitcoin où le débat est assez bien étayé : la consommation énergétique d'une journée de minage de Bitcoins est équivalent à celui du pic de consommation énergétique en France, soit 102.000 MWh, ce qui rapporté au prix du kWh français représente 15M€ environ... Les partisans du Bitcoin expliquent cependant avec calme et hauteur de vue que le coût énergétique du système financier traditionnel, intégrant l'extraction d'or, la maintenance de l'infrastructure bancaire, des succursales... représente 1 million de fois plus [7] et qu'il serait donc avantageux de remplacer l'un par l'autre... C'est un débat typique dans les questions énergétiques et c'est toujours une dure réalité thermodynamique de constater l'addition des coûts énergétiques par empilement des systèmes de différentes générations.

Enfin, le dernier effet est bien connu en économie : il s'agit de l'effet rebond [5], qui reflète un paradoxe intéressant de la nature humaine. Ce dernier stipule que la mise à disposition d'une nouvelle technologie censée améliorer la précédente entraine non pas une baisse, mais une hausse de la consommation associée. Le papier était un bon exemple car la numérisation de l'information a fait exploser le nombre d'imprimantes par effet rebond et donc la consommation de papier. Le TGV en est un autre : à coût constant, voyager plus vite permet d'aller plus loin dans le même temps de transport et donc d'avoir plus de choix de destinations dans le temps d'un week-end par exemple, et donc augmente in fine le volume total de voyages fait par la population. Internet est l'exemple ultime de l'effet rebond : la mise à disposition instantanée de l'information, des recherches de Google aux videos sur YouTube, l'interactivité totale offerte par Facebook avec un ping instantané entre millions d'utilisateurs, la disponibilité immédiate de l'inventaire d'Amazon s'engageant à livrer dans la journée et masquant toute la logistique et son coût énergétique associé appellent à une consommation sans retenue, car sans frictions, de toute cette abondance numérique et dont on ne comprendrait pas d'où pourraient survenir d'éventuelles limites. C'est là un des aspects à la Janus du progrès : plus de confort mais à la condition d'avoir plus d'énergie.

Des nuages à l'horizon ?

Dans notre monde fini, la production énergétique fondée sur des énergies fossiles reste limitée et est probablement rentrée à présent en contraction pour le pétrole (pic de production des énergies fossiles passé en 2007) [13], en attendant une hypothétique source d'énergie de relais. A ceci, s'ajoute une tension croissante sur les ressources due aux effets mécaniques de l'augmentation de la population mondiale, de la part croissante de son raccordement à Internet et le rattrapage économique d'une partie importante de la Chine et l'Inde qui s'invitent à la grande table des ressources disponibles (informatiques pour rester dans le sujet). Tout ceci réduit la part de chacun. A-t-on des marges de manoeuvre ? Assurément. Par exemple, une partie de l'infrastructure de l'internet africain fonctionnant sur des territoires entiers avec des antennes autonomes alimentées par un mix diesel / énergie renouvelable ne permet peut-être pas de regarder des videos de chatons toute la journée mais supporte une partie croissante du développement économique accompagnée d'une monnaie électronique adaptée (m-Pesa). Cette frugalité est riche d'enseignements sur la puissance des réseaux d'informations (l'inclusion telecom vecteur de l'inclusion financière) et de la faible empreinte physique qu'ils peuvent avoir et induire. Plus proche de nous, l'éco-conception des sites web commence à être aussi un enjeu : le poids des pages a été multiplié par 100 en 20 ans, sans parler de la video [12]. Vend-on 100 fois plus per capita ? Non, mais l'augmentation significative du coût en serveurs, en bande passante peut commencer à être perceptible à certaines périodes de l'année. Ainsi, viennent progressivement les contraintes d'un monde fini, comme par exemple des modèles tarifaires de cloud favorisant la consommation aux heures creuses de charge. Le fait de se poser la question de la neutralité du web indique aussi à présent qu'il y a un débat économique sur l'accès aux ressources et sur la tentation d'un modèle à plusieurs vitesses et donc à plusieurs prix. 

En définitive, Internet a un rôle tout à fait particulier dans la question énergétique car il se situe au plus proche de l'être humain et du consommateur, être à deux visages mais cependant unique qui ne peut vivre sans dépenser d'énergie, c'est ainsi. Par la pluralité des usages et la facilité qu'il apporte à chacun, Internet est devenu un vecteur de consommation énergétique majeur, infiniment morcelé entre les mains de chacun pilotant de façon tout aussi fragmentée la production mondiale industrielle, culturelle... Finalement, l'utilisation d'internet reflète nos modèles de consommation et il nous met progressivement et individuellement en prise directe avec notre empreinte énergétique et face à nos responsabilités. Il nous reste cependant à bien comprendre l'impact de chaque clic sur l'environnement.

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Hassan RAKID

CEO AKIANE Consulting

9 ans

Internet est chronophage en terme d'énergie... Quant au modèle du grand Lyon, je reste perplexe et je trouve toujours dommageable de dire qu'il intègre une politique d'inclusion. Un arbre n'a jamais caché toute une forêt ! Il faut que si l'on veut y parvenir cesser les hypocrisies et agir pour que les change deviennent vraiment inclusives dans le respect de toutes composantes et domaines de notre société et système.

Dommage, je serai justement en réunion dans les locaux du Grand Lyon au moment de cette conférence ... Mais le modèle économique du Grand Lyon est un modèle robuste, qui prouvera la pertinence de réunir urbanisme, transport, action économique et politiques d'inclusion sociale sur les territoires des grandes métropoles ... C'est donc un modèle exportable !

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