CO2, Transport : La clarté d'une politique de développement durable est parfaitement accessible.
Le débat actuel sur la mobilité et la taxation des véhicules est d'actualité. Voici une piste pour plus de clarté, et l'espoir d'un système vertueux.
Il est parfaitement possible d’avoir une fiscalité du transport qui soit équitable pour l’ensemble des utilisateurs, assurant le financement du réseau routier et les principes du développement durable.
Notre fiscalité est un bric-à-brac illisible ou l’on mélange des principes du siècle passé avec des considérations contemporaines : résultat un système tout aussi incompréhensible que difficilement respectable.
Prenons par exemple la notion d’« utilitaire ». Où est la différence entre le particulier qui a besoin de sa voiture pour aller au boulot et le professionnel qui a besoin de sa voiture ou camionnette pour aller au boulot ? Le kg de marchandise transportée émet-il moins de CO2 que celui des personnes ? Use-t-il moins la route ? La réponse est non bien entendu.
Le transport des personnes et des marchandises est responsable d’un peu moins qu’un tiers des émissions de CO2de notre pays ; ce constat est transposable au niveau de l’Union Européenne.
Le transport génère aussi d’autres émissions (particules, gaz favorisant le smog, …) et requiert un réseau à entretenir.
Rappelons aussi quelques éléments tellement évidents que l’on en oublie leur réalité :
- l’usage d’un véhicule est très variable d’un propriétaire à l’autre;
- un véhicule à l’arrêt (moteur éteint) ne produit pas d’émissions et n’use pas le réseau
- la production de chaque véhicule requiert l’usage de ressources diverses; ici aussi un véhicule n’est pas l’autre.
- plus il roule, plus un véhicule génère des émissions et plus il use le réseau ;
- pour parcourir 100 km tout véhicule d’un même segment a besoin sensiblement de la même quantité d’énergie et « usera » le réseau de manière identique, quel que soit son mode de propulsion (essence, diésel, électrique, gaz, hybride, …)
- par contre un même véhicule avec le même système de propulsion peut émettre et user le réseau de manière très variable en fonction de son de pilotage (beaucoup d’accélérations, de freinages et de la vitesse élevée augmentent fortement les émissions et l’usure).
- finalement tant les émissions de gaz à effet de serre que l’usure du réseau sont proportionnels aux déplacements effectués.
Au niveau européen, l’accent a été mis sur les constructeurs de véhicules qui doivent produire des véhicules dont les émissions intrinsèques sont améliorées. Malgré des tentatives diverses de tricherie et des conditions standard de test peu représentatives de l’usage réel, les véhicules d’aujourd’hui sont moins consommateurs et moins émetteurs que ceux d’hier, ils sont aussi plus recyclables. Cette voie politique simple (imposer des normes à un groupe restreint de constructeurs) a fonctionné.
On peut certes continuer d’exiger de meilleures performances (dans les limites du possible), mais cela ne sera pas suffisant.
En effet, parallèlement à cette amélioration des performances, nous constatons un accroissement important du nombre de km parcourus par les véhicules les moins performants, accroissement tel qu’il annule les effets intrinsèques à la mécanique.
Selon les statistiques fédérales[1], plus les véhicules sont petits, plus l’accroissement des déplacements est important. En fait le nombre de km parcourus par les semi-remorques est assez constant, voie même en légère diminution : 3 080 Milliard km par 48308 véhicules en 2017 pour 3 892 Millard km par 48 040 véhicules en 2007 ; alors que pour les voitures les mêmes données sont de 84 095 Millard km pour 5 798 627 véhicules en 2017 pour 79 368 Millard km par 5 042 095 véhicules en 2007 et 58 000 Millard km pour en 1990.
Notons aussi qu’au 31/12/2017, les données du ministère des transports pour les voitures de société (voitures-salaires comme il les nomme fort à propos) représentent 8% des voitures et sont fortement utilisées car elles représentent 16% des km parcourus. En terme de CO2/km, elles sont les meilleures parce que leur âge moyen est de 2 ans alors que l’âge du parc automobile autre est de 9,4 ans. Sur base purement environnementale, arrêter le système ne peut être que négatif car les voitures-salaires seront remplacées par des voitures (plus vielles en moyenne), les Kms parcourus ne changeront pas (ou peu) et l’âge moyen (et donc le CO2/km) augmentera à terme.
Outre donc les émissions qui augmentent, l’usure du réseau augmente aussi.
On peut ergoter sur les causes qui sont multiples (cout au km, en temps et flexibilité pour l’utilisateur final), mais le constat est que l’offre de transport public (la plus performante en termes d’émissions de CO2) ne correspond pas aux besoins de tous et qu’il est illusoire d’espérer que cela change radicalement. Le cout principal du transport public est le personnel, si l’on ne veut pas éroder notre système social, on n’a pas les moyens de changer.
La fiscalité est un outil naturel de toute politique. Idéalement, elle devrait être conforme au problème qu’elle est sensée résoudre (ici le double problème des émissions et de l’érosion du réseau) être équitable et son produit affecté en cohérence avec son existence. Lorsque ces conditions sont remplies, le citoyen a tendance à l’accepter.
Les taxes existantes sont :
- La taxe de mise en circulation (régionale)
- La taxe annuelle de roulage (régionale)
- La taxe sur le prix des combustibles (accises et TVA fédérales)
Les accises et la TVA sur les combustibles répondent aux conditions des émissions et de l’érosion du réseau. Elles sont presque parfaitement équitables car applicables à presque tous les usagers et sont proportionnelles à la consommation.
Pourquoi « presque », simplement parce que les véhicules qui consomment une partie d’énergie en provenance du réseau électrique ne cotisent pas de manière identique aux autres et que (une partie de) la TVA est transférée vers le client final (pour les véhicules professionnels). De plus, les véhicules électriques, qui émettent au niveau de la production électrique échappent aux accises et la TVA associée.
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La taxe de mise en circulation
La taxe de mise en circulation est une taxe « d’existence» car liée au fait d’avoir un véhicule immatriculé. Clairement toute personne qui s’est un jour penché sur le système ne peut y voir que de l’arbitraire pur et l’absence de logique. En effet, elle est généralement proportionnelle à la puissance du véhicule avec des exceptions pour ceux qui roulent le plus (les utilitaires, camions, tracteurs, taxis et les hybrides et électriques). On ne peut comprendre pourquoi un véhicule ou l’autre doit payer plus pour sa plaque d’immatriculation et encore moins le lien potentiel avec les émissions de gaz à effet de serre et l’usure du réseau.
La notion fiscale d’« utilitaire » est aussi une gifle au bon sens. Où est la différence entre le particulier qui a besoin de sa voiture pour aller au boulot et le professionnel qui a besoin de sa voiture ou camionnette pour aller au boulot? Les marchandises transportées émettent-elles moins de CO2 que les personnes transportées?
En fait notre système est un reliquat d’une taxe de luxe (les grosses voitures paient plus) qui a tellement été dénaturé par les «améliorations» et lobby de gouvernements successifs qu’elle en a perdu tout sens.
Bien entendu, il existe encore des véhicules de divers gabarits, mais force est de constater que ni le prix, ni la cylindrée ni la puissance ne sont des critères fiables de leur impact sur la route et l’environnement.
Pourtant, il faut admettre que le cout administratif de l’enregistrement d’un véhicule dans notre pays doit être couvert par l’utilisateur (soit l’existence d’une vraie taxe de mise en circulation). Ce cout devrait être identique pour tous.
Cela dit, Il est aussi possible de donner un vrai sens (politique et environnemental) à cette taxe en y ajoutant simplement (et sans exception) une base de cout environnemental de production et de recyclage du véhicule. Il existe des outils d’analyse, appelés Analyses de Cycle de Vie » qui permettent cela. On l’a fait pour l’électroménager, pourquoi pas pour les véhicules ?
Cerise sur le gâteau les revenus de cette taxe qui excèdent de loin les besoins strictes de l'émission des plaques d'immatriculation pourraient être affectés de manière claire à des programmes de soutien environnementaux, au recyclage des véhicules par exemple.
Finalement, une fois le véhicule sur la route il deviendra injustifiable d’exiger une deuxième fois la partie de la taxe liée à son existence (taxation répétée sur un même véhicule difficilement justifiable et peu appréciée du citoyen).
La taxe annuelle de roulage
La taxe annuelle de roulage est un peu structurée comme la taxe de mise en circulation, soit un lien à la puissance avec beaucoup d’exceptions. En Wallonie elle comporte aussi un vague lien au CO2.
Elle n’est pas du tout adaptée aux besoins qu’elle est sensée couvrir. Elle induit aussi des comportements et situations aberrantes.
La voiture de sport qui ne sort qu’ un dimanche ou l’autre est plus taxée que celle qui fait 50 000 km, la voiture électrique est sous taxée car les émissions de gaz à effet de serre au niveau de la production d’électricité sont oubliés, les couts d'infrastructures ( bornes de recharges) sont cachés dans le cout de distribution de l'électricité et supportés par les utilisateurs du réseau électrique, etc.. ; Sous le couvert d'une politique dite " verte" l’absence ou la très faible taxe de certains est donc reportée sur d’autres de manière difficilement justifiable à l’heure actuelle. Cette inconsistance est aussi le fruit et la cause de multiples discussions et arbitrages.. arbitraires, car elle n’est pas adaptée à considérer de manière équitable ( sur une échelle unique) les différents modes de propulsion et les différent usages.
Le résultat de ce chaos est, notamment, le dénigrement du système par le citoyen et l’apparence de combines et comportement aberrants.
Pourtant, les fondamentaux de notre politique énergétique offrent une solution simple, compréhensible et équitable.
En effet, rien ne s’oppose à lier la taxe de roulage à l’usage et aux émissions réelles. Cela est applicable à tous les modes de propulsion sur une échelle unique de valeur sans complication.
Pour l’essence, le LPG, le CNG et le diésel, l’Hydrogène, l’électricité, les taux effectifs (production et transport compris) d’émission de CO2 par unité de combustible utilisé sont connus.
Pour chaque véhicule le nombre de km parcourus et dans certains cas la consommation sont ou peuvent être connus par exemple via l’ordinateur de bord, le système carpass, le contrôle technique, un système déclaratif etc… Le moyens techniques pour lier la taxe de roulage à l'utilisation ne manquent donc pas.
D’autre part, il est possible de définir le cout d’entretien du réseau, et de le rapporter au km parcourus (par l’ensemble des utilisateurs avec un effet modulant lié à la masse moyenne du véhicule). Ainsi la quote-part d’usage du réseau peut être équitablement répartie entre les utilisateurs.
Que les transporteurs ne s’inquiètent pas, notre système de taxe d’utilisation du réseau permet d’impacter les utilisateurs étrangers de manière équitable et d’exonérer les émissions faites chez nos voisins.
En prenant en compte ces deux éléments une politique vertueuse de taxation du transport peut se créer, en répartissant équitablement la charge réelle sur chaque véhicule.
Le comportement des consommateurs sera guidé aussi par des choix raisonnés parce que raisonnables, mais surtout c’est le comportement de l’usager de la route qui sera impacté de manière vertueuse, récompensant celui qui roule mieux, moins et ou avec un véhicule moins émissif.
Pour mieux vendre, les constructeurs tenteront à mettre sur le marché des véhicules dont l’impact environnemental (construction et usage) sera réduit avec au moins autant d'ardeur que des véhicules dont l'impact fiscal est réduit.
Ce modèle simple est aussi compatible avec d'autres politiques en pratique chez nous, par exemple celle du "Pollueur Payeur" et les évolutions des modes de transport, notamment le véhicule partagé, la tendance vers l'électrification et le principe général qui veut que celui qui consomme plus paye plus.
Il est donc possible de mettre en place une fiscalité vertueuse, compréhensible par tous et équitable en liant la taxe de mise en circulation avec le poids écologique de l’existence du véhicule et de son recyclage, d’une part, et en liant la taxe de roulage au … roulage, à savoir l’utilisation du réseau et les émissions qui l’accompagne, d’autre part.
En ces moments de choix de gouvernement(s) et de politiques, ne serait-il pas idoine de dépoussiérer cette fiscalité et la repenser en cohérence avec le débat actuel et les efforts climatiques ?
© Marc Noël, 2021.
[1] Dernier rapport disponible du 26-11-2018 "Kilomètres parcourus par les véhicules belges en 2017 ", Direction générale Politique de Mobilité́ durable et ferroviaire.