Coaching de soignant
Stéphanie est psychologue clinicienne. Elle exerce à distance depuis la crise du COVID. Elle est aussi consultante et coach en entreprise depuis 15 ans.
En septembre, l’Agence Régionale de Santé (ARS) lui signifie qu'elle doit se soumettre à l'obligation vaccinale anti covid même si elle ne reçoit pas de public, sous peine de radiation.
Après une réflexion agitée et pressée par le temps (moins de 15 jours séparent la notification de l'administration et l'application de l'obligation), elle renonce à l’exercice de son métier et demande à contrecoeur à l'ARS de suspendre son inscription ADELI (le répertoire national qui référence les professionnels de santé réglementés).
Notre conversation se déroule 2 jours après cet évènement...
- Stéphanie, avant d'aborder cette interdiction d'exercer ton métier de psychologue, je souhaitais en savoir un peu plus sur toi. La genèse de l'exercice de ton métier. Serais-tu d'accord ?
- Oui bien sûr. Après le BAC, je me suis d'abord orientée dans une filière commerciale. Mais très vite, j'ai pris conscience que ce qui vibrait en moi, c'étaient les autres. Deux métiers m'attiraient : psy et kiné mais je trouvais cette seconde option trop médicale. J’ai donc fait psycho.
- Cette prise de conscience que le soin des autres te faisait vraiment vibrer, pourrais-tu la relier à un évènement particulier de ta vie ?
- Il y a eu un évènement très marquant pour moi au collège, en 4ème. Une camarade de classe m'a dit : "toi, tu sais déjà ce que tu feras plus tard : tu seras psy […] Tout le monde vient te parler". Je ne savais même pas ce qu'était ce métier mais cette phrase est restée dans un coin de ma tête et m'est revenue au moment de choisir mon orientation.
- Comment se sont passées tes études de psychologue ?
- J'étais fascinée, passionnée par ce que je vivais. Les cinq années de ce parcours, je me suis sentie fondamentalement "psy" au fond de moi, je veux dire, dans mon cœur. Pourtant, j'ai mis plus de quinze ans avant de vraiment exercer ce métier. Je ne me sentais pas assez légitime, pas assez expérimentée. Je considérais que je n'avais pas encore suffisamment travaillé sur moi pour accueillir des personnes à un endroit thérapeutique. Jusqu'en 2018 où j’ai vraiment travaillé mon identité professionnelle et ma posture de thérapeute.
- Comment faisais-tu pour exercer ce métier malgré ces questionnements sur ta légitimité et ton expérience jusqu'en 2018 ?
- J'ai surtout exercé en tant que consultante et coach avec une compétence de psy que je nourrissais, affûtais au fil de mes expériences. Je continuais aussi à me former à différentes approches, guidée par cette partie de moi qui me soufflait de revenir à mes premières amours et à ma fonction de psy.
- Pourquoi revenir à ta fonction de psychologue t'était "soufflé", à ton avis ?
- Parce que je ne trouve le sens de mon existence que dans mon interaction avec l'Autre. Dans la relation. Je sais que j’y suis à ma place, je m’y sens légitime et j’ai trouvé « ma façon » de travailler.
- Qu'est-ce que "ta" façon de travailler pourrait nous dire de toi, de ce qui est important pour toi ?
- J'ai besoin de m'assurer que les personnes viennent à moi en toute liberté. D'ailleurs je précise à chacune d'entre elles qu'elles sont toujours libres de poursuivre ou d'arrêter leur suivi à tout moment. Je tiens à ce qu'elles se sentent complètement libres de le dire. Et j’accompagne cela.
- J'entends que la liberté de la personne dans la poursuite de la relation thérapeutique avec toi est fondamentale pour toi. Que c'est l'endroit où tu souhaites être dans ta relation d'aidant. Pourrais-tu m'en dire un peu plus encore sur ta conception de la liberté et comment-elle s'est ancrée en toi ? Depuis quand ?
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- Il s'agit, plus que tout, de la liberté de choisir. Et c'est d’ailleurs ce qui me perturbe le plus dans cette situation d'obligation vaccinale. Toute petite, en colonie de vacances, j'avais quoi...8 ou 9 ans, un garçon m'a demandé si plus tard, je voudrais me marier. Je me souviens avoir répondu du tac-au-tac "Non, quand un chien est heureux, il reste. Il n'a pas besoin d'être attaché" (Rires). Avec le recul, j'étais si petite pour dire une chose pareille…et pourtant c’est fondamental d’avoir la liberté de choisir de rester, si je me sens bien ou de partir, si ça ne me convient pas !
- Si petite déjà tu avais cette conscience et cette aspiration forte à garder une liberté de choix. Est-ce qu'à un autre moment de ta vie cela s'est manifesté de manière prégnante comme ce jour-là, avec ce petit garçon ?
- J'ai fait mon mémoire de fin d'études sur l'enfermement et son impact sur l'identité. Dans ma pratique de la relation d'aide, il y a toujours, en arrière-fond, l'intention de contribuer à permettre aux personnes de s'émanciper des carcans dans lesquels ils peuvent se sentir enfermés du fait de leur histoire originelle, de leur éducation, de leurs croyances ou encore des coups durs de la vie.
- Tout à l'heure, j'ai entendu que des doutes t’avaient longtemps habités, que tu avais eu besoin de temps et d’un travail introspectif important pour exercer ce métier de manière pleinement satisfaisante pour toi. Depuis 4 ans que c'est le cas, comment te sens-tu professionnellement ?
- Je dirais que je suis là où je voulais être. J'existe enfin pleinement en tant que thérapeute. Enfin, j’étais…jusqu’au 15 septembre dernier !
- Venons-en à cette mesure d'interdiction d'exercer, Stéphanie, si tu le veux bien. A deux jours maintenant de son effectivité, pourrais-tu me dire comment tu vis cette expérience ?
- C'est une castration légale au sens psy du terme ! (Rires). Alors comme parade, j'ai décidé de choisir ma situation autant que je le puisse, de rester actrice, et, comme je l’ai toujours dit « quand je ne me sens plus bien à un endroit, je pars ». Donc j'ai envoyé un courrier explicatif de ma décision à l’ARS, afin de suspendre temporairement mon inscription ADELI, de mon plein gré. Je préférais partir de moi-même plutôt que d’être radiée et exclue de ma profession de cœur.
J'ai pu prendre cette décision grâce à deux éléments qui m’appartiennent : j’ai d’autres activités qui me permettent de vivre, d’une part, et les apprentissages de la vie qui m’ont appris à rebondir face à l’adversité. Mais cette décision a été difficile et la lettre très couteuse à écrire. Un crève-cœur... Je me suis sentie touchée, flinguée même, dans ma réalisation.
- De nouveau, ton aspiration à la liberté de choix...Y aurait-il autre chose ?
- J'ai toujours accompagné, tant que j'ai pu, les personnes à trouver comment rester actrices de leur vie quelles que soient les épreuves qu’elles traversaient, y compris durant cette crise sanitaire qui a obligé chacun à s’adapter, composer avec une réalité subie. Je suis convaincue que nous avons les moyens - avec une aide parfois - de retrouver une posture de choix et de décider. Et cela change tout. Alors je me suis appliquée cette conviction à moi-même.
- Je vois...L'idée de pouvoir agir sur sa vie, malgré certaines contraintes, sans se sentir déterminée à l'avance est importante pour toi...
- Oui complètement. Là, dans ma situation par exemple, j’ai perdu le droit d'exercer mais on ne me retirera jamais, quoiqu'il arrive, ni mon diplôme, ni mes compétences acquises et encore moins la relation que je construis avec les personnes que j'accompagne. Cela me rassérène beaucoup. Me libère, même, de certaines peurs.
- Avec tout ce que tu me racontes de tes valeurs, tes aspirations, tes besoins, les expériences qui t'accompagnent, comment te projettes-tu dans un avenir proche aujourd'hui ?
- D'abord, j'ai l'espoir que l'explication que j'ai donnée à l'ARS concernant mon choix de sortir de ce que je considère comme un chantage d'une grande violence, qui m'a plongée dans un "tsunami émotionnel" et un sentiment d'injustice profond, soit entendue. Que cette obligation soit revue. J'ai relu 25 fois ma lettre avant de l'envoyer pour qu'elle ne prête pas à polémique. Mon intention n'est vraiment pas là. Je souhaite juste transmettre mes convictions pour expliquer ma position et rompre un silence des médias que je trouve vertigineux. Cela ajoute à la violence de traiter comme un non-évènement ce qui représente, pour moi, un véritable cauchemar.
Depuis que j'ai pris et communiqué ma décision, je n'y pense plus vraiment. J’ai informé les personnes que j’accompagnais, leur ai proposé des orientations alternatives et j'ai accueilli leurs réactions. Je déplore avoir dû prendre cette décision dans une période où les individus ont, plus que jamais, besoins d’être soutenus…C’est étonnant, paradoxal de voir les mesures prises en ce moment pour encourager et soutenir les personnes qui auraient besoin d’un soutien psychologique !
Aujourd’hui, après un long parcours, je sais que ce que je suis profondément n'a rien à voir avec un statut administratif. Je suis psy "dans mon sang et mes veines". Je vais donc poursuivre mes autres activités, encore plus affirmée sur ma légitimité, en attendant que peut-être, dans un futur proche, les pouvoirs publics s'interrogent sur ce que ces suspensions d’exercice racontent vraiment...Et que je puisse reprendre ma place de psychothérapeute.
Chargé du dialogue social et conseiller de prévention au Musée national Picasso-Paris
3 ansMerci de rendre ainsi publique la décision de Stéphanie de suspendre son activité qui pour partie la constitue. Votre billet m'incite à exprimer toute ma sympathie pour elle dans l'épreuve à laquelle elle fait face ainsi que l'estime qu'elle mérite à mes yeux pour son vif attachement à la liberté, que je partage. Vous aurez, j'en suis sûr, à cœur des les lui transmettre. Ce ne sont pas les validations législative et constitutionnelle qui ôtent au passe sanitaire ses effets liberticides ni ceux en termes rupture de l'égalité d'accès à des lieux, à des biens, à des services et même à l'exercice d'une profession, effectuée sur la base d'éléments relatifs à la situation sanitaire individuelle. Libre cours est ainsi donné à la discrimination. Situation sanitaire, que de crimes on commet en ton nom... Entre une égalité écornée et les libertés mises à mal, il ne nous reste que la fraternité, la sororité et l'adelphité pour continuer à faire société. Bien solidairement !
Professeur de Lettres classiques honoraire chez Education Nationale
3 ansVéran et les autorités (in)compétentes gèrent cette situation sensible concernant les soignants avec la délicatesse de videurs ou de nervis... De même, ils bafouent et éradiquent de fait le mot "LIBERTE" de nos frontons... Une telle gestion de l'humain et de la démocratie est non seulement indigne mais intolérable et dégrade gravement l'image de notre nation dans le monde.