Collaborer, oui... mais dans la résistance !

Collaborer, oui... mais dans la résistance !

Je voudrais dénoncer ici un paradoxe flagrant : l’entreprise d’aujourd’hui – voire de demain – réclame à cors et à cris de ses cadres une forte capacité de créativité et d’innovation… tout en nous écrasant littéralement sous des tâches prosaïques, un reporting constant et oppressant, des tensions managériales pas toujours opportunes et des horaires de travail débiles, quoique politiquement corrects. Dans notre vieux pays conservateur, la discipline de surface et le respect des féodalités parallèles l’emporte souvent sur la réalité d’un travail fécond ; et le respect des normes socio-culturelles de l’entreprise est dans la plupart des cas première sur l’atteinte intelligente des objectifs et sur le nécessaire renouvellement qu’exige la moindre créativité. 

Tout se passe en fait comme si les exigences opérationnelles finissaient par occulter toute capacité de recul et d’ouverture de la pensée. Le « practico-pratique », comme on dit – en lui trouvant, pour la cause, toutes les vertus du soi-disant Saint Pragmatisme –, ne nourrit pas l’intelligence et ne la stimule pas à développer toutes les potentialités qu’elle recèle. Soumis à sa seule tyrannie, l’homme finit par s’abrutir… puis s’abêtir ; un homme qui en arrive bientôt à qualifier de « trop conceptuelle » toute réflexion qu’il n’a plus, en fait, les moyens de comprendre.

Car tel est bien le problème : la créativité exige d’être nourrie par une culture de fond, une culture vivante qui prend inévitablement du temps, mais qui représente pour l’entreprise un investissement rentable et un moteur de développement dont elle a bien besoin ! La lecture, la fréquentation des arts, la compréhension des civilisations, la méditation des grands auteurs, l’écriture personnelle, etc. constituent peu à peu, comme par sédimentation, le terreau d’une créativité en tous domaines ; car l’intelligence n’établit pas entre les choses, dans sa capacité créatrice, les mêmes cloisonnements que nos cursus spécialisés : elle est mobile et recompose des éléments et inspirations piochés dans les réalités les plus diverses pour nourrir un domaine ponctuellement plus spécifique.

Or, en lieu et place de cette incitation culturelle – qui devrait presque figurer systématiquement dans la lettre de mission d’un cadre – on assiste au contraire à une déculturation générale, sans plus permettre aux gens de prendre la moindre minute dans leur journée ou leur semaine pour développer leur mesure intérieure. Soyons clair : il ne s’agit pas ici de prôner une culture encyclopédique et de transformer les cadres en savants. Il s’agit d’une culture générale vivante qui permet de posséder le recul et la souplesse d’esprit nécessaire à leur performance professionnelle elle-même ! Elle permet de prendre de la hauteur, d’objectiver des finalités, des pratiques, des difficultés qui sans cela restent confuses, et dont la causalité demeure, pour cette raison, ignorée. Elle permet de formaliser une « pensée » plus que jamais nécessaire à la clairvoyance et la gestion du stress, à une vision d’ensemble et à une sérénité raisonnable.

Seule la culture permet de maintenir vivante notre intelligence, et l’intelligence est indispensable à notre capacité créatrice ! Rappelons-en les caractéristiques principales, afin d’en mieux mesurer la portée :

·      La capacité, comme son étymologie l’indique, à « lire à l’intérieur de… », en allant au-delà des apparences ; autrement dit d’avoir une vision pénétrante du réel. L’intelligence est non-conformiste dans sa nature même.

·      L’aptitude, découlant de cette capacité première, à discerner et hiérarchiser l’important et le secondaire, à éliminer l’accessoire, pour sélectionner l’essentiel.

·      La capacité à simplifier un problème, tout en ne négligeant pas la complexité qui lui est inhérente.

·      L’aptitude à composer les moyens avec la fin, tout en tenant compte des circonstances, ce qu’on a coutume d’appeler « l’intelligence pratique ».

·      L’ouverture d’esprit consistant à être capable d’accepter la contradiction et de reconsidérer éventuellement sa position ; à recomposer la stratégie en fonction de situations nouvelles ou inattendues.

·      L’aptitude à imaginer, c’est à dire à transposer un instrument, une idée ou une méthode existante pour lui donner une finalité nouvelle.

·      La capacité à élaborer des scénarios en tenant compte de l’ensemble des contraintes et des contradictions, en recherchant toujours le point d’équilibre entre réalités, potentialités et finalités.

·     La capacité à transgresser le système, à ne pas se laisser duper par les habitudes ou les idées reçues ; à dominer craintes et peurs pour rechercher l’efficience réelle et non l’efficacité à court terme et à tout prix.

Il est bien évident que tout ceci exige du recul et un minimum de sérénité et de réflexion. Et comme il est peu probable que les entreprises soient prêtes à intégrer cette dimension-là de leurs ressources humaines, il faut entrer dans une véritable « résistance » à l’envahisseur bêtifiant que sont devenues nos journées professionnelles.

De toutes manières, une chose est certaine, c’est que, comme le dit Claudel : « à force de ne pas vivre comme on pense, on finit par penser comme on vit », c’est à dire qu’on finit par ne plus beaucoup penser ; par "non-penser" ou "dé-penser", tout comme on finit par "sur-vivre"… que ce soit dans la soie ou dans la fange.

denis joly

Superviseur d'exploitation et Sécurité chez SPIE Oil & Gas Services

6 ans

Un troupeaux sans berger cours toujours à sa perte!

#"à force de ne pas vivre comme on pense, on finit par penser comme on vit " Tellement vrai!

Edouard CHEVROU

Directeur des opérations du pôle Bourgogne

6 ans

Tres vrai!

Jean-François VIE

Associé TRAJECTIVES, Business Partnering & Executive Coaching

6 ans

Lors d'un pitch, @Emmanuel Faber disait qu'il cherchait à développer la culture de la contradiction chez ses managers. Avec l'intelligence bien décrite ici, rajoutons un zeste de courage et de liberté et le tour est joué.

Anas M.

Looking for new opportunities

6 ans

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