Comment le Cambodge se retrouve t-il dans l'œil du cyclone un an après les autres ?
Au cours de la dernière année, alors que le monde entier se retrouvait confiné et durement confronté à la pandémie, le Cambodge faisait image de petit paradis. Le pays du sourire a même vu ses statistiques saluées par le Bureau de la Prospective Economique du Sénégal en fin d'année dernière en arrivant en tête du classement sur l'indice de sévérité de la Covid sur un échantillon de 166 pays. Pourtant, depuis février 2021 et un nouvel épisode de contaminations, le Cambodge se retrouve à son tour en difficultés, dénombrant un nombre de transmissions exponentiel et ses premiers morts.
Le Cambodge face à la première crise du Covid
Avec seulement 122 cas détectés dont 3 patients en cours de traitement à l'hôpital au 28 avril 2020, le Cambodge pouvait se vanter d'avoir réagit vite et bien face à la propagation du virus. Fermeture des frontières, y compris entre les provinces, des écoles, des lieux de distraction (KTV, boites de nuit, cinéma, salles de sport...), annulation des rassemblements et du nouvel an Khmer en 2020, ces mesures semblaient avoir suffi à endiguer l'épidémie si bien qu'en mai dernier, tout le pays avait repris un rythme presque normal à l'exception des établissements scolaires.
Il avait même rouvert ses frontières en juin 2020 permettant ainsi d'accueillir les détenteurs de VISA diplomatiques, business, ONG etc. Des conditions d'entrée strictes avec test covid au départ, à l'arrivée accompagnée d'une quarantaine à domicile et d'un nouveau test covid. Ces mesures s'étaient ensuite renforcées en novembre dernier avec l'obligation de réaliser la quarantaine dans un hôtel prévu à cet effet.
Ces mesures drastiques avaient permis de limiter le nombre de cas importés. Plusieurs hypothèses semblaient quant à elles, expliquer le faible nombre de contaminations endogènes : une population jeune, peu mobile, des températures élevées peu propices au développement du virus... Ces facteurs avaient contribué à faire du Cambodge un lieu privilégié si bien que les écoles avaient même progressivement rouvert leurs portes à partir d'août dernier.
Quelques clusters avaient fait leur apparition, tous rapidement contrôlés par la fermeture des écoles et des lieux de rassemblement. A chaque fois, les épisodes duraient quelques semaines tout au plus sans jamais nécessiter un confinement même partiel. Au mois de janvier, le pays se pensait même tiré d'affaire alors que la campagne de vaccination s'apprêtait à démarrer.
L'événement du 20 février 2021
C'était sans compter sur l'événement du 20 février 2021 qui allait plonger le pays au cœur de la crise du covid, un an après l'ensemble du monde. A l'origine de la plus grosse vague de contaminations du pays, quatre jeunes femmes qui, après avoir soudoyé les gardes de l'hôtel dans lequel se déroulait leur quarantaine, se sont rendus dans des clubs et condominiums de la capitale. Les versions diffèrent mais certaines avancent qu'il s'agirait de prostituées, une activité permettant assez difficilement le respect des gestes barrières. En quelques jours, le gouvernement annonçait la fermeture des écoles, des salles de sport, des boites de nuit... alors que le nombre de cas ne cessait d'augmenter. Les condominiums concernés ont été mis en quarantaine du jour au lendemain pour limiter les risques de propagation, certains habitants sont ainsi restés enfermés pendant 3 semaines. D'autres, n'ayant malheureusement pas compris la gravité de la situation ont préféré fuir leur quarantaine en soudoyant gardiens ou chauffeurs contribuant ainsi au développement de l'épidémie au sein du pays y compris dans les provinces.
Dans les semaines qui ont suivi, le nombre de cas n'a cessé d'augmenter atteignant plus d'une centaine par jour, des chiffres qui peuvent paraître ridicules depuis la France mais du jamais vu ici au Cambodge. En un mois, le pays a enregistré plus de cas qu'il n'en avait jamais eu depuis le début de la crise, il a officiellement annoncé son premier mort le 11 mars 2021.
L'approche du nouvel an Khmer, trois jours de fêtes traditionnelles au cours desquelles les familles se réunissent habituellement dans les provinces, ont obligé le gouvernement à durcir encore sa politique interdisant pour la seconde année consécutive la tenue des célébrations ainsi que les déplacements entre les provinces. Un couvre-feu avait ensuite été mis en place entre 20h et 5h du matin dans les zones les plus touchées depuis le premier avril pour une durée de deux semaines. Dix jours plus tard, ce sont les restaurants et cafés qui ont dû fermer leurs portes et la vente d'alcool a quant à elle été prohibée. Apogée de cette succession de mesures, l'annonce d'un confinement pour deux semaines le 15 avril dernier puis de zones rouges avec confinement plus strict avec l'espoir d'enfin endiguer cette crise qui dénombre 9354 cas et 71 morts au 25 avril 2021.
Quelles perspectives pour le pays ?
Si pour certains pays beaucoup plus touchés par la crise, la réaction du Cambodge peut paraître disproportionnée, il faut garder en tête qu'il n'a que peu de moyens de lutter contre la propagation du virus : impossibilité de confiner complètement une population qui ne se nourrit que de produits frais (viande, légumes...) et qui ne possède souvent pas de frigidaire. Si les marchés en plein air sont maintenant fermés, les vendeurs s'installent néanmoins autour et les habitants du quartier continuent de se réunir pour faire leurs courses. La majorité des cambodgiens vit de métiers où le télétravail n'est pas une option, même à Phnom Penh.
Niveau santé, on compte bien peu de places en réanimation et si les hôpitaux des grandes villes bénéficient d'infrastructures modernes, c'est loin d'être le cas dans certaines provinces où les moyens de prises en charge sont plus que limités.
Quotidiennement, de nouveaux articles détaillent des cas de personnes arrêtées pour avoir enfreint le confinement ou le couvre-feu. Ici, la police n'a pas d'autre choix que d'opposer une rigueur choquante à nos yeux d'occidentaux face au non respect des directives. Chose impensable en France, les journaux publient même l'identité des contrevenants ainsi que leur photo. Les voisins eux-mêmes n'hésitent pas à se dénoncer entre eux. Récemment, des vidéos montrant des policiers en train de frapper les contrevenants à l'aide de bâtons ont fait scandale ! Ce mode opératoire contribue à renforcer le respect des règles à la fois par peur de la maladie mais aussi de se voir accuser publiquement, un outrage dans un pays où "garder la face" est primordial.
Si les atteintes à la loi sont punies de manière si strictes, c'est aussi parce que les enjeux sont énormes. Sur le plan économique tout d'abord, pour la première fois depuis une vingtaine d'années, le Cambodge devrait connaître une récession entre 1 et 5%, selon les prévisions de la Banque Mondiale, une baisse due au ralentissement conjugué de ses trois principaux leviers de croissance que sont le tourisme, les exportations textiles et la construction. Les conséquences sociales quant à elles, sont sans commune mesure, de nombreux cambodgiens ont déjà perdu leur emploi et se retrouvent aujourd'hui fortement précarisés. Nombreuses sont les familles à avoir eu recours aux organismes de micro-crédit, elles risquent l'expropriation. Enfin, dans le domaine de l'éducation, si des cours en ligne sont actuellement dispensés par les écoles et les universités, on peut d'ores et déjà parler d'une génération sacrifiée. La qualité de la connexion dans la majorité des campagnes laisse fort à désirer, de plus, les conditions de vie dans certaines zones sont peu propices aux études. Dans certaines familles, l'accès à l'éducation reste un acquis précaire où les gens ne mesurent pas encore l'importance de ce droit; elles n'hésitent donc pas à demander à leurs enfants de les aider dans leur travail, les obligeant à délaisser leurs études. Les jeunes eux-mêmes perdent la motivation n'étant pas stimulés par leur entourage. Il existe bien sûr beaucoup d'autres enjeux liés à la crise du covid mais je préfère évoquer ceux que je connais le mieux.
Aujourd'hui, l'espoir du Cambodge semble surtout reposer sur la vaccination de sa population. Plus d'un million de personnes a déjà reçu une première injection et huit millions de doses supplémentaires ont été annoncées par le premier ministre. Des chiffres plutôt encourageants pour un pays de 16 millions d'habitants. Nul doute que l'aide internationale et que l'action des ONG seront des acteurs indispensables pour aider le pays à surmonter la crise.
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3 ansMerci Agathe pour cette analyse, comme toujours passionnante !