COMMENT RENDRE LES INDÉPENDANTS VRAIMENT INDÉPENDANTS ?
France Stratégie, « think tank » gouvernemental rattaché aux services du Premier ministre, évalue en juin 2017 le nombre d’indépendants évoluant au sein de la filière numérique à plus de 80 000 en France.
Les chiffres sont têtus voire obtus, ils ne font que croître : on observe une augmentation de + de 50% en 10 ans dans l’hexagone. De fait, si les technologies numériques sont à l’origine depuis le tournant des années 2000 d’un retour en force du travail indépendant et d’une réelle diversification de ses formes, il est impossible de ne pas mettre en avant l’émergence et l’affirmation d’un état d’esprit « freelance » qui gagne du terrain et séduit de plus en plus.
Qu’est ce qui fait courir ainsi les indépendants ? Pourquoi le freelancing est devenu pour certains (voire pour beaucoup) le nouveau « graal » à atteindre ? Au-delà des promesses de lendemain qui chantent, l’indépendance réelle est-elle au rendez-vous ?
Une quête d’indépendance, bien plus, une soif de liberté !
Gaspard Koenig l’écrit avec malice et un brin de provocation : « Le salariat est mort, vive le travail ! ». Echapper à des réunions interminables, s’extirper de processus décisionnels labyrinthiques et épuisants, renoncer aux jeux de pouvoir propres aux grandes organisations qui imposent moins l’action que la conservation d’un statu quo sclérosant … : sans tomber dans la caricature, chacun rêve de sortir des contraintes du salariat ou de rompre avec les « bullshits jobs » théorisés par David Graeber.
Dénigrer le travail salarié n’a en soi pas de sens - il est lui-même en profonde transformation et peut répondre à d'autres aspirations - néanmoins force est de constater le succès du travail indépendant, en passe de devenir un nouvel horizon politique et social. Le freelancing a la côte. Il incarne la promesse de réconciliation du travailleur avec lui-même, en lui conférant la maîtrise de son emploi du temps, le choix de ses clients et la flexibilité dans ses lieux de travail. 9 millions en Europe, 120 000 (80 000 dans la filière numérique) en France. Ils interviennent sur des métiers de plus en plus nombreux, à tous les niveaux de l’entreprises. Quête de sens, autonomie, meilleurs revenus, flexibilité des horaires… sont les principaux avantages mis en avant par ceux qui choisissent de travailler en freelance. Leur place croissante dans les entreprises « donnent des idées » aux salariés qui, pour certains, souhaiteraient bénéficier des mêmes avantages… En définitive, ces freelances créent de la valeur et en plus, se paient le luxe d’être heureux dans leur vie professionnelle.
Dès lors, pour beaucoup, du salarié expérimenté au jeune diplômé, le freelancing devient incontournable dans la mesure où il rend tangible une promesse d’indépendance et de liberté que les entreprises n’incarnent plus ou en tout cas peinent de plus en plus à incarner.
Le développement de services aux freelances, source d’aliénation professionnelle ?
Au-delà d’une image d’Epinal enchanteresse et attractive, se lancer en freelance peut présenter des difficultés. Sans faire de raccourci généralisant, un freelance qui se lance - peu importe son expérience, son expertise, son domaine d’intervention - est très vite rattrapé par une réalité qui ne peut être occultée : crainte des revenus irréguliers, difficulté à se vendre ou à se revendre, projets mal calibrés, souci de trésorerie, syndrome du « loup solitaire », difficulté à rester à l’état de l’art sur des problématiques qui évoluent très vite…
Pour pallier à ces différentes chausse-trappes, se sont développées des plateformes numériques dédiées aux indépendants. Comme l’enfer est pavé de bonnes attentions, ces plateformes souhaitent le meilleur pour les indépendants. Cependant, par essence même de leur business model (commission fixe prise sur une transaction) comme par construction opérationnelle (mise en avant exclusive de profil d’indépendants dans une logique de CVthèque amélioré), ces plateformes, et les services qu’elles proposent, entretiennent les indépendants dans un lien de dépendance marqué :
· Dépendance vis-à-vis de la plateforme elle-même qui se positionne en intermédiaire, obstruant la relation directe entre le freelance et son client.
· Dépendance vis-à-vis du client car seuls les profils des indépendants sont proposés et exposés sur la plateforme. Bien souvent, les clients n’ont pas la possibilité de déposer leurs besoins, de proposer des projets.
· Dépendance au prix dans la mesure où l’on demande aux freelances d’indiquer un taux journalier qui bien souvent met la corde au cou du freelance inexorablement amené à pratiquer une politique tarifaire moins-disante pour espérer se démarquer de la concurrence.
Au final, ces plateformes, tel un remède pire que le mal qu’il est censé combattre, entretiennent l’indépendant dans un lien de dépendance source d’une aliénation professionnelle que justement le freelance souhaitait rompre en faisant le choix du freelancing
Rendre leur indépendance aux indépendants !
Que les propos volontiers provocateurs tenus plus haut ne soient pas mal interprétés. Il ne s’agit en aucun cas de « jeter le bébé avec l’eau du bain » : les plateformes numériques jouent, et vont jouer à l’avenir, un rôle moteur dans l’essor et la structuration du travail indépendant.
Simplement, alors que le freelancing se développe en France et que les mutations du monde du travail se consolident, il apparaît opportun de plaider pour un nouveau type de plateforme qui appréhendent de manière plus fine des transformations qui dépassent très largement un simple enjeu de « matching », une basique rencontre de l’offre et de la demande.
Rendre leur indépendance aux indépendants, ce n’est pas un slogan ou une formule vide de sens, c’est une nécessité pour que le carrosse du freelancing ne se transforme pas en citrouille d’une marchandisation exacerbée de l’expert indépendant.
De manière concrète, il s’agit de :
1. Rompre avec la pratique de la commission sur la transaction et ainsi « désintermédier l’intermédiation ».
2. (Re)Positionner le service offert à équidistance des indépendants et des entreprises, c’est-à-dire promouvoir un service qui permet aux freelances de mettre en avant leurs expertises mais qui permet aussi aux entreprises de publier leurs projets dans une logique de « juste équilibre » entre les indépendants et leurs clients
3. Permettre aux indépendants d’afficher une fourchette de taux journalier afin de leur laisser une marge de négociation/discussion avec le client
4. Inventer de nouveaux modes d’intervention dépassant l’assistance technique (AT) ou le forfait et ainsi ouvrir la prestation de service à de nouveaux horizons dans une logique gagnant-gagnant
5. Poser les fondements d’une réticularisation (mise en réseau) du travail qui rend tangible le concept « d’entreprise étendue ». Encourager la notion de « réseau de confiance » sur les plateformes permet d’incarner cette idée d’une « entreprise ouverte », qui s’entend « hors les murs » pour être plus agile et innover sans limite
Quelques plateformes de freelances tentent aujourd’hui de relever ce(s) pari(s) au premier rang desquelles la plateforme XXE qui souhaite révolutionner la connexion entre les indépendants du numérique et les entreprises.
L’essor du freelancing et la montée en maturité des services offerts aux freelances posent de plus en plus explicitement la question fondamentale de la véritable indépendance des indépendants. Si les plateformes de freelances constituent sans aucun doute une partie de la réponse, encore faut-il que celles-ci s’interrogent sur leurs modèles économiques et opérationnels pour véritablement contribuer à tenir la seule promesse qui vaille, celle qui fait courir les indépendants, c’est-à-dire la promesse d’indépendance et de liberté professionnelle.
Alban Praquin (Product manager XXE)
Sources :
Le travail « à la demande » : y sommes-nous prêts ? – Eric Hazan – 19 novembre 2016 – Linked In
Vision prospective partagée des emplois et des compétences, la filière numérique – France Stratégie – juin 2017
Echapper au salariat pour redevenir soi-même - Gaspard Koenig – Les Echos – 21 mars 2017
Travail : vers un changement de modèle ? – Laetitia Vitaud – L’observatoire des réseaux sociaux d’entreprise – 26 juin 2017