Comment Vladimir Poutine a ressuscité l’Otan


Isabelle Lasserre

Le Figaro

2/02/2022

ANALYSE -

L’Alliance atlantique peut remercier Vladimir Poutine. En «état de mort cérébrale» selon Emmanuel Macron, jugée «obsolète» par l’ancien président américain Donald Trump, elle avait perdu sa boussole et envisageait même de se trouver une nouvelle vocation avec la Chine. Elle recouvre aujourd’hui, grâce aux menaces du Kremlin, son cœur de métier ainsi qu’une nouvelle vitalité.

Depuis la fin de la guerre froide, l’Otan a traversé des périodes de doutes existentiels. Conçue il y a soixante-dix ans pour protéger l’Europe occidentale contre la menace soviétique, elle avait d’abord perdu sa raison d’être avec la chute de l’URSS, qui s’était accompagnée de la disparition du Pacte de Varsovie. Avant de se trouver de nouveaux champs d’action: les opérations extérieures et le nation building.

Cette période qui a vu la multiplication des interventions de l’Otan sur les fronts d’Europe et du grand Moyen-Orient touche à son tour à sa fin. L’échec de la plupart des opérations, notamment lors de la guerre d’Irak en 2003 et celle de Libye en 2011, a produit une certaine perplexité stratégique au sein de l’Alliance. Mais c’est le fiasco afghan, avec le retrait précipité des troupes américaines, en août 2021, qui a le plus ébranlé les édifices de l’Otan. L’ancien leader des conservateurs allemands Armin Laschet avait vu dans le retour des talibans au pouvoir «le pire désastre de l’Otan depuis sa création» en 1949. Après vingt ans d’efforts, malgré une guerre plutôt bien menée au début, tous les objectifs des Occidentaux en Afghanistan se sont effondrés comme un château de sable. L’échec afghan a non seulement mis un frein aux missions de restauration de la paix de l’Alliance atlantique, il a aussi mis en lumière l’impuissance politique des Européens, qui n’avaient pas été consultés sur un départ décidé de manière unilatérale par les Américains.

Ces dernières années, l’Otan a aussi été fragilisée de l’intérieur par les provocations de la Turquie, membre turbulent de l’Alliance, qui a acheté une défense antimissile - S400 - à la Russie, gêné le travail de la coalition antiterroriste en Syrie et fait monter les tensions face à la Grèce en Méditerranée. Quant à Donald Trump, ses rebuffades et ses attaques contre l’Alliance, sa menace d’en claquer la porte et les doutes qu’il a fait peser sur la fiabilité de la protection américaine ont semé le trouble, parfois même la panique, parmi les membres de l’Otan. La vieille organisation était aussi divisée entre ceux de ses membres, majoritaires, qui ne jurent que par elle et ceux, comme la France, qui voudraient développer une défense européenne.

La menace russe, redevenue concrète, lui a redonné confiance et vitalité. Pour Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Alliance, le risque d’un conflit armé en Europe est désormais «réel». Les exigences du Kremlin, qui demande à l’Otan de reculer à l’ouest, de renoncer à intégrer de nouveaux membres à l’est et de retrouver ses frontières anciennes de 1997, ajoutées à la pression militaire aux frontières de l’Ukraine, ont provoqué un sursaut de l’Alliance atlantique. Souvent divisés sur la question russe, les Occidentaux ont cette fois avancé relativement unis face à Vladimir Poutine. Non seulement Joe Biden n’a pas cédé à ses demandes, mais il a mis une très forte pression sur le Kremlin, envisageant des sanctions contre le gazoduc Nordstream 2 et un blocage de l’accès aux transactions financières.

Anesthésiée par le retrait afghan, l’Otan s’active à nouveau: plusieurs pays occidentaux ont annoncé l’envoi de nouveaux contingents en Europe orientale. Joe Biden a placé 8500 militaires en alerte. Boris Johnson va proposer un déploiement de troupes à l’Otan la semaine prochaine pour répondre à la montée de «l’hostilité» russe. Londres envisage de doubler le contingent britannique de 1150 hommes en Europe et de donner des «armes défensives» à l’Estonie. Paris veut envoyer «plusieurs centaines» de soldats en Roumanie dans le cadre d’un éventuel déploiement de l’Otan. États-Unis, Royaume-Uni, Canada, République tchèque, Danemark, Espagne: les promesses de ventes d’armes à l’Ukraine se sont multipliées depuis plusieurs semaines.

Suède et Finlande

Les nouvelles menaces russes contre l’Ukraine ont même réveillé le débat sur l’adhésion à l’Otan en Suède et en Finlande. Sortis de leur statut de neutralité quand ils ont adhéré à l’UE en 1995, ces deux pays se sont opposés au gel de l’élargissement exigé par Moscou. Ils ont réaffirmé leur droit à adhérer à l’Otan s’ils le souhaitaient. En Suède, les partisans de l’entrée dans l’Alliance atlantique ont gagné des points ces dernières semaines. L’activisme russe aux frontières a aussi dopé le sentiment pro-Otan des Ukrainiens.

Après la chute du mur de Berlin, quand on avait demandé à Mikhaïl Gorbatchev ce qu’il attendait de l’Otan, le père de la perestroïka avait répondu: «Qu’elle disparaisse.» La disparition de l’Alliance atlantique, c’est aussi l’un des objectifs de Vladimir Poutine. Mais ses méthodes pour y arriver auront produit l’effet inverse. Au lieu d’affaiblir et de diviser l’Otan, sa politique a réveillé l’Alliance, qui revient à sa raison d’être initiale: affronter la menace russe

Michel Allal -Volterra

journaliste redacteur en chef Chevalier dans l’Ordre national du Merite

2 ans

Et comment il va desintegrer l’OTAN

François Guillermet

Professeur de stratégie en sciences-politiques. UCO Consultant en gestion de crise et communication. AME France. Implic'action. FNGM.

2 ans

OTAN: Après la brillante prestation afghane et « en état de mort cérébrale », il fallait bien retrouver un semblant de légitimité….

Alexandra Maiornikoff

Communication & Médiation

2 ans

Certaines nations, assoupies par les discours fleuves par les dividendes de la paix et les contraintes internes, se sont réveillées en sursaut : la défense est un concept qui va bien au-delà des Armées. Des frontières. La Defense est éminemment politique. Car il s agit de la vie de la Cité : sa culture, ses valeurs, son économie. Il me semble que seule l Alliance a la voix politique et le bras armé. Dans le concert des Nations, l Otan est le 1er violon, quelques soient les petites phrases et mouvements d humeur...

François Lafond

European - Balkans Expert

2 ans

Reflechissons bien pour la succession de Stoltenberg…

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