COMPLÉMENT DE CHRONIQUE
Je vous partage ci-dessous un condensé des notes que j'ai prises pour ma chronique à l'émission de Richard Martineau sur QUB Radio. Étant limité dans le temps, je n'ai évidemment pas pu couvrir plusieurs éléments essentiels aux faits
Bonne Lecture!
APOLLO’S ARROW
The Profound And Enduring Impact Of Coronavirus On The Way Of Life
(La Flèche d’Apollon – Les conséquences profondes et durables du coronavirus sur le mode de vie)
Le titre fait référence à la mythologie grecque dans les récits d’Homère où Apollon lançait des flèches de maladies infectieuses pour punir les siens dans la Guerre de Troie.
Auteur : NICHOLAS A. CHRISTAKIS
Médecin et sociologue américain. Dirige le Laboratoire de la Nature Humaine à l’Université Yale. Co-fondateur de l’Institut Yale de la Science des réseaux.
L’auteur passe en revue les pandémies antérieures et la chronologie des événements entre décembre 2019 et Novembre 2020 de la présente crise. Il fait état de la mauvaise préparation des gouvernements face à une pandémie qu’ils savaient inévitable depuis décembre 2019. Ils ont failli à bâtir des stocks massifs d’équipements médicaux requis pour les intervenants de premières lignes et des soins intensifs.
Les ordres de confinement sont venus trop tard, non pas pour endiguer la propagation, mais pour la ralentir car le virus était déjà largement en circulation. Il était déjà trop tard en décembre. Le virus occupe le siège du conducteur depuis à l’échelle planétaire. Pour lui, il est en mode « conquête ». Il a maintenant un terrain pour se reproduire massivement et sournoisement. Le virus se fout de nos gouvernements et de nos frontières. Ils se délectent de ceux qui minimisent la crise.
L’Histoire de notre civilisation (en tant qu’espèce) regorge d’épisodes de pandémies majeures. Historiquement, il y a des pandémies aux 10-20 ans (les plus récentes SRAS-1, Ébola, MERS, H1N1) et des grandes pandémies aux 50-100 ans (Grippe Espagnole de 1918 et Grippe de Hong Kong de 1957). La présente crise entre dans la catégorie des grandes pandémies.
Dans chacune des grandes pandémies, les conséquences ont été massives et durables à tous les niveaux. Les bilans ont varié mais ont été lourds. Les mesures ont toujours été les mêmes historiquement : isolement/confinement, fermeture des frontières, ralentissement des activités humaines et économiques. Invariablement, il y a toujours eu une portion de la population qui cherchait un bouc émissaire et qui était dans un déni de réalité.
Pour plusieurs, les responsables sont les chinois ou les gouvernements. Ces derniers ne sont pas responsables de l’apparition du virus. Ils ont fait une mauvaise gestion de début de crise, certes, mais ils n’ont rien à voir avec l’existence même du virus. Le virus est parmi nous qu’on le veuille ou non avec les conséquences qui viennent avec. Renier la réalité ne va pas l’annihiler.
Ce qui a pris tout le monde par surprise est le fait que la personne infectée va être contagieuse 2 à 4 jours avant de développer des symptômes. Elle a donc le temps de contaminer plusieurs personnes si aucunes mesures ne sont mises en place. Le R0 (indice de propagation i.e. le nombre de personne qu’une personne infectée va contaminer) du coronavirus en ce moment est d’environ 3. Donc, une personne infectée en contamine 3 autres. Il peut augmenter ou baisser selon les mesures sanitaires en place ou autres variables.
Pour être en équilibre et ne plus parler de pandémie, l’indice R0 d’un virus doit graviter autour de 1. Par comparaison, l’indice de la grippe saisonnière est autour de 1.5. D’autres facteurs sont à prendre en considération. La létalité.
Pour la grippe saisonnière, le taux de létalité est d’environ 0,02%. Pour la COVID-19, les chiffres globaux se situent entre 1 et 2%. Le SRAS-1 de 2004 avait un taux de létalité de 10%. Le premier SRAS différait du COVID-19 par le fait que la personne contaminée devenait contagieuse au même moment que les symptômes apparaissaient. Étant affaiblie, elle ne pouvait que contaminer les personnes directement en contact avec elle. La plupart du temps, c’était le personnel soignant. C’est pour cette raison que la pandémie a été très limitée à l’époque.
Pour la COVID-19 actuelle, même si la létalité en pourcentage est perçue comme « basse » par plusieurs, le virus fonctionne au « volume ». Donc, le nombre de décès en chiffre absolu, risque d’être élevé si le nombre de personnes contaminées est élevé. Le taux de létalité est présentement à 1% dans un contexte où nous avons un système de santé qui est en mesure de donner les soins élémentaires. Dans le cas contraire, la létalité va augmenter.
Voici ce que le Dr. Christakis partage présentement en chiffres cumulés depuis le début de la crise et modélisés en fonction de la nature du virus et les précédents historiques :
- Le R0 est de 3 dans le contexte sanitaire actuel (lavage de main, distanciation physique, confinement, testage, etc.)
- Sans ces mesures le R0 serait plus élevé;
- La courbe de progression actuelle tend à démontrer que 40 à 60% de la population mondiale va être contaminée d’ici 2022;
- 30% des personnes contaminées sont asymptomatiques (mais contagieuses);
- Les symptômes sévères peuvent s’étirer jusqu’à 6 semaines;
- 20% des personnes contaminées vont avoir besoin de soins hospitaliers élémentaires;
- 5% des personnes infectées vont aboutir aux soins intensifs;
- 1% des personnes infectées vont mourir de la maladie;
- 5% des personnes contaminées vont hériter d’une maladie chronique au niveau des reins et/ou des poumons, et/ou du cœur et/ou du cerveau.
Convertissons ces données en chiffres absolus en partant du principe que le Québec a une population de 8.5 millions d’habitants et que nos mesures de précautions ne sont PAS appliquées.
D’ici 2022, 3.4 millions de personnes pourraient être contaminées. 1 million vont être asymptomatiques. 2.4 millions de personnes vont avoir des symptômes à différents degrés. 680 000 personnes vont avoir besoin de soins hospitaliers élémentaires. 170 000 personnes vont avoir besoin de soins intensifs.
Il est important de mentionner que le Québec a 1375 places de disponibles aux soins intensifs.
Si on s’entête à ne pas appliquer rigoureusement les mesures sanitaires, ce n’est pas moins de 36 000 décès qu’on pourrait avoir au Québec (nous en sommes à 8500 décès au moment d’écrire ces lignes). 31 millions de morts à l’échelle mondiale. La grippe espagnole avait fait au moins 50 millions de victimes.
Évidemment, ces chiffres ne tiennent pas comptes des décès pour les autres maladies et urgences dues au manque de soins disponible.
Le confinement et autres mesures ne pourront pas éradiquer la propagation. L’objectif est de ralentir la chaine de propagation pour permettre à la Santé Publique d’opérer dans ses capacités structurelles et en personnel soignant. Le personnel soignant peut être soit contaminé, soit épuisé. À quoi sert avoir des lits aux soins intensifs si nous n’avons pas le personnel pour l’opérer.
Plus nous sommes indisciplinés, plus nous repoussons l’échéance du retour à la normale. Les chiffres ci-hauts viennent contredire ceux qui revendiquent une immunité de groupes naturelle. Le système va imploser et l’économie va s’effondrer davantage. Toutes les pandémies ont eu des dommages collatéraux. Celle-ci ne fait pas exception. Les stratégies des institutions mondiales de santé publique vont dans le sens d’aller avec le moins pire des maux. Nous ne pouvons pas y échapper.
Pour ce qui est de l’immunité, le vaccin est la seule voie. Voici les étapes :
- Avoir un vaccin (bonne nouvelle, ils existent);
- Produire le vaccin;
- Le distribuer;
- Faire des campagnes de vaccination;
- L’acceptation du vaccin (certains sont réfractaires aux vaccin…)
Il y a un seuil requis de vaccination/immunisation pour un virus comme la COVID-19 compte tenu de son indice de propagation. Il faut un taux de vaccination/immunisation entre 45 et 60% pour considérer la pandémie comme terminée.
En comparaison, le taux de vaccination requis pour la grippe saisonnière pour éviter une épidémie est d’environ 30%. Pour la rougeole, avec son R0 de 18 (!), ça prend un taux de vaccination de 90%. La rougeole avait été à toutes fins pratiques éradiquée mais, à cause du mouvement anti-vaccin, la rougeole a fait des réapparitions dans certaines communautés.
Au final, c’est en 2022 que l’immunité collective sera obtenue selon le Dr. Christakis. Le choc social et économique sera probablement ressenti jusqu’en 2024 selon lui. Il s’attend même à des « années folles 2.0 » au sortir de la crise à partir de 2024. Un sentiment d’euphorie va se mettre en place. Ce qui aura pour effet d’aider à payer une partie de la facture accumulée.
Tout n’est pas que négatif en cette période de crise. La pollution diminue. Il y a moins de décès par accident. Moins de décès liés aux chirurgies dites de routine. Il meurt en moyenne 4.5 millions de personnes en ces circonstances.
Le virus nous a envahi comme espèce. Nous sommes tous et chacun dedans jusqu’au cou. Nous devons faire preuve de solidarité et de civisme. Il faut dépolitiser le masque, par exemple, autant à gauche qu’à droite. Le porter n’est pas un signe de vertu supérieure. Ne pas le porter n’est pas un gage de liberté. C’est une marque de respect et un comportement social requis de tous de façon intrinsèque. Au même titre que personne ne se sent supérieur ou lésé de porter un t-shirt dans un restaurant par exemple. Personne ne va au resto en bedaine dans un environnement normal (je ne parle pas des tout-inclus dans le sud bien sûr).
Je vous recommande donc fortement ce livre. Une lecture passionnante et éclairante. Vous pouvez aussi regarder le documentaire Totally Under Control sur Prime Video qui fait aussi un bon bilan. Et si vous avez du temps et de l’argent, abonnez-vous au site d’éducation The Great Courses Plus et faites le cours de 12 heures An Introduction To Infectious Disease. Ça ne fera pas de vous un expert, bien sûr, mais ça vous permettra de mieux comprendre ce que les experts racontent quand ils parlent.