Compte-rendu du colloque « LES DÉFIS GÉOSTRATÉGIQUES DU SÉNÉGAL »
Compte-rendu du colloque
« LES DÉFIS GÉOSTRATÉGIQUES DU SÉNÉGAL »
Mardi 3 DÉCEMBRE 2024
Nous avons le plaisir de vous communiquer le compte-rendu du colloque sur « Les défis géostratégiques du Sénégal », organisé par l’Académie de Géopolitique de Paris le 3 décembre 2024, en cliquant sur le lien ci-dessous. Le Sénégal, un des grands émergents du continent africain et de la francophonie, dont l’ouverture sur l’Océan Atlantique permet de jouer un rôle d'interface dans les échanges entre Europe, Afrique et Amériques, ouvre aussi de plus en plus sa géopolitique interne vers ses voisins et les autres régions africaines, Dakar caressant l'ambition de disposer de tous les outils de puissance : influence, diplomatie, démographie et économie ouverte. Le colloque organisé par l'Académie de Géopolitique de Paris se voulait analyser la capacité du pays à répondre à ses défis, au cœur des enjeux régionaux et internationaux, au moment où les cadres traditionnels de développement évoluent rapidement et viennent interagir avec sa situation politique interne.
Vos observations et remarques sont les bienvenues.
Bonne lecture.
« LES DÉFIS GÉOSTRATÉGIQUES DU SÉNÉGAL »
10 décembre 2024
COMPTE-RENDU DU COLLOQUE
L’Académie de Géopolitique de Paris (AGP) a organisé Mardi 3 décembre 2024 dans ses locaux un colloque sur le sujet des enjeux, défis et perspectives géostratégiques du Sénégal.
État indépendant de l’Ouest africain bénéficiant d’une ouverture sur l’Océan Atlantique lui permettant de jouer un rôle d’interface dans les échanges entre Europe, Afrique et Amériques, le Sénégal est un des grands émergents du continent et de l’Afrique francophone. Le fleuve Sénégal qui le traverse au Nord ouvre de plus sa géopolitique interne vers ses voisins et les autres régions africaines. Dakar caresse l’ambition de disposer de tous les outils de la puissance, influence, diplomatie, démographie et économie ouverte. L’ambition de ce colloque était d’analyser la capacité du pays à répondre à ses défis, au cœur des enjeux régionaux et internationaux, au moment où les cadres traditionnels de développement, les relations avec la France et l’Union européenne, l’attraction du Sud Global (notamment de ses puissances la Russie et la Chine) et le contexte déstabilisant des conflits récents évoluent rapidement, et viennent interagir avec sa situation politique interne.
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Intervention d’ouverture du colloque parle Dr. Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP), après l’accueil des intervenants et du public. Il s’est exprimé sur le sujet « Les Enjeux et perspectives géostratégiques du Sénégal ».
Le Sénégal occupe une position géostratégique de premier plan en Afrique de l’Ouest. Cette situation géographique privilégiée, combinée à une histoire riche et complexe, a façonné un pays aux multiples influences et aux enjeux géopolitiques variés. Situé sur la côte atlantique, il bénéficie d’un accès direct aux principaux axes maritimes mondiaux. Sa capitale Dakar a longtemps été un port incontournable pour le commerce entre l’Europe et l’Afrique. Le Sénégal est souvent cité en exemple pour sa stabilité politique relative en Afrique, un atout majeur pour attirer les investissements étrangers et renforcer son influence régionale. Il est un creuset culturel où se mêlent les influences africaines, arabes et européennes. Cette diversité est une richesse, mais elle peut aussi être source de tensions. Bien que moins riches en ressources naturelles que certains de ses voisins, le Sénégal dispose de ressources halieutiques importantes et d’un potentiel touristique considérable. Les relations du Sénégal avec ses voisins, notamment la Mauritanie, la Guinée-Bissau et le Mali, sont marquées par des enjeux liés à la gestion des frontières, aux ressources partagées et à la lutte contre le terrorisme. Le Sénégal joue un rôle actif dans les organisations régionales africaines, comme la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) pour renforcer l’intégration régionale et promouvoir la paix et la sécurité en Afrique de l’Ouest.
Le Sénégal entretient des relations diplomatiques avec de nombreux pays, Notamment la France, marquées par une longue histoire commune, une coopération politique et économique intense, et un partenariat privilégié. La France joue un rôle important dans le développement du Sénégal, tout en bénéficiant elle-même d’un accès privilégié à un marché africain dynamique. Avec les États-Unis, solides et fondées sur des valeurs communes telles que la démocratie, les droits de l’homme et la bonne gouvernance. Bien que l’histoire coloniale ne lie pas les deux pays comme avec la France, leur partenariat est marqué par une coopération multiforme et un respect mutuel. Avec la Chine, dont le partenariat est un phénomène complexe qui présente à la fois des opportunités et des défis. Il est essentiel de suivre de près l’évolution de cette relation pour en mesurer les impacts à long terme. Avec la Russie, des relations en constante évolution, les deux pays partagent des intérêts communs, il reste encore des défis à relever pour renforcer davantage leur coopération. Avec les pays arabes, des relations solides et multiformes, fondées sur une histoire commune, des valeurs partagées et des intérêts convergents. Cependant, ces relations sont aussi complexes et évoluent dans un contexte international en constante mutation. Avec l’Union Européenne, des relations solides et basées sur des intérêts communs, qui contribuent au développement économique et social et renforcent la stabilité régionale. Ces relations lui sont essentielles pour soutenir son développement économique et renforcer sa position sur la scène internationale, et faire face aux défis sécuritaires auxquels il est confronté, tels que la montée du terrorisme, la criminalité transnationale et les migrations clandestines.
Pays multi-facettes à la géostratégie complexe et dynamique, la position géographique du Sénégal, sa stabilité politique et sa diversité culturelle en font donc un acteur important de la scène africaine. Cependant, le Sénégal doit encore consolider ses acquis et assurer son développement durable. La réussite de ses stratégies sécuritaires dépendra de sa capacité de coopération régionale et internationale et d’adaptation aux menaces émergentes. Le renforcement de la gouvernance et la lutte contre la corruption sont des enjeux clés pour assurer la stabilité à long terme du pays. Le défi du développement économique doit être relevé pour améliorer les conditions de vie de sa jeune population, qui aspire à un avenir meilleur, et pour réduire les inégalités qui persistent et le chômage élevé qui les frappe. La montée des revendications identitaires peut susciter des tensions et troubles sociaux. Enfin, la propagation des groupes terroristes dans la région sahélienne, mais aussi le trafic d’armes, de drogue et d’êtres humains ou encore les conflits dans les pays voisins (Mali, Burkina Faso) peuvent constituer des menaces sérieuses pour la sécurité et la stabilité du Sénégal. L’alternance politique est une réalité au Sénégal, mais les mécanismes de passation de pouvoir restent à consolider. Les élections, bien que généralement considérées comme libres et transparentes, sont souvent marquées par des tensions et des contestations. La participation citoyenne est un enjeu majeur. Si les Sénégalais sont attachés aux valeurs démocratiques, la mobilisation citoyenne reste encore inégale, notamment chez les jeunes et les femmes. La corruption est un fléau qui mine la confiance des citoyens dans les institutions et freine le développement du pays, et c’est pourquoi la lutte contre la corruption est une priorité constante des gouvernements successifs. Les inégalités sociales, notamment entre les zones urbaines et rurales, et entre les différentes classes sociales, constituent de même un défi majeur pour la cohésion nationale et la stabilité politique. En matière de gouvernance démocratique, les Sénégalais ont démontré leur attachement aux valeurs démocratiques et leur capacité à surmonter les obstacles, capacité dont dépendra son avenir.
Les enjeux majeurs mis en avant sont le développement économique, la lutte contre la corruption, la justice sociale et la consolidation de la démocratie. La religion joue un rôle fondamental dans la vie politique sénégalaise, qui entretient avec elle un rapport complexe, délicat et soumis à des évolutions constantes en raison de la mondialisation et de l’émergence des nouvelles générations. Le pays est à majorité musulmane, et sa société a profondément été marquée par l’islam, qui continue de l’influencer, notamment à travers les confréries soufies. Le Sénégal entretient des relations diplomatiques avec de nombreux pays et aspire à jouer un rôle de leader en Afrique de l’Ouest. Il doit pour cela renforcer sa coopération régionale et s’impliquer davantage dans les organisations régionales telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et Union économique et monétaire ouest-africaine, tout en diversifiant ses partenaires économiques et en renforçant sa coopération avec les puissances émergentes. Le Sénégal dispose par ailleurs d’un long littoral qui doit le pousser à assurer sa sécurité maritime dans un contexte marqué par la piraterie et le trafic de drogues. Les influences géopolitiques internationales au Sénégal reflètent pour leur part l’importance stratégique du pays en Afrique de l’Ouest et ses relations historiques et contemporaines avec divers acteurs mondiaux. En matière de relations internationales, le Sénégal se trouve à la croisée des intérêts de nombreuses puissances, ce qui lui permet de diversifier ses partenariats pour soutenir son développement, mais cette pluralité d’influences nécessite une gestion stratégique, afin de préserver sa souveraineté et éviter les risques de dépendance ou de tensions entre partenaires.
Les perspectives d’avenir et les défis du Sénégal sont nombreux et complexes, mais le pays dispose de nombreux atouts pour les relever : une population jeune et dynamique, une société civile active, une stabilité politique relative et un potentiel économique important. Pour y faire face il lui faudra : améliorer la gouvernance, lutter contre la corruption, renforcer l’État de droit, réduire la dépendance extérieure aux matières premières, développer les secteurs économiques porteurs, améliorer l’accès à l’éducation, la santé et la formation professionnelle, et enfin renforcer la coopération régionale et internationale pour faire face aux défis communs. En agissant sur ces différents fronts, le Sénégal pourra renforcer sa résilience et saisir les opportunités qui s’offrent à lui pour devenir un pays émergent.
Intervention du Recteur Gérard-François DUMONT, Économiste, démographe, professeur à la Sorbonne Université, Président de la revue Population & Avenir, Vice-Président de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP), au sujet de « La Géopolitique du Sénégal depuis son indépendance ».
Monsieur le Président, merci de votre invitation qui me permet, à l’occasion de notre journée, d’essayer de synthétiser la géopolitique du Sénégal depuis son indépendance. Je sais que nous avons le privilège d’avoir aujourd’hui des fins connaisseurs du Sénégal donc je leur demande leur indulgence pour la synthèse que je vais proposer, et bien entendu je sais qu’ils sauront exercer leur sens critique pour notre prochain débat, qui aura lieu au cours de l’après-midi. Il m’a semblé, en introduction, pertinent de simplement vous montrer une photo : c’est le fameux monument de la Renaissance Africaine, qui se trouve à Dakar et construit du moment du Président Abdoulaye Wade (2000-2012). C’est intéressant, car moi cette photo me fait penser à la Tour Eiffel, mais vous me direz, où est le rapport ? Le rapport c’est que quand en France nous avons construit la Tour Eiffel, il y a eu une grosse controverse : il y avait ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre. Au Sénégal aussi, ce monument a beaucoup fait parler, notamment en fonction de son coût, mais peut-être qu’il deviendra comme la Tour Eiffel, c’est-à-dire un symbole très fort de ce pays. Donc il a été fini comme vous le savez en 2010 et il veut, à mon sens, symboliser le pont que représente le Sénégal entre l’Afrique et les autres continents. C’est donc un monument qui a une symbolique très forte. Également pour ceux qui ne connaissent pas, en raison de son positionnement géographique. Je terminais pour rappeler effectivement qu’en plus, le positionnement géographique de ce continent est très intéressant, sur une colline près de l’Atlantique. Cela me semble symboliser mieux que tout autre discours l’introduction à notre thème.
Je vais vous proposer un résumé en trois points : le premier élément consiste simplement à rappeler quelques fondements géopolitiques du Sénégal ; avant de s’interroger plutôt sur les questions de géopolitique interne, et sur la stabilité géopolitique du Sénégal ; et enfin d’évoquer les crises sénégalaises qui se sont déroulées, et dans quelle mesure elles nous permettent de mieux comprendre la géopolitique régionale et mondiale.
Donc quels sont les fondements géopolitiques ? C’est bien sûr d’abord la géographie, avec un pays maritime, placé à l’ouest de l’Afrique, et qui bénéficie en particulier du fleuve Sénégal, qui est à la fois une richesse et une frontière. Une frontière qui est un élément de relation et, comme toute frontière, peut engendrer des avantages et des inconvénients. Donc la géographie du Sénégal c’est incontestablement une position géographique absolument stratégique lorsqu’on regarde une carte de l’Afrique, et c’est cette position stratégique qui peut expliquer notamment l’importance du port de Dakar, qui est évidemment le grand port du Sénégal mais aussi un grand port pour l’ensemble des autres pays d’Afrique occidentale. Donc nous pouvons dire que c’est un port international plus qu’un port strictement national compte tenu de sa position géographique. Le Sénégal est également d’un point de vue géographique riche des particularités de sa région méridionale, donc la Casamance (je vous rappelle que cette région a le climat le plus humide du Sénégal, mais aussi la végétation la plus forestière, c’est-à-dire que ses atouts climatiques sont extrêmement intéressants pour faciliter des productions à la fois agricoles et forestières). Et bien entendu qui signifie domaine maritime, signifie également des ressources halieutiques qui évidemment ne peuvent pas être exploitées parfaitement, parce que le Président a évoqué par exemple tout à l’heure les questions de piraterie et d’utilisation parfois du domaine maritime du Sénégal par des flottes qui ne devraient pas s’y rendre, et il faut ajouter le fait que le Sénégal a découvert récemment des hydrocarbures, et surtout a su s’entendre intelligemment avec la Mauritanie pour bien préciser quelles sont les parties des champs d’hydrocarbures qui sont de la Mauritanie et quels sont celles du Sénégal. Donc premier élément : des atouts géopolitiques, géographiques, extrêmement forts.
Le deuxième élément, c’est évidemment la dimension historique. En fait, le Sénégal a toujours eu un rôle historique. Je ne vais pas remonter à des siècles trop lointain, mais si nous remontons à environ 130 ans, il faut quand même rappeler que dans ses décisions de colonisation, lorsque la France a décidé d’organiser l’Afrique Occidentale Française (AOF), en 1895, elle a choisi une ville sénégalaise comme capitale de l’AOF, c’est-à-dire Saint-Louis. Et puis, quelques années plus tard, elle a décidé de transférer la capitale de l’AOF de Saint-Louis à Dakar, et effectivement le Sénégal dans son ensemble, que ce soit Saint-Louis ou Dakar, a joué un rôle très important dans l’expansion coloniale de la France en Afrique. Alors, que nous déplorions ou non cette expansion coloniale, c’est évidemment un héritage de l’histoire que nous ne pouvons pas nier.
Troisième élément important, la dimension démographique. Vous voyez qu’aujourd’hui, selon les estimations, le Sénégal a 18 millions d’habitants, ce qui le met un peu en-dessous d’un autre pays limitrophe, le Mali dont l’estimation est à 23 millions. Quoi qu’il en soit, vous voyez un poids démographique relatif par rapport aux pays limitrophes, qui le place en deuxième position, donc effectivement dans un rang démographique qui est significatif au sein de la région. Et si nous étendions la comparaison avec d’autres pays de l’Afrique occidentale, eh bien la situation du Sénégal d’un point de vue démographique peut être considérée comme favorable. Cette dimension démographique, nous pouvons la mesurer par le nombre d’habitants. Nous pouvons la mesurer à travers le fait que le pays est inégalement peuplé, notamment en raison de ce qu’a été la croissance de sa capitale, c‘est-à-dire de Dakar, aujourd’hui une agglomération de 4 millions d’habitants, donc un peu plus de 20 % environ de la population totale, une capitale fondée en 1857, donc au moment de la colonisation. Et donc cette capitale, par son importance, joue un rôle significatif, même si le Sénégal a eu, peut-être, tort de trop copier la France avec une armature urbaine macrocéphale, qui n’est pas nécessairement l’idéal lorsque nous voulons développer une politique d’aménagement du territoire qui permette à tous les territoires de se développer, y compris dans les territoires orientaux du Sénégal qui sont parfois effectivement plus en difficulté par rapport aux régions maritimes. Le fait que cette capitale ait été initiée au temps de la colonisation peut être illustré tout simplement par la mairie de Dakar : voyez, nous sommes en pleine architecture française, et c’est effectivement un très beau bâtiment. Ce qui a retenu mon attention, c’est le fait que bien qu’il s’agisse d’une ville relativement récente dans l’histoire de l’Afrique. C’est quand même une ville qui a un vrai blason, qui lui donne effectivement une identité, et cela parait extrêmement important pour bien comprendre la richesse de ce territoire, mais en même temps c’est vrai qu’on peut considérer qu’elle est un peu privilégiée par rapport aux autres territoires. Je vous propose de l’illustrer à travers cette vue : vous voyez la construction d’un hôtel à Dakar, nous n’avons évidemment pas d’équivalent dans aucun autre territoire du Sénégal.
C’est donc le quatrième point que je voulais évoquer, cet aspect armature urbaine, et je voudrais insister aussi – ce qui me parait un élément géopolitique fondamental – sur l’importance des diasporas. Je dirais d’abord que mon impression est que l’émigration est un peu dans l’ADN du Sénégal. C’est-à-dire que nous avons des pays qui n’ont pas nécessairement l’émigration dans leur ADN, je pense par exemple à l’Égypte ou même tout simplement à la France pendant très longtemps. Vous savez, la formule « heureux comme Dieu en France », ce qui fait que les français ont beaucoup moins émigré que les allemands, les italiens, les anglais, etc. Donc cette diaspora est nombreuse – nous pouvons l’estimer à 4 millions de personnes à peu près – et en plus elle bénéficie d’un mot pour la décrire qui est significatif, c’est-à-dire celui qui part en diaspora, en langue Wolof qui est la langue dominante au Sénégal. Je prononce peut-être mal mais on les appelle les « (…) », ce qui veut dire « aventurier ». Ce qui est important dans cette diaspora c’est qu’elle a une grande distribution géographique, c’est-à-dire que nous trouvons une diaspora sénégalaise dans de très nombreux pays du monde, en France bien sûr mais aussi aux États-Unis. Si vous comparez par exemple avec la diaspora algérienne, qui est un tropisme français (c’est-à-dire que 80 % est en France), au contraire nous trouverons de la diaspora sénégalaise aux Émirats Arabes Unis, etc. et bien sûr dans de nombreux pays africains, cela va de soi. Je vais illustrer cela par deux photos qui mettent en évidence l’importance de cette diaspora. Là c’est l’école polytechnique de Thiès, cette ville qui se trouve à environ 50 km de Dakar : vous voyez qu’il y a une publicité pour la carte verte américaine au sein de cet école. En fait je ne m’attendais pas à voir cette publicité affichée à ce point-là, et donc ça mesure ce qui est la concurrence mondiale pour attirer les meilleures ressources humaines. À cet égard, il faut bien reconnaitre que les États-Unis sont très forts. Et puis, là je reviens sur la cote de Dakar sur ce qui s’appelle la Place du Souvenir Africain, en hommage aux grandes figures historiques de l’Afrique, ET de la diaspora. Donc vous voyez que le Sénégal lui-même est conscient de l’importance de sa diaspora, qui d’ailleurs a le droit de vote aux élections et joue un rôle important en géopolitique interne, comme en géopolitique externe.
Dernier point fondamental me paraissant important, ce sont les confréries qu’a citées le président tout à l’heure, dans la mesure où nous pouvons considérer que l’évolution sociale du Sénégal ne peut être comprise sans souligner l’importance des confréries, d’autant plus que ce ne sont pas des confréries importées. La confrérie Mouride est une confrérie qui a été créée au Sénégal, la confrérie des Tidjanes je crois que c’est au sud du Maroc, si ma mémoire est bonne. Donc nous sommes vraiment dans des logiques sociétales locales, qui permettent ce développement et qui créent un islam un peu atypique. Alors, il faut avouer que cet islam peut être aujourd’hui un peu contrarié, car que ce soit les wahhabites, ou d’autres islams de l’étranger qui essaient de venir s’implanter au Sénégal, il n’empêche qu’il joue un rôle social très important dans la cohésion sociale, dans la cohésion de l’organisation de la population, et l’un des symboles étant la fameuse ville de Touba, qui est comme vous le savez la capitale du mouridisme, équivalente à Nadjaf en Irak que le Président Ali Rastbeen connait bien, c’est-à-dire la ville où tout mouride doit se faire enterrer, s’il en a les moyens bien entendu. C’est important, et vous voyez que, pour souligner l’importance de cette ville de Touba, je vous propose tout simplement cette affiche qui fait une publicité pour vous conseiller d’utiliser une compagnie aérienne qui s’appelle « Air Touba ». Touba est un gros lieu de pèlerinage, très important, mondial puisque c’est du monde entier que des sénégalais viennent à Touba.
Donc des fondamentaux géopolitiques qui sont quand même extrêmement originaux, c’est-à-dire que si vous faites la combinaison des différents paramètres que j’ai évoqué, il n’y a pas d’équivalent dans un autre pays africain, et c’est peut-être la raison qui nous permet de mieux comprendre notre deuxième partie : le Sénégal modèle de stabilité géopolitique interne en Afrique. Le premier constat que l’on peut porter, c’est que par rapport à d’autres pays d’Afrique, le Sénégal, depuis 1960, n’a jamais connu de coup d’État militaire. Et j’ajouterai : jamais les militaires n’ont eu une influence significative sur le pouvoir civil. Alors que dans d’autres pays qui n’ont peut-être pas connu de coup d’État militaire, nous avons parfois eu quand même des militaires qui exerçaient certaines pressions sur le pouvoir civil. Donc dans une certaine mesure, nous pouvons considérer que le Sénégal est une exception en Afrique, un sorte de modèle sénégalais de stabilité et de démocratie même si, bien entendu, la vie n’étant pas un long fleuve tranquille, le Sénégal a connu un certain nombre de soubresauts. Je le résumerai à quelques éléments.
À mon sens, le premier et principal soubresaut est celui qui s’est produit en décembre 1962. Léopold Sédar Senghor, donc premier Président du Sénégal, est une personne qui considère que le rôle d’un président c’est de présider, et pas d’être un président opérationnel. Donc la constitution prévoit que ce soit le Premier ministre qui dirige le gouvernement et la politique quotidienne. Simplement, manifestement, nous avons en 1962 un désaccord dans la mesure où le Premier ministre voulait conduire une politique différente de ce que souhaitais le Président, ce qui va entrainer effectivement une crise politique, et cette crise politique, qui a failli déstabiliser le pays, va se traduire par une révision constitutionnelle. Le Sénégal qui n’avait pas une constitution présidentielle, va se doter en 1963 d’un régime présidentiel qui perdure depuis. Donc, première date importante dans cette évolution vers la démocratie : ce régime présidentiel.
Deuxième élément important, c’est l’instauration du multipartisme, alors que beaucoup de pays africains en 1974 n’ont toujours pas accepté le multipartisme. À mon sens, je crois que c’est le Sénégal qui est le premier pays d’Afrique à avoir accepté le multipartisme en 1974. Et donc le résultat de cette ouverture vers la démocratie va se traduire par le respect de la démocratie. Et le respect de la démocratie c’est que, sauf erreur de ma part, je vois dans l’évolution géopolitique du Sénégal trois alternances démocratiques. L’une en 2000 : il est intéressant de rappeler que le président sortant Abdou Diouf (1981-2000) a félicité le président Abdoulaye Wade (2000-2012) avant même que nous ayons le résultat définitif des élections, ce qui est quand même d’une grande honnêteté de sa part et respectueux de la démocratie. Deuxième alternance démocratique en 2012 du Président Abdoulaye Wade au président Macky Sall (2012-2024) : nous y reviendrons car ce fut un peu compliqué. Et troisième alternance démocratique, elle-aussi un peu compliquée, celle de 2024.
Alors, pourquoi compliquée ? Parce qu’il faut bien reconnaître que, tant ce qui concerne le président Wade que le président Macky Sall, nous pouvons dire – sans le dire trop brutalement – que ce sont quand même des présidents qui ont eu des entourages qui ont voulu essayer de contrarier la constitution et de leur donner le droit à un troisième mandat. Donc il y a eu un certain nombre de manœuvres pour tenter un troisième mandat, et c’est là que la société civile que citait le Président Ali Rastbeen a été essentielle, puisque c’est bien la société civile qui en se mobilisant a empêché effectivement à chaque fois ces troisièmes mandats et permis qu’il y ait une alternance démocratique, qui s’est traduite dans les urnes. Des tensions politiques, il y en a eu d’autres : c’est la vie de la politique. Je vous en signale une autre, parce que pour moi elle est toujours amusante, si je puis dire, compte tenu du nom des protagonistes. Donc nous avions le Président Macky Sall au pouvoir, et puis nous avions le maire de Dakar (2009-2018), qui s’appelait aussi Sall : Khalifa Sall. Et donc le Président Macky Sall craignant que le maire de Dakar Khalifa Sall soit un concurrent significatif, son équipe a fait quelques manœuvres et vous voyez que cela s’est conclu par ce genre de manifestation avec les agents de la ville de Dakar soutenant leur maire qui avait été emprisonné par le Président Macky Sall. Donc malgré ce que je viens de dire, nous pouvons néanmoins retenir, avec les hauts et les bas de la géopolitique interne du Sénégal, que nous avons bien effectivement un modèle de stabilité géopolitique. Modèle de stabilité géopolitique parce qu’un certain nombre d’hommes politiques ont accepté l’alternance, et modèle de stabilité géopolitique parce que la société civile s’est mobilisée à chaque fois qu’il y a eu un risque démocratique, et même s’il ce risque démocratique ne remettait pas vraiment en cause le droit de s’exprimer de la population.
Néanmoins, ce pays a aussi rencontré des crises depuis 1960, et je voudrais en particulier résumer très rapidement les deux principales crises sénégalaises qui ont quand même secoué la vie géopolitique interne et externe de ce pays depuis 1960, et évoquer aussi la géopolitique régionale et mondiale. La principale crise à mon sens, a été celle – car sa durée a fait qu’elle n’est pas totalement terminée – c’est le conflit casamançais (dès 1982). Il faut rappeler d’abord que la Casamance est enclavée, puisqu’il y a le fameux doigt de la Gambie entre le Nord du Sénégal et la Casamance, ce qui fait donc une situation géographique tout à fait particulière avec une impossibilité de régler le problème, dans la mesure où je rappelle que la Gambie a été une colonie britannique, et que donc les choses sont toujours très agréables à la frontières entre la Gambie et le Sénégal, c’est-à-dire que le sénégalais traite le gambien de sale anglais, et le gambien le sénégalais de sale français, pour la petite histoire… De plus, la Casamance a été au sein de l’Afrique dans une positon toujours très autonomiste. Il faut rappeler que c’est l’un des rares territoires d’Afrique qui a refusé totalement l’esclavage, et qui vis-à-vis du colonisateur français, a su montrer qu’elle n’avait pas envie de plier à tout ce qu’il souhaitait. Donc nous avons manifestement une identité de la Casamance qui est tout à fait spécifique, à laquelle s’ajoutent d’autres difficultés, notamment le fait que les habitants de la Casamance n’aiment pas tellement qu’il y ait des personnes venant exploiter leurs ressources. Cela n’a notamment pas été tellement apprécié en Casamance quand des wolof sont arrivés pour exploiter les arachides de Casamance. Toujours est-il que le résultat de tout ceci fut que dès l’indépendance en 1960 la Casamance demande un statut d’autonomie au sein du Sénégal. Dans la mesure où elle n’obtient pas ce statut d’autonomie, dès 1962 vous avez des manifestations pro-indépendance en Casamance, donc une demande plus forte, et ensuite dans les années suivantes il va y avoir tout simplement des violences, c’est-à-dire en fait un conflit ouvert entre, pour simplifier, l’armée sénégalaise et des rebellions de Casamance. La meilleure preuve que ces conflits n’étaient pas négligeables, c’est qu’ils ont donné lieu à trois cessez-le-feu. Donc quand on parle de cessez-le-feu c’est bien qu’avant il y avait malheureusement des morts dans le cadre de ces conflits. De mémoire : un premier cessez-le feu en 1991, un deuxième en 1993, un troisième en 1999, et finalement heureusement des accords de paix en 2004. Néanmoins, même si nous avons eu ces accords de paix en 2004, c’est une paix qui est quand même imparfaite, et la meilleure preuve, vous l’avez sur le terrain : quand vous vous rendez à l’aéroport de Ziguinchor, vous constatez que l’armée est quand même très présente à cet aéroport, ce qui signifie clairement que la paix n’est pas encore établie sur ce territoire. Donc c’est cette première crise qui heureusement est aujourd’hui stabilisée. Néanmoins, la solution parfaite n’est pas encore parvenue, et cette crise reste un des enjeux de géopolitique interne du Sénégal.
En revanche, en ce qui concerne la deuxième crise de géopolitique externe, je vous donne tout de suite la conclusion : nous pouvons considérer aujourd’hui qu’elle est totalement réglée. Effectivement, ce qui va se passer en 1989 c’est que du côté du Sénégal, un certain nombre d’habitants vont trouver que des Peuls venus de Mauritanie ont tendance à trop exploiter leur territoire, alors que du côté de la Mauritanie des mauritaniens vont considérer que des sénégalais, en général Soninké, exploitent leur territoire. Tout cela va se traduire en fait par de véritables violences, qui sont des violences entre des nationaux et des immigrés, et ceci va conduire à de telles violences que finalement ce qui sera décidé, c’est de contraindre les mauritaniens habitant au Sénégal de retourner en Mauritanie, et les sénégalais habitant en Mauritanie de retourner au Sénégal, et il va y avoir d’ailleurs des avions qui seront affrétés pour organiser tous ces rapatriements. Je vous donne un petit peu les ordres de grandeur : environ 70 000 sénégalais ont dû quitter la Mauritanie pour le Sénégal, et 170 000 dans l’autre sens. Pour bien témoigner de cette crise, en 1989 une cessation des relations diplomatiques du Sénégal avec la Mauritanie a eu lieu, qui heureusement va donner lieu à une reprise des relations diplomatique en 1992. Depuis, les relations entre la Mauritanie et le Sénégal se portent effectivement très bien, ce qui a été mis en évidence récemment avec le partage des recettes futures d’hydrocarbures.
Autre élément de géopolitique externe sur lequel je n’ai pas beaucoup à m’étendre. Disons que la géopolitique externe du Sénégal a connu deux tentatives qui n’ont pas réussi : la première a été de faire une fédération avec le Mali, ce qui aurait été assez logique puisqu’en fait nous avions un partenariat entre un pays qui a tous les atouts de sa position maritime, et un pays qui lui au contraire a besoin d’un accès maritime mais n’en a pas. Malheureusement, cette fédération du Mali, a échoué assez rapidement (donc nous sommes en 1960). Et puis le second élément a été la tentative de la « Sénégambie », donc de trouver une fédération politique entre la Gambie et le Sénégal, et là malheureusement aussi – je pense moi personnellement que c’est malheureusement – elle a échoué. Peut-être qu’un jour ça pourra être retenté par d’autres dirigeants.
Ce que nous constatons quand même, à travers la diversité des organisations dont fait partie le Sénégal, c’est qu’il est très actif dans toutes les organisations internationales. Il a d’ailleurs été trois ou quatre fois membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, il est à la fois actif dans l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le NEPAD, etc. Je passe sur tous ces éléments. Peut-être, simplement pour symboliser un peu le souci permanent des dirigeants sénégalais, quels qu’ils soient et quelles que soient leurs tendances politiques, de faire que le Sénégal ait un rôle international. Je vous propose de visionner d’abord cette affiche qui montre que le Sénégal a organisé (en 2017 je crois) un forum des parlementaires africains et arabes œuvrant pour la population et le développement. Donc vous voyez la volonté de se diversifier. Notre ami aussi vient de m’apprendre que son ministère s’appelle le Ministère de l’Intégration africaine, ce qui veut bien dire que la volonté du Sénégal de ne pas être un pays fermé sur lui-même mais au contraire ouvert aux autres (et nous avons dans la Place du Souvenir Africain cette immense carte de l’Afrique qui signifie « nous sénégalais nous sommes d’abord africains, nous sommes ensuite sénégalais »). Moi j’aime bien ça, parce que – vous connaissez mon raisonnement – toute identité authentique est plurielle. Donc on peut très bien être sénégalais et africain en même temps, cela va de soi.
L’autre élément très important évidemment de la géopolitique externe a été toutes ces dernières années la diversification du partenariat. Je commence quand même par dire que de toute façon le Sénégal ne pourra à mon sens jamais ignorer les racines liées à la période où il a été une colonie française. Je vais le symboliser par plusieurs éléments. Premier élément, c’est la Place de l’Indépendance (Dakar), si ma mémoire est bonne. Sur la Place de l’Indépendance, vous voyez où on commémore les sénégalais qui sont morts pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale, donc qui ont participé aux armées françaises pour que la France gagne la Première Guerre mondiale, et ensuite arrive à vaincre l’hitlérisme. Deuxième exemple totalement différent, effectivement quand vous voyez ce genre de travail qui a été fait pour améliorer, je ne sais plus s’il s’agit des services d’eau ou d’assainissement à Dakar, donc vous voyez Pont-à-Mousson qui est évidemment une grande entreprise française de Lorraine, dans cette ville justement de Pont-à-Mousson. Et puis, j’aime bien cet exemple, vous voyez à la fois l’héritage plein du Sénégal avec cette avenue Léopold Sédar Senghor, son premier Président, qui a été membre de l’Académie française, et puis à gauche la rue Jules Ferry. Vous voyez ce double héritage. Peut-être qu’un jour il y aura un maire de Dakar qui voudra changer le nom de la rue Jules Ferry, mais même s’il change le nom il ne pourra pas changer le fait que ça fait partie de l’héritage. Vous savez, c’était la formule de Sédar Senghor sur la langue française : « on a l’héritage de la langue française tout en ayant nos propres langues ». Donc bien sûr, la France est dans l’histoire du Sénégal, que le Sénégal le veuille ou non si je puis dire aujourd’hui, mais c’est vrai qu’il y a eu un effort pour diversifier.
Alors cette diversification elle a d’abord concerné un pays qui a une stratégie en Afrique extrêmement développée, c’est la Chine. J’insiste sur ce point parce que moi, dans ma naïveté, enfin il y a maintenant une vingtaine d’années, je pensais que la Chine n’allait investir que dans les pays africains où il y avait des ressources qui l’intéressaient. Et dès que j’ai regardé un petit peu les cartes, j’ai vu qu’en fait la Chine s’est intéressé à tous les pays africains, quelles que soient les ressources dont ils disposaient. Alors bien sûr elle s’est intéressée au Sénégal, et cet intérêt vous le voyez au travers de ce genre de proclamations, vous le voyez aussi à travers évidemment des entreprises de construction chinoises qui sont au Sénégal, et puis vous le voyez dans la principale université de Dakar avec l’institut Confucius, et avec tous ces chinois qui franchissent les portes tous les jours de l’institut Confucius pour apprendre le chinois. Alors en plus c’est assez étonnant, parce que je dois dire et je ne voudrais pas que mes amis sénégalais soient vexés, mais pour moi c’était le bâtiment le plus propre et en état de l’université. Donc il y avait une symbolique assez forte. Ce qui m’a beaucoup amusé, c’est ce que je vais vous montrer maintenant. Il s’agit de l’affiche d’un restaurant. Que dit cette affiche ? Elle propose menu chinois, menu français, menu sénégalais. Dans cet ordre-là. Donc je dirais que cette affiche symbolise l’ouverture du Sénégal, à la fois à la Chine, son héritage français et ses spécificités sénégalaises. Alors ça ne veut pas dire que les États-Unis ne sont pas aussi présents au Sénégal, et je vais vous prouver qu’ils le sont à travers cette affiche qui existe au Sénégal et que je n’ai jamais vu en France, c’est-à-dire l’argument « ici, goutez au bonheur à travers la fameuse bouteille américaine ». Je n’avais jamais vu ça nulle part qu’au Sénégal, dans aucun pays du monde en ce qui concerne cet argument-là. Enfin, je voudrais évoquer évidemment ce qui s’est passé au moment de la construction du nouvel l’aéroport au sud-est de Dakar, qui a donc été construit par la Turquie, ce qui symbolise aussi la diversité des partenariats du Sénégal, avec ce RER.
Donc je conclus Président pour ne pas être trop long, en insistant sur quelques points. Le premier élément qui me parait important c’est effectivement une évolution géopolitique singulière. Alors singulière en interne, avec cette société civile qui à plusieurs reprises a obligé les dirigeants à respecter les constitutions, avec une armée qui est, nous dirions, selon l’adjectif que nous utiliserions en France, qui est républicaine, c’est-à-dire que ce n’est pas son rôle de se mêler de la vie politique du pays. Autre point très important, c’est qu’il est vrai que c’est un pays qui ne subit pas de menaces extérieures. Alors, j’espère que ça va durer bien entendu, parce que malheureusement on sait bien qu’en Afrique, il y a beaucoup de groupes qui essaient de déstabiliser des pays, je n’ai pas besoin de vous en faire la liste. Et ce qui est peut-être la surprise du Sénégal à mon sens, c’est son développement insuffisant. C’est-à-dire qu’on pourrait penser que dans un pays qui a quand même connu une stabilité politique par rapport à d’autres pays, qui a des atouts géographiques incomparables, où la sécurité est assurée – donc on peut se promener dans tout le pays, je dirais qu’il y a plus de sécurité au Sénégal qu’en Île-de-France, peut-être en France… –, qui bénéficie d’un apport important de ses diasporas – et notamment de ses diasporas américaines parce que ses diasporas américaines sont plus riches que ses diasporas françaises –, de tous ces partenariats internationaux – que je n’ai fait que résumer ici – on pourrait penser que son développement économique aurait été beaucoup plus important. Donc ça c’est plutôt la faiblesse à mon avis et ce qui prouve quand même certaines insuffisances de gouvernance, donc ça me parait important d’un point de vue géopolitique parce que je pense qu’avec une meilleure gouvernance le Sénégal, s’il améliore sa gouvernance, pourra avoir un développement économique nettement meilleur, d’autant plus qu’il a de bonnes ressources humaines – j’ai oublié de rappeler aussi qu’il y a un certain nombre d’écoles de qualité au Sénégal, notamment celles qui sont gérées par des institutions catholiques, où les musulmans se rendent d’ailleurs parce qu’elles sont de qualité – donc ça veut dire que son poids géopolitique interne pourrait être beaucoup plus important s’il réussit mieux son développement économique. Maintenant, il faut qu’il fasse attention évidemment à la chance qu’il a d’avoir des hydrocarbures, autrement dit qu’il utilise les recettes de ses hydrocarbures avec la science de la Norvège, et pas comme une rente qui ne fait que faciliter la corruption. Merci de votre attention.
Intervention du Dr. Paul KANANURA, Président de l’Institut AFRIKA, au sujet de « La Géopolitique régionale du Sénégal : Politique d’équilibre entre la CEDEAO et l’AES ».
Avec une position géostratégique entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques, le Sénégal est une porte d’entrée en Afrique de l’Ouest, ce qui lui confère une responsabilité géopolitique régionale particulière. C’est aussi un pays émergent de l’Afrique avec une vision politique de rupture systémique, une ambition géopolitique continentale et une volonté d’influence internationale. La géopolitique du Sénégal est très délicate entre l’idéologie du panafricanisme et la doctrine de rupture du couple exécutif (Président et Premier ministre), l’intérêt national, le respect des engagements régionaux et internationaux souscrits par le pays. La création du Ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères annonce l’orientation géostratégique du pays qui prône la politique d’équilibre entre les intérêts vitaux du Sénégal et ses engagements internationaux. Pour mieux cerner la géopolitique régionale du Sénégal, nous allons explorer la vision panafricaine du parti au pouvoir et la politique de rupture systémique qui orientent le positionnement stratégique du pays en fonction des intérêts et des engagements internationaux.
I. PASTEF : laboratoire du panafricanisme et de rupture, promu au rang de gouvernance nationale par le peuple sénégalais.
Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) est un parti politique sénégalais fondé en 2014 par des jeunes cadres de l’administration sénégalaise, du secteur privé, des professions libérales, des milieux enseignants et des hommes d’affaires dont la majorité était novice en politique, mais ayant déjà partagé des combats de jeunesse avec des batailles gagnantes à l’école et dans la haute administration. D’où la rupture systémique dans la philosophie politique nationale et la vision du monde, basée essentiellement sur une forte dépendance-soumission extérieure nuisible aux intérêts du peuple. Cette dynamique s’est transformée en parti politique avec une devise révélatrice du courage politique : « le don de soi pour la Patrie », et M. Ousmane Sonko deviendra le président charismatique et M. Bassirou Diomaye Faye en sera le Secrétaire général et gardien du temple. En 10 ans seulement, le peuple sénégalais a confié les clés de son avec aux PASTEF, une start-up politique à success-story qui vend le patriotisme, le panafricanisme et la rupture systémique.
A. Le parti du patriotisme et du panafricanisme assumés
Le PASTEF assume ses positions de rupture :
– Le patriotisme économique et social, et le panafricanisme des outils juridiques et institutionnels sont guidés par l’éthique et la transparence au service de la communauté,
– Le « Projet pour un Sénégal souverain, juste et prospère » repose sur une vision du patriotisme et un nouveau référentiel politique de gouvernance transparence et transformation systémique,
– La promotion de la justice redistributive dans la production des normes de dignité humaine et de sécurité humaine,
– Le renforcement des institutions panafricaines pour pallier à la gouvernance défaillante des États et des organisations régionales afin d’augmenter une résilience collective pour affronter les défis asymétriques,
– Le plaidoyer pour une coordination renforcée entre les acteurs africains et internationaux pour des partenariats gagnant-gagnant,
– La véritable indépendance passe par une rupture complète avec toute forme d’influence militaire étrangère. La quête de souveraineté et la question des bases militaires étrangères sont des sujets clés et préoccupants pour la jeunesse africaine,
– L’affirmation de l’autonomie stratégique de l’Afrique dans les affaires mondiales.
B. Le couple exécutif : architecte de la rupture qui séduit les Sénégalais
La vision politique du PASTEF est plébiscitée par le Peuple sénégalais :
– Le Peuple sénégalais a choisi l’alternance et la souveraineté pour consolider le modèle de stabilité politique, démocratique et géopolitique de la nation,
– La rupture systémique devient une nouvelle philosophie de la gouvernance sénégalaise, régionale, continentale et internationale,
– La responsabilité panafricaine à travers le discours cohérent du couple de l’exécutif séduit les Sénégalais, les Africains et certains partenaires, adeptes du respect de la parole donnée,
– La politique sénégalaise donne au peuple et aux partenaires la caution de la maîtrise et l’effectivité de l’art de la gouvernance avec un pacte national prospectif, une croissance économique raisonnable et une compétitivité basée sur la transformation des produits locaux,
– La nouvelle génération des politiques née après des indépendances avec des idées innovantes et qualitatives d’une rupture profonde avec le passé pour prôner la diversification des partenariats sur la base d’intérêt commun et de réciprocité.
Le monde subit une mutation géopolitique majeure et le Sénégal vit une nouvelle ère politique. La vision idéologique du PASTEF s’inscrit dans une volonté de construire une gouvernance de rupture, plus efficace et plus proche des attentes des citoyens. Au lieu de subir des contraintes géopolitiques qui limitent la sphère de la souveraineté, la théorie de rupture systémique vise à façonner des règles nationales, régionales, continentales et mondiales pour devenir des acteurs du jeu géostratégique.
II. La géopolitique régionale dictée par l’intérêt et les engagements du Sénégal
Avec la création de l’AES, les conséquences et les incertitudes politiques, diplomatiques, économiques et sécuritaires qui secouent la région ouest-africaine obligent le Sénégal à déterminer sa politique régionale en fonction des intérêts nationaux et des engagements internationaux. La divergence d’intégration politique et de souveraineté économique entre les États du Sahel et les pays ouest-africains entraîne le Sénégal vers une géopolitique d’équilibre, car le désaccord sur les questions de l’indépendance régionale et de la politique monétaire est au centre de la politique de rupture systémique.
A. L’intérêt régional avec la CEDEAO
La géopolitique internationale favorise le positionnement du Sénégal dans la CEDEAO :
– Le Sénégal est un pays fondateur de la CEDEAO dont l’intégration régionale est fragilisée par le revirement géostratégique et le retrait de trois pays de l’AES,
– Le Sénégal est un des pays influents de la CEDEAO dont la présence est indispensable pour les partenaires,
– La politique active du Sénégal dans les organisations régionales et internationales,
– L’influence diplomatique du Sénégal au niveau africain et international, oblige le pays à rester actif dans la CEDEAO avec une volonté d’impulser une dynamique de coopération avec l’AES.
B. L’intérêt géoéconomique et sécuritaire avec l’AES
Les intérêts vitaux obligent le Sénégal à coopérer avec l’AES :
– L’AES : arrière-pays du port de Dakar (zone d’influence et d’attraction économique du Mali) : le Sénégal a été impacté par les sanctions de la CEDEAO (au profit des ports du Togo et de Guinée),
– Le défi de prévention du terrorisme et de lutte contre le djihadisme (pour harmoniser des défenses nationales avec les exigences d’une coopération régionale efficace pour anticiper la métastase de l’extrémisme violent et du terrorisme),
– Sénégal, un îlot de stabilité sur l’axe horizontal de fragilité (Sahel) et l’axe vertical de pauvreté (sources d’insécurité, d’extrémisme violent et du terrorisme) avec une stratégie de défense des frontières face aux vulnérabilités géopolitiques,
– Le Sahel, avec plusieurs groupes armés non étatiques et terroristes, dont certains terroristes d’origine sénégalaise, oblige le Sénégal à développer des coopérations sécuritaires avec l’AES pour endiguer la menace et les violences terroristes.
C. La politique d’équilibre entre la CEDEAO et l’AES
La politique d’équilibre régional du Sénégal bénéficie des éléments favorables :
– Le Sénégal est le seul membre fondateur de la CEDEAO qui peut gérer efficacement les prémices de la fragmentation régionale,
– La vision d’indépendance partagée avec l’AES pour repenser la sécurité sous le prisme de la souveraineté,
– L’AES perçoit la CEDEAO comme un instrument aux mains des puissances occidentales, une menace pour leur souveraineté et une entité qui a dévié de son idéal panafricaniste d’origine, préférant défendre des chefs d’État et des occidentaux plutôt que les aspirations de leurs populations. Le retour semble difficile, voire impossible. Mais cela ne veut pas dire que ces deux entités ne puissent pas cohabiter et travailler pour le bien-être de leurs populations respectives. Cela positionne le Sénégal dans une perspective de jouer le rôle de médiateur,
– Sur le plan des relations commerciales, le soutien du Togo et de la Guinée Conakry à l’AES dans sa confrontation avec la CEDEAO et ses alliés occidentaux pourrait conduire à des accords bilatéraux dont le Sénégal serait le grand bénéficiaire,
– Légitimité des hautes autorités sénégalaises pour mettre en place des mécanismes de « diplomatie alternative » de gestion de différente vision communautaire pour construire une attente de coopération régionale entre les deux entités.
D. La réaffirmation de la souveraineté orientée le Sénégal vers le Sahel
Quelques évidences qui plaident pour le rapprochement géostratégique entre le Sénégal et la Confédération des Etats du Sahel :
– Le défi de souveraineté avec la reprise en main du destin sécuritaire, politique et économique en rupture avec la dépendance extérieure,
– La posture politique de rupture systémique qui rejoint les aspirations souverainistes des peuples du Sahel avec le refus des modèles inadaptés aux réalités africaines pour promouvoir des politiques publiques répondant aux besoins réels des populations,
– Le débat sur la fin du franc CFA avec l’épineuse question de l’articulation entre la souveraineté monétaire « partagée » (UMOA) et la capacité de pilotage économique national (fédéralisme monétaire et balkanisation économique des Etats-nations),
– La décision du gouvernement sénégalais de renégocier les contrats pétroliers et gaziers rejoint les motivations économiques, industrielles et géopolitiques de l’AES de déterminer la richesse des ressources naturelles et la politique de transformation des matières premières pour créer de la valeur et des emplois,
– La vision panafricaniste de l’indépendance, de responsabilité collective et des libertés avec la question de souveraineté monétaire en filigrane de cohérence stratégique de transformation économique,
– Du Sénégal au Tchad : un continuum des souverainetés du Sahel, conforté par la simultanéité de l’annonce sénégalaise et tchadienne de rupture des accords militaires avec la France. Cela augure des perspectives d’une nouvelle doctrine de coopération militaire avec un reformatage stratégique qui intègre de nouveaux partenaires sécuritaires sans une approche de changement de maître.
L’AES se positionne comme une réponse audacieuse à la complexité, aux incertitudes et aux vulnérabilités auxquelles l’Afrique doit faire face collectivement pour répondre aux nouveaux défis mondiaux.
Elle dépasse le cadre théorique d’intégration régionale, basé sur l’insertion des États dans l’économie mondiale, pour épouser l’idée d’une coordination des systèmes étatiques pour former une nouvelle entité viable politiquement, sécuritairement, économiquement, socialement et géopolitiquement. Cette dynamique confédérative dépasse largement le cadre stratégique du développement des échanges pour imposer une rupture des paradigmes économiques et des relations internationales, reposée sur des intérêts vitaux, des éléments de rapport de puissance et de partenariat gagnant-gagnant. Les autorités sénégalaises partagent largement cette vision à travers la philosophie de rupture systémique, qui permet de repenser l’intégration africaine en dehors des logiques héritées des frontières coloniales pour épouser des réalités culturelles et historiques, tout en tenant compte des spécificités régionales.
En conclusion, les États africains ont le droit et la responsabilité de prendre des décisions autonomes pour garantir la sécurité, le développement et le bien-être de leurs populations. Cela peut impliquer la recherche des coopérations et partenariats bilatéraux, régionaux ou internationaux respectueux des souverainetés. Le Sénégal dispose des atouts géopolitiques et géostratégiques, confortés par la découverte et l’exploitation d’énormes gisements de gaz et de pétrole, pour séduire des partenaires diversifiés et pour jouer efficacement un rôle régional de locomotive. La géopolitique de l’hinterland, la politique géoéconomique, la fragmentation régionale, l’incertitude qui plane sur la CEDEAO et le panafricanisme orientent le Sénégal vers la dynamique des souverainetés du Sahel. Sa capacité de gouvernance et de développement pour assurer la stabilité nationale permettra d’assumer de nouvelles responsabilités régionales dans une grande vision panafricaine.
Intervention de Monsieur Ibrahima BA, Diplomate sénégalais au Ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères, et Président de Educ’Impact, sur le sujet « Le rôle et la position du Sénégal dans le contexte géopolitique africain ».
Merci docteur. Je dois vous dire qu’il n’est pas évident de parler après des sommités et des éminences comme Gérard-François Dumont, qui nous a beaucoup influencé dans notre jeunesse quand on lisait Diploweb. On a tous lu ses analyses pertinentes sur la géopolitique mondiale, et aujourd’hui c’est un grand honneur pour moi de partager ce plateau avec lui. Je vais pour ma part intervenir sur le rôle et la position du Sénégal dans le contexte géopolitique africain. J’ai plus ou moins essayé d’intervenir sur trois points : qu’est-ce qui a fait et qui a marqué l’influence du Sénégal au plan géopolitique africain et même mondial ? mais également je parlerais de la diplomatie sénégalaise de manière générale sur deux thématiques. Ensuite, je parlerai un peu des enjeux géopolitiques, et peut-être un peu en filigrane sur l’influence de la diaspora sénégalaise et africaine de manière générale.
Le Sénégal a toujours développé une diplomatie d’influence, et ce qui lui a procuré cette diplomatie d’influence c’est sa stabilité. Stabilité politique. Et cette stabilité politique est marquée par trois alternances politiques. Je crois que le professeur Dumont en a parlé. Le Sénégal a connu trois alternances politiques qui se sont faites sans effusion de sang, et cela est extrêmement important. Je crois que j’ai souvent parlé même avec des amis diplomates, maliens ou autres, je leur disais lorsqu’il y avait des troubles politiques récemment au Sénégal, que ça va se stabiliser. Ils me disaient : « bon, tu es très optimiste ». Je leur dis que je connais plus ou moins la maturité politique du peuple du Sénégal. Parce que souvent on a tendance à oublier que le peuple est en avance parfois sur ses dirigeants. Et à chaque fois qu’il y a eu des crises – nous avons eu des crises avec le troisième mandat supposé d’Abdoulaye Wade (2000-2012), mais également avec le président Macky Sall (2012-2024) – donc à la fin toujours le peuple a le dernier mot, et le peuple souverain vote pour celui qu’il veut voir présider à ses destinées. Donc ce qu’il s’est passé. Et après mon ami diplomate malien m’a dit que vraiment le Sénégal nous a donné un néologisme : la « sénégalcratie ». « Vous montrez toujours l’exemple en Afrique », voilà. Donc ça a toujours fait que le Sénégal, les diplomates sénégalais, ont toujours mis en avant cette stabilité là, pour pouvoir vendre aujourd’hui l’influence du Sénégal.
Deuxième aspect du Sénégal c’est que, si vous regardez la carte qui a été projetée tout à l’heure, le Sénégal est dans une zone en tension. À l’école de diplomatie, on nous apprenait que nous sommes sur l’axe de fragilité – si vous voyez le Sahel, c’est l’axe de fragilité – et la diagonale de pauvreté, parce que c’est souvent là où se trouve la pauvreté que se développent aujourd’hui ces actions terroristes. Donc nous sommes encerclés par un cercle de feu, et le Sénégal est l’îlot de stabilité dans ce cercle de feu. Et pourquoi ? Cela s’explique par beaucoup d’aspects, très importants, certains ont été évoqués tout à l’heure.
Le Sénégal a un islam confrérique. C’est l’un des rares pays au monde où vous pouvez trouver au moins trois confréries les plus importantes, etc. et ces confréries ont toujours vécu ensemble et ont mis en avant aujourd’hui les intérêts supérieurs de la nation, c’est-à-dire la stabilité du Sénégal. La deuxième chose, certains l’ont évoqué, et c’est un peu parfois la crainte de certaines personnes et à mon avis peut être que les gens devraient se tranquilliser à ce niveau-là, le Sénégal a toujours joué un rôle d’exception en Afrique sur beaucoup d’aspects. Sur le plan religieux déjà, le président Léopold Sédar Senghor était le Président du Sénégal (1960-1980) et il était de religion catholique. Au Sénégal, nous avons 95 % de musulmans, et 4 % seulement de catholiques. Et Senghor est le premier président du Sénégal. Et dans sa confrontation électorale avec le président Lamine Guèye à l’époque, Senghor a été soutenu par la confrérie la plus importante du Sénégal, la confrérie mouride à l’époque qui avait à sa tête confrérie mouride
Serigne Fallilou Mbacké. Donc pour dire que ces questions religieuses ne sont pas tellement appréciées dans le sens où elles créent des dissidences politiques au Sénégal, ce qui est donc déjà un aspect extrêmement important. Donc j’ai parlé des trois alternances politiques. Toutes se sont faites sur la base d’une élection transparente, où le peuple a voté majoritairement pour le parti qui est arrivé au pouvoir, et sans effusion de sang. Je me rappelle que j’étais dirigeant du mouvement étudiant à l’université de Dakar, nous avons participé à la première alternance politique au Sénégal, et on nous disait – le parti socialiste, qui avait fait 40 ans de régime – qu’il était impossible de faire l’alternance au Sénégal à l’époque. Nous on avait un slogan, on disait « l’alternance ou la mort ». Et nous nous sommes battus dans les campus, un peu partout, on a été un peu partout pour pousser les gens à aller vers cette alternance politique, après par la suite d’autres alternances se sont produites. Donc ça c’est extrêmement important et qui a fait que le Sénégal a été vraiment un ilot de stabilité.
La deuxième chose, c’est que nous avons une diplomatie d’influence, et quand vous regardez nous avons plus d’une cinquantaine de représentations diplomatiques à travers le monde. Et quand vous regardez au plan géopolitique le positionnement des pays dans lesquels le Sénégal est présent, vous vous rendez également compte des intérêts du Sénégal par rapport à ces pays-là. Et nous avons participé à la création d’un certain nombre d’organisations, le doyen Dumont en a parlé, nous avons participé à la création de la Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et d’un certain nombre d’autres, et – ce qui est aussi paradoxal – le Sénégal est le pays qui a été le premier à présider l’Organisation pour les droits inaliénables du peuple palestinien. Et si vous allez à Dakar, l’Ambassade de Palestine cohabite avec l’Ambassade d’Israël et celle d’Iran. Le Sénégal a été l’un des rares pays à faire ça. Et je me rappelle qu’à l’époque le Président Mahmoud Ahmadinejad qui était le Président de l’Iran (2005-2013) en plein conflit avec les États-Unis, et on a parlé suffisamment de la position du Sénégal aujourd’hui, qui est la pointe la plus avancée au niveau occidental de l’Afrique, et nous sommes le point le plus proche des États-Unis, et que souvent certains chefs d’État pour aller aux États-Unis font escale à Dakar pour ensuite se rendre aux États-Unis. Je me rappelle qu’à l’époque, quelques jours avant, le Président Bush est passé au Sénégal, ensuite il est parti en Afrique du Sud, et quelques jours après Ahmadinejad était passé au Sénégal juste après le départ de Bush, et vous voyez le conflit qu’il y avait entre les États-Unis et l’Iran à l’époque. Donc nous avons reçu les frères ennemis au Sénégal. Donc le Sénégal est à ce niveau un paradoxe sur le plan géopolitique, mais qui reçoit tout le monde et qui est ami avec tout le monde. Et ça me renvoie à ce que tout à l’heure Dr. Paul Kananura a dit, c’est que nous avons cette diplomatie d’équilibre, d’équilibriste, qui nous a donné aujourd’hui le rôle que joue actuellement le Président Bassirou Diomaye Faye pour réconcilier les deux entités, CEDEAO et AES. Donc au sein de la CEDEAO, les Présidents ont donné mandat au Président Bassirou Diomaye Faye, pour pouvoir réconcilier les deux entités.
Mais, et c’est extrêmement important, le Sénégal est le deuxième pays de l’Afrique de l’ouest sur le plan économique, après la Côte d’Ivoire. Et pour moi, c’est ma position personnelle, l’avenir est dans les grands ensembles plutôt que dans les divisions. La CEDEAO est une organisation sous régionale mais si vous regardez les textes qui ont mis en place la CEDEAO, ce sont des textes qui ont été bâtis, pendant des années, en tout cas par des éminences grises, et c’est pour moi une organisation qui a été très bien pensée. Aujourd’hui nous avons une intégration économique. La CEDEAO c’est 300 millions de personnes qui commercent, qui se déplacent, qui vont où ils veulent avec un passeport CEDEAO. Le malien peut venir vendre sa marchandise à Dakar, le sénégalais peut aller au Mali ou en côte d’ivoire – à l’époque et dans cette configuration – sans pour autant avoir des difficultés pour se déplacer, et cela est extrêmement important. Mon point de vue personnel est qu’il faut que la CEDEAO et l’AES puissent se retrouver autour de cette idée. Ensuite, maintenant la CEDEAO politique c’est une construction que l’Europe a fait avec le Communauté du Charbon et de l’Acier (CECA) pour ensuite arriver à être l’Union Européenne (UE). Je pense aussi que nous pouvons progresser, aller vers ce sens-là. Ça c’est un autre débat, et à ce niveau-là ce qui est important aujourd’hui c’est que le Sénégal joue ce rôle-là de pays essayant de réconcilier les positions entre les deux entités, ce qui est extrêmement important.
Donc ce qu’il se passe actuellement, on l’a dit tout à l’heure mais ce n’est pas quelque chose d’anodin parce que je pense que le président Abdoulaye Wade (2000-2012) à l’époque avait demandé même une certaine démobilisation de l’armée française au Sénégal, donc c’est un processus qui va arriver, c’est naturellement ça. Peut-être que les gens n’ont pas fait suffisamment de prospective pour voir ça mais le président Wade avait dit à l’époque qu’il voyait mal la présence des bases militaires françaises au Sénégal et d’ailleurs je pense qu’à l’époque la France avait revu à la baisse un peu… Donc le président Wade a été un président panafricaniste, d’ailleurs aujourd’hui on parle de l’Intégration Africaine, pour le Ministère des Affaires Étrangères, mais le président Wade avait aussi créé un Ministère de l’Intégration Africaine en son temps. Donc ce qui est important aujourd’hui c’est que nous avons aujourd’hui une nouvelle génération d’hommes d’États qui sont nés après les indépendances, nous n’avons pas la même vision que le président Wade qui est né avant les indépendances ou que de Senghor, et d’ailleurs à l’époque dans les analyses politiques on disait que Wade allait fermer un cycle politique qui a été ouvert par Lamine Gueye, et Wade allait fermer ce cycle-là. Et le Président Wade est né après les indépendances et tous ceux qui viendront après sont nés après l’indépendance, donc nous sommes une génération qui est née après les indépendances, qui voit la France comme étant un pays colonisateur différemment. Et je le disais tout à l’heure au déjeuner, que la France vit un peu ce complexe de supériorité comme étant le pays colonisateur. Il faut que la France change complètement de politique étrangère vis-à-vis des pays africains, parce qu’aujourd’hui il y a ce besoin de pouvoir traiter d’égal à égal avec la France, d’échanger, de parler de coopérations, de partenariats surtout, parce que l’ « aide publique au développement » etc. tous ces termes-là sont des terminologies coloniales totalement dépassées parce qu’aujourd’hui les africains voient les choses différemment, ils pensent plus à une coopération diversifiée avec la Chine, l’Inde, la Russie et d’autres pays. Et contrairement à ce que beaucoup pensent, c’est que la Russie n’a pas une présence physique en Afrique et parfois vous voyez des manifestations où l’on met des drapeaux russes etc. Mais la Russie n’est pas aussi présente que cela en Afrique. Penser comme ça est une hérésie. Ce sont les intellectuels et les jeunes africains qui pensent qu’aujourd’hui les choses doivent changer et doivent se faire différemment. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui nous sommes dans cette situation-là. Je pense que cet aspect est extrêmement important. Moi j’ai fait mon stage d’application au MAE, ici à la convention, à l’époque je disais que si vous voyez ce narratif anti-français en Afrique, c’est qu’effectivement la France est toujours restée dans le schéma de la Françafrique, et n’a pas vu les évolutions se faire ailleurs, et n’est pas sortie des sentiers battus pour comprendre que le monde évolue, qu’il est dynamique, que ces dynamiques sont beaucoup plus importantes et qu’il faut qu’on puisse changer la façon de faire. On a essayé de se rattraper un peu avec le sommet de Montpellier (octobre 2021), mais pour pouvoir donner la parole à une autre entité africaine, parce que les rapports toujours étaient d’États à États, et on oubliait des acteurs extrêmement importants : les associations, les ONG, les leaders d’opinion, et quand on a donné la parole à ces leaders d’opinion on a vu tout de suite ce que nous sommes en train de vivre actuellement, que chacun a dit « écoutez, nous voulons que la France puisse revoir sa façon de faire, que la France puisse nous traiter comme étant des États. Et nous en diplomatie on nous apprend que chaque État est une puissance, quelle que soit la taille de l’État. Donc il faut traiter l’État comme étant une puissance, parce que si vous allez aujourd’hui dans des systèmes comme le système des Nations Unies, chaque État vote avec sa voix, donc chaque État compte de par sa voix. Donc la France ne peut pas continuer à dire « oui, écoutes, c’est ma zone d’influence, c’était des pays qui étaient sous ma coupe et y resteront », non, les choses sont différentes, et ce qui fait aujourd’hui que franchement cette évolution a été rapide. Nous par contre ça ne nous a pas étonné, mais ça a étonné les chancelleries françaises, qui se sont dites « c’est parti très vite, comment ont-ils pu faire ? » mais c’était une dynamique qui était là et qui a évolué jusque-là.
Donc ce qu’il se passe également, on l’a dit, c’est qu’il y a un enjeu de développement économique pour nos pays, et je crois que Monsieur Dumont en a parlé, les disparités économiques. Et cela parce que le Sénégal a été battu sur le plan économique car Dakar a été la capitale de l’AOF, qui a été une capitale coloniale. Et Dakar, parce qu’elle a une ouverture sur l’océan Atlantique, donc les bateaux venaient prendre la matière première à Dakar pour les acheminer dans la colonie, en France, etc. Et donc il y a eu aujourd’hui au plan économique macrocéphalie (terme désignant toute forme d’hypertrophie de la tête) de Dakar. 80 % de l’activité économique se passe entre Dakar et Mbao. Mbao c’est une ville qui est juste à côté de Dakar. Donc ce qui fait qu’aujourd’hui les autres gouvernants comme le président Macky Sall avaient parlé qu’il faut qu’il y ait une équité territoriale (là c’est un peu pour répondre à ce problème de développement économique du Sénégal) et il a parlé d’équité territoriale. On a tout le temps regardé vers l’océan Atlantique, il faut qu’on regarde vers l’Hinterland. Il faut qu’on développe des régions comme Tambacounda, des régions périphériques, et il a mis aussi en place un programme transfrontalier qui a développé l’axe transfrontalier, il a installé des bases militaires un peu partout, et ce qui fait qu’aujourd’hui nous arrivons plus ou moins à contenir l’avancée terroriste des pays du Sahel. Donc le Sénégal s’est beaucoup doté sur le plan des axes transfrontaliers, sur le plan des axes sécuritaire. Donc j’ai en gros répondu plus ou moins à certains éléments qui ont été soulevés par mes prédécesseurs. Je dois également dire que nous nous sommes appuyés, parce qu’effectivement le Sénégal est un pays qui n’avait pas, voire aucune ressource naturelle, la principale étant la pêche mais également la culture de l’arachide, qui est une culture de rente, une culture coloniale, et le Sénégal était dans les années 1980 le premier producteur d’arachide. Donc on ne savait produire que de l’arachide, de la pêche et le tourisme. Mais aujourd’hui, le Sénégal est devenu un pays gazier. Si on parle du Qatar, si on parle de tous ces pays-là, il s’agit du gaz, et le Sénégal a découvert des isthmes de gaz qui sont plus importants d’ailleurs, selon les spécialistes, que le sud du Qatar ! Et le Sénégal est devenu un pays pétrolier, nous avons produit nos premiers barils récemment (nous avons du pétrole offshore), donc sur ce plan-ci également, si tous cela est bien exploité, ça pourrait profiter aux populations, surtout que nous sommes une population extrêmement jeune, avec presque 60 % de la population qui est jeune – si vous vous promenez au Sénégal, vous vous en rendrez compte – et aujourd’hui l’enjeu de nos nouveaux gouvernants c’est de faire face à cette population jeune qui a beaucoup de revendications sur le plan du développement économique.
Je vais revenir un peu sur ce que le Dr. Paul Kananura a dit sur le Tchad. Le Tchad faisait partie du G5 Sahel, donc il faisait partie des cinq pays qui avaient été constitués pour faire barrage au terrorisme et qui avait aussi des financements de l’Union européenne et de la France pour combattre le terrorisme. Et à l’époque, je taquinais mes amis du programme malien, leur disant « mais, vous avez fait le Sahel sans nous », et ils disaient « non, non, vous ne faites pas partie du Sahel ». Donc voilà, ceux qui étaient au G5 Sahel sont aujourd’hui en train de prendre leur indépendance. Je ne sais pas maintenant, c’est une question que je pose, comment ça s’est passé depuis le G5 Sahel jusqu’à ce que tout ça se passe. Voilà, je termine sur cette note-ci. Je vous remercie.
Intervention de Monsieur Bacary GOUDIABY, Journaliste et Président du Collectif des Diasporas du Sénégal en France, sur le sujet : « Les défis économiques, démographiques et migratoires du Sénégal ».
Merci Président. Donc je vais dire ce que tout le monde a dit, c’est toujours compliqué surtout quand on doit finir, tout ce qu’on dira comme bêtise va être retenu, je vais essayer d’être précis. Alors merci mesdames et messieurs, bonjour à toutes et à tous, alors comme vous l’avez dit, Président, je suis le Président du Collectif des Sénégalais la Diaspora en France, un collectif très jeune créé dans le pendant la crise du Covid-19 parce que nous avons fait face à une décision de l’État du Sénégal de dire de ne pas rapatrier les corps, donc des personnes décédées dans le cadre du Covid-19 à l’international. Donc il y avait eu une levée de bouclier de la part de certains représentant de la diaspora, donc un mouvement spontané d’un coup en France, aux États-Unis, partout, et nous nous sommes dits que c’est donc que les gens veulent être enterrés au pays, et pourquoi pas donc du coup cette mobilisation. Une fois qu’on a eu l’oreille de l’État on s’est dit : qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Est-ce que chacun retourne dans sa ville, dans ses activités ? Et nous avons décidé de poursuivre cette dynamique, de dire que nous allons continuer cette dynamique sous forme formelle, et formalisée, et c’est pourquoi c’est une structure assez jeune. Et chaque pays, la France comme d’habitude a été pionnière, nous avons d’abord, au niveau de la France, écrit nos statut et puis déposés à la Préfecture avec une reconnaissance. Et d’autres pays, les États-Unis et récemment le Luxembourg qui vient d’être finalisé, nous avons l’Argentine aussi. Donc la diaspora sénégalaise est un peu partout, comme vous l’avez dit tout à l’heure monsieur Dumont. Pour la petite anecdote, c’est avec beaucoup d’aisance, quand il était aussitôt Président, le Président Abdou Diouf (1981-2000), en 1986 il était le président en exercice de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à l’époque donc il était allé en visite en Indonésie. Il nous disait (quand on a eu l’occasion d’échanger) qu’il était étonné, quand il arrive à Koala Lumpur d’entendre « Abdou ! Abdou ! Abdou ! » : décidément, les Sénégalais sont partout !
C’est pour vous dire à quel point nous sommes voyageurs et donc dans les enjeux géostratégiques aujourd’hui du Sénégal, ça tombe bien puisque on l’a évoqué ici, on l’a rappelé, il y a une élection présidentielle qui a eu lieu. Hier, on a installé le bureau de l’Assemblée nationale, et dans ce bureau, enfin dans cette dynamique politique effectivement qui emporte toute la dynamique au niveau de ce qui se passe au Sénégal, la diaspora joue un rôle très important. Donc je dirais qu’aujourd’hui les sénégalais de la diaspora deviennent de plus en plus nombreux, vous le disiez, aux environs de 4 millions, soit 20 % de la population sénégalaise. Donc les transferts des fonds, on est reconnu pour ça, émanant de cette diaspora sont des ressources précieuses pour le Sénégal. La communauté des immigrés africains d’une manière globale compterait aujourd’hui près de 140 millions d’individus à travers le monde (ça c’est une statistique de la Banque mondiale). Donc en 2017, ces expatriés ont envoyé plus de 65 milliards de dollars, soit plus du double de l’aide publique au développement, qui est environ à moins de 30 milliards, voire 29 milliards de dollars, donc presque les deux tiers de cette masse monétaire sont destinés à leurs familles et autres proches. Donc quand on prend le cas du Sénégal, où seuls 40 % de ces fonds, donc qui envoyé par ce ratio de 20 %, sont destinés aux familles des migrants pour des besoins de consommation, à savoir les frais de santé, donc la scolarité, l’immobilier etc., et les 20 % restants sont donc dans des comptes d’épargne. Et – selon un rapport de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest –, sur ces 20 % seuls 5 % sont investis dans des projets structurants.
Donc la question qu’on s’est posée, le débat qu’on a lancé au sein de ce collectif c’est de dire : n’est-il pas temps de passer d’une logique de subsistance à un défi de croissance ? Autrement dit, ne faudrait-il pas privilégier l’investissement productif au détriment de la consommation excessive ? Tout un programme. Les obligations de la diaspora constituent une belle alternative pour inverser cette tendance. Toutefois, malgré leur contribution déterminante dans la construction du pays et la consolidation des acquis socio-économiques et politiques, ils sont dans la plupart des cas non impliqués dans les décisions majeures, ou encore leurs préoccupations fondamentales ne sont pas assez formellement prises en considération. Je regarde mon frère, donc de la diplomatie, souvent je vais le dénoncer. Souvent les diplomates nous considèrent comme leur rivaux. Je n’ai pas raison ? Voilà. Voilà pourquoi, le président, à sa disposition, il a mis une distance réglementaire ! Voilà, même si on était à côté tout à l’heure ! Quand même, il y a eu quelques tentatives au niveau étatique pour valoriser la diaspora. Le Président Abdou Diouf (1981-2000) l’avait essayé, n’est-ce pas, avec le (…), donc le Président Abdoulaye Wade (2000-2012) avait organisé, avait essayé aussi avec le Haut Conseil des Sénégalais (…), et j’en viens, et donc même si jusque-là vraiment il n’y a pas eu de politique migratoire valable donc impliquant cette diaspora qui a été initiée dans la sous-région d’une manière globale. Tout à l’heure on a eu la projection du docteur Paul Kananura, que je remercie d’ailleurs au passage parce que c’est grâce à sa diligence que j’ai pu faire la connaissance du Dr. Le Président Ali Rastbeen, et puis de ma présence ici. Alors le président Macky Sall (2012-2024) a essayé aussi pendant son magistère d’insuffler un élan pour mettre en valeur l’importance de cette diaspora sénégalaise, donc avec l’élection de la 15ème région du Sénégal à la suite du référendum de 2016. Et d’ailleurs, plus plusieurs cadres de cette diaspora ont été nommés à des postes de responsabilité au sein de l’État, voire parfois au sein du gouvernement. Toutefois, cette diaspora une fois nommée, arrivée à des stations de sommet au sommet de l’État, certains d’entre eux sous un prisme inavoué, occultent les véritables enjeux et paradigmes à mettre en œuvre pour cette diaspora, oubliant que leur présence était l’occasion de sonner l’alerte et de faire des propositions pour cela.
Et c’est donc pour cela que la société civile – dont le collectif que je représente ici donc – est rentrée dans le jeu. C’est dans cette dynamique que nous avons décidé de mettre en place ce collectif des Sénégalais de la diaspora, qui se positionne comme un partenaire de l’État sénégalais voulant contribuer de manière significative à la réflexion sur toutes les questions d’ordre intellectuel, socio-économique, diplomatique et politique, en vue de faire face aux grands et divers défis auxquels les Sénégalais de l’extérieur sont confrontés. Parce qu’on dit chez nous en wolof (…), c’est-à-dire comme le disait Nelson Mandela, « faire pour moi sans moi, c’est faire contre moi ». Donc si on doit développer des politiques de la diaspora, je pense que les acteurs de cette diaspora doivent être parties prenantes, voire consultés quand il le faut, et nous avons un représentant comme vous l’avez dit, l’Ambassadeur Ndour. Nous nous positionnons comme un facilitateur pour le renforcement de la coopération entre le Sénégal et les pays d’accueil partout où il y a des sénégalais, et entre les diverses organisations de la diaspora sénégalaise établies dans le monde. On avait un calendrier – qui va être difficile à respecter parce que les échanges –, on devait se rencontrer au mois de janvier à Dakar pour créer cette suprastructure des collectifs, mais il y a eu des retards dans les pays. Et donc aujourd’hui cette diaspora se positionne vraiment comme un partenaire parce qu’aujourd’hui les enjeux sont là, et je pense que le fait que cette rubrique soit dans la proposition du débat de cet après-midi montre que vous aussi vous en percevez l’enjeu, parce que dans cette diaspora il y a un savoir-faire, et un savoir est dans cette diaspora, et que je pense pourrait être utile à notre pays d’accueil.
Parce que tout à l’heure, tu en parles donc au niveau de la réinsertion. C’est très important la réinsertion. Je vous donne un exemple : j’étais venu ici étudiant, et en 1996 j’ai fini mes études et je suis rentré au Sénégal. J’ai été nommé jeune directeur d’une structure de l’État de la place. Au bout de deux ans je suis revenu, parce que mon intégration s’est mal faite, parce que ce n’est pas si simple que ça en fait, ma « réintégration » a été très mal faite. D’ailleurs, je me souvenais que quand on partait, dans cette promotion en 1996, on était deux, et nos amis nous disaient : « vous avez deux pronostics, très joyeux : soit vous devenez fou, ou vous mourrez ». Et donc moi, pour ne pas être fou et mourir je suis revenu. Malheureusement, le deuxième est devenu fou, avant de se suicider… C’est peut-être très isolé, mais c’est quand même quelque chose qui nous marque dans notre génération. Parce que c’est très difficile. Maintenant c’est facile, parce que tout se sait, mais à l’époque quand on venait par exemple on envoyait des courriers deux fois par mois, le téléphone c’est une fois tous les 3 mois, en plus, parce qu’on était boursiers ! on avait ce privilège… Donc c’est pour dire que ce travail, donc les intermédiaires, les diplomates, les associations, sont… par exemple quelqu’un comme Monsieur Ibrahima Ba (ici présent) qui est diplomate mais qui fait les aller-retours aussi, peut être un relais entre la diaspora mais également au niveau de l’État, si on veut bien t’écouter, et tu sais ce n’est pas très évident ! Il est aussi au milieu de ça.
Aussi on pense, au niveau des défis, qu’il est essentiel de mobiliser l’ensemble de cette diaspora et de créer vraiment un sentiment d’appartenance à la nation sénégalaise, parce que c’est très important. Parce que parfois aussi nous sommes responsables, parce que des fois aussi nous avons des gens de la diaspora qui, une fois dans le pays d’accueil, ne veulent plus qu’on parle du Sénégal, pour des raisons qu’on peut comprendre ou ne pas comprendre. En tout cas, on pense qu’il faudrait au sein du collectif que nous mettions en place un cadre réglementaire clair et attractif pour encourager les investissements, renforcer les liens entre la diaspora et le Sénégal, notamment en facilitant les échanges et en valorisant notre patrimoine culturel commun. D’ailleurs, j’ai relevé que vous avez dit que malgré toute cette stratégie, cette position géostratégique et la diplomatie sénégalaise, le Sénégal n’est pas très développé : c’était une volonté du président Léopold Sédar Senghor (1960-1980), et ce qui fait qu’au Sénégal aujourd’hui il y ait une stabilité. Donc il y avait une rivalité, vous le savez, entre Senghor et Félix Houphouët-Boigny (Président de la Côte d’Ivoire de 1960 à 1993). Houphouët-Boigny voulait créer une super une puissance sous régionale, la Côte d’Ivoire, et Senghor voulait construire la société sénégalaise, ce qu’il a appelé cette « commune volonté de vie commune ». C’est pour cela, comme tu le disais tout à l’heure sur tes amis maliens, ça peut être chaud, on peut être au bout de la rupture, mais on se on se redresse toujours. C’est ça qui a fait que Senghor, Président chrétien, a dirigé un pays de 95 % de musulmans. Parce qu’on a pris le temps pour construire cette société sénégalaise, ce soubassement, cette « commune volonté de vie commune », à laquelle on croit. Voilà, on y croit. C’est pourquoi des fois c’est chaud jusqu’à ce qu’on arrive jusqu’au bord, mais il y en a un qui tire l’autre et ça se redresse.
Pour nous au sein du collectif, l’urgence est de repenser les paradigmes d’implication de cette diaspora en commençant par passer d’une logique de subsistance à un défi de croissance. On prend l’exemple suivant (c’est juste une réflexion qu’on a mené au sein du collectif, parce qu’on mène des séminaires entre nous pour dire comment faire pour faire pour être force de proposition) : on a réfléchi, au niveau économique, sur l’exemple des « diaspora bonds ». Aujourd’hui on parle des « euro-bonds » et autres « bonds », mais les « diaspora bonds », donc qui sont des emprunts obligataires qui pourraient être émis par le gouvernement sénégalais à destination de la diaspora pour puiser dans ces actifs présents dans les pays d’accueil. Ces derniers pourront y souscrire en tant qu’investisseur et contribuer à l’édification d’infrastructures par des effets « domino » et participer à la croissance du pays. En ce qui concerne le remboursement, il se fera selon les règles économiques. Toujours est-il que ce mode de financement renferme plusieurs avantages. D’abord, cela permettra de cartographier car aujourd’hui nos fonctionnaires du Ministère des Affaires étrangères, enfin les ministres de l’Intégration Africaine et des Affaires Étrangères… on ne connait pas le nombre de Sénégalais. En fait c’est « à peu près ». Et si on développe ça de manière structurelle, ça permettrait bien sûr à mon avis de cartographier la diaspora et d’avoir une meilleure visibilité sur sa puissance financière. Et ce processus présente des risques très mineurs. Car on tout à l’heure on parlait de patriotisme. Donc on peut être patriote, mais également nous pouvons mettre en place un patriotisme économique qui permette au sénégalais de dire « je vais investir pour mon pays ». Alors, il y a eu des pays qui ont réussi. On a l’Éthiopie qui a commencé ça, entre 2008 et 2011, et puis il y a le Nigéria en 2017 qui a reproduit le même exemple. Par contre, le Nigéria c’est un pays qui a été bien structuré, qui a une puissance financière avec des banques qui existent dans les pays à l’étranger, donc il s’est appuyé sur ces banques-là bien sûr pour cette levée de « diaspora bonds ». Le Sénégal pourrait essayer. Parce que aussi, maintenant, nous avons des possibilités de mettre ça en place en ce qui concerne ce cadre réglementaire pour les investissements de la diaspora, parfois complexe.
En conclusion, pour dire ce qui a été dit ou redit, que la diaspora sénégalaise est riche, mais très hétérogène au niveau de la géographie, mais également des profils. Parce que j’ai l’habitude de dire à mes amis que les raisons qui ont amené l’ambassadeur à venir en France ne sont pas les mêmes que moi, et vice-versa. Donc maintenant, comment faire pour trouver un plus le plus petit dénominateur commun ? Pour nous c’est important. Et c’est ce qui fait que chaque fois qu’on rencontre les gens on essaye, dans un travail anthropo-sociologique, de demander : « mais pourquoi tu es venu ? ». Pourquoi ? Parce qu’en fait, contrairement à ce qu’on pense, ce n’est pas que des raisons économiques. Moi je suis de Lyon. À Lyon, il y a eu parfois malheureusement des drames qui arrivent. Quand on est président d’association on en est conscient. Donc la municipalité m’appelle pour me dire qu’il y a un cas de suicide. Un étudiant qui était là, son père est venu. Et quand j’ai discuté avec son papa, il est chef d’entreprise, quoi. En fait, son enfant est venu là, et il s’est rendu compte qu’il ne devait pas venir là en fait. Et puisqu’il ne sait plus comment retourner, et raconter « je suis venu, je n’ai pas aimé le diplôme », donc il a mis fin à ses jours. Vous voyez, des fois c’est dramatique. Tu le disais tout à l’heure, des fois il y a des familles qui cotisent, mais parfois il y a des familles qui n’ont pas besoin de cotiser. Donc que les raisons sont aussi diverses que les migrants qui arrivent, parfois dans une même pirogue on n’a pas les mêmes raisons. Et pourtant c’est la même mort certaine qui les attendent. Donc la diaspora sénégalaise est hétérogène en termes de profils, de niveau de qualification, de pays d’accueil et de motivation. Cette diversité rend difficile une définition unique et une mobilisation efficace de l’ensemble. Ainsi, le manque de données fiables, complètes et documentées sur la diaspora rend impossible la mise en place de politiques adaptées. La multiplication d’acteurs impliqués dans la gestion des relations avec la diaspora (donc gouvernement, agences de développement, associations etc.) et leur coordination, qui est souvent complexe, nécessite une meilleure (…). Aussi, pour certains Sénégalais vivant à l’étranger, le sentiment d’appartenance à la communauté sénégalaise peut s’affaiblir au fil du temps. Cela arrive, donc parfois on rencontre dans les rues de Lyon, de Paris, des migrants sénégalais qui ne veulent plus entendre parler du Sénégal, et pour des raisons qu’il n’y a qu’eux qui savent. Donc les membres de la diaspora qui vivent souvent dans une double appartenance entre le pays d’accueil et leurs pays d’origine font face à des tensions et des difficultés d’intégration. Avec les derniers événements vécus entre 2021 et 2024, il est d’avis qu’une partie de la diaspora peut être tentée par des discours radicaux, ou être instrumentalisée à des fins politiques. Enfin au sein du Collectif des Sénégalais de la Diaspora en France, nous pensons que l’intégration de la diaspora dans les processus de développement du Sénégal est une opportunité unique qui doit se baser sur un mécanisme complexe, sur une approche stratégique globale qui nécessite une mobilisation articulée et coordonnée de tous les acteurs. En surmontant les défis identifiés, le Sénégal pourra pleinement bénéficier du potentiel de sa diaspora. (…) et je dis (…). Merci.
Intervention de Monsieur Cédric NDOUR, Titulaire d’un Master en Droit international public et d’un Master en Droit des Étrangers, Jeune Ambassadeur Francophone auprès de l’OIF et Chargé de mission au département politique de la Fédération pour la Diplomatie et les Nations Unies, sur le sujet « Les défis migratoires du Sénégal et le rôle de la diaspora ».
Excellences, Mesdames et Messieurs, je vous salue en vos différentes qualités et grades. Avant tout propos, permettez-moi de remercier l’Académie de Géopolitique de Paris pour l’opportunité qui m’est donnée cet après-midi de partager mes réflexions sur les défis économiques que rencontre le Sénégal. Je salue par la même occasion la qualité des interventions de mes prédécesseurs.
Concernant cet aspect économique, j’ai choisi particulièrement de faire une fixation sur deux défis majeurs à savoir : l’impact de la démographie et de l’émigration clandestine sur notre développement économique. Le Sénégal, il faut le dire, fait tout de même preuve d’une certaine résilience économique, malgré un contexte complexe. En 2023, la croissance du PIB réel est estimée à 4,3 %, soit une amélioration par rapport aux 3,8 % enregistrés en 2022. Cette croissance s’explique notamment par :
• Un rebond du secteur secondaire
• Une normalisation des cours internationaux des matières premières
• Un environnement institutionnel favorable
• Le renforcement des investissements directs étrangers (IDE), particulièrement dans le secteur des hydrocarbures, pour ne citer que cela !
Cependant, malgré cette économie croissante, des défis subsistent. Ainsi, se pose la question de savoir : comment le Sénégal, malgré sa résilience économique, peine-t-il à faire face à sa croissance démographique, contribuant ainsi à une émigration clandestine exponentielle ? La croissance démographique du Sénégal est soutenue avec un taux d’environ de 2,8 % par an. La démographie joue ainsi un rôle crucial dans l’économie sénégalaise, influençant à la fois les défis et les opportunités de développement du pays. Avec une population caractérisée par sa jeunesse, avec plus de 60 % des Sénégalais ayant moins de 25 ans, Cette croissance rapide produit plusieurs conséquences économiques, notamment :
• La pression sur les ressources car la population croissante exerce une pression accrue sur les infrastructures, les services publics et les ressources naturelles.
• L’absorption de la croissance économique : en ce que la croissance du revenu est souvent absorbée par la croissance démographique, limitant l’amélioration du niveau de vie par habitant.
• Une pression sur le marché de l’emploi qui est saturé. La création d’emplois doit suivre le rythme de l’arrivée des jeunes sur le marché du travail pour éviter le chômage et la pauvreté. Nous avons à ce jour un taux de chômage élevé de 16% avec 40% de jeunes touchés.
En outre, 41% des jeunes ne terminent pas l’enseignement secondaire. Lorsqu’on prend le cas de l’urbanisation, près de la moitié de la population sénégalaise est urbanisée (47%). Cette tendance a des implications économiques importantes :
• Le développement du secteur tertiaire, en ce que l’urbanisation favorise le développement des services et de l’économie informelle dans les villes.
• Les défis d’infrastructures car les zones urbaines nécessitent des investissements importants en infrastructures et en services.
Je ne peux omettre de dire aussi que la dynamique démographique influence la répartition de la pauvreté et des inégalités. La majeure partie des Sénégalais considérés comme pauvres restent concentrés dans les zones rurales, particulièrement dans le bassin arachidier. Ce qui fait que 50 % de la population rurale vit sous le seuil de la pauvreté. Pendant ce temps l’inflation, bien qu’en baisse, reste préoccupante (5,9 % en 2023 contre 9,7 % en 2022).
• La dette publique ne cesse d’augmenter de manière significative, dépassant les 75 % (76,6 %) du PIB.
• Les coûts d’emprunt sur les marchés nationaux et internationaux ont augmenté.
Et malheureusement : « plus la démographie est dense sans une économie soutenue pour absorber la main-d’œuvre croissante, plus il y a un risque accru d’émigration clandestine ». Alfred Sauvy disait : « ou bien les richesses iront là où sont les hommes, ou bien ce seront les hommes qui iront là où sont les richesses ». Ce texte illustre parfaitement l’enjeu économique majeur sur les motivations des candidats à l’émigration ! Face à de telles difficultés, un fléau dénommé l’émigration clandestine ou « Barcak » en langue locale, ne cesse de s’amplifier et représente un défi majeur pour le Sénégal, avec des implications socio-économiques importantes : chaque année, c’est plus de 20 000 Sénégalais qui tentent de rejoindre les côtes atlantiques via des voies clandestines. Les causes de cette émigration sont nombreuses, entre autres :
• Les opportunités économiques limitées.
• La pauvreté persistante (37,5 % de la population en 2023).
• Le chômage élevé, particulièrement chez les jeunes comme sus évoqué.
• L’indéniable changement climatique affectant l’agriculture.
Cette liste non exhaustive a pour conséquences :
• Une perte de capital humain, notamment de jeunes qualifiés.
• Mais aussi la Pression sur les familles restées au pays car endettées : jusqu’à 3000 euros par voyage, souvent financés par des prêts informels.
Pour pallier à cela, le Sénégal pourrait envisager les actions suivantes :
• Encourager l’investissement privé.
• Développer des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre.
• Adapter les compétences aux besoins du marché du travail.
• Favoriser l’entrepreneuriat des jeunes.
• Cibler les groupes vulnérables.
• Développer des programmes de résilience face aux chocs économiques.
• Investir dans l’agriculture durable.
• Améliorer les infrastructures dans les zones rurales pour les désenclaver.
• Renforcer les programmes de réinsertion des migrants de retour.
• Il est crucial d’investir dans l’éducation et la formation pour tirer parti du potentiel de la jeune population. Créer davantage d’emplois directs dans les secteurs prioritaires (agriculture, pêche…).
• Le gouvernement doit développer des politiques adaptées pour répondre aux besoins des groupes vulnérables et renforcer leur résilience.
• Travailler davantage à la coopération internationale en négociant des accords pour une migration légale et productive. Sensibiliser à travers des campagnes pour informer sur les dangers de l’émigration clandestine.
En somme, le Sénégal fait face à des défis économiques importants, étroitement liés aux questions d’émigration et de démographie. Cependant, avec des politiques appropriées et une mise en œuvre efficace, le pays a le potentiel de transformer ces défis en opportunités pour un développement inclusif et durable. La capacité du Sénégal à transformer ces défis en opportunités dépendra donc largement de ses politiques économiques et sociales, ainsi que de sa capacité à investir dans son capital humain. Et permettez-moi de terminer en disant que : « l’avenir du Sénégal repose en grande partie sur sa jeunesse. Investir en elle, c’est investir dans la prospérité de la Nation ». Je vous remercie pour votre attention.
***
Débat avec le public
Monsieur Moussa AMI, Ancien haut fonctionnaire à Bercy (Inspecteur des finances publiques, DGFIP)
Bonjour, je suis M. (…), je suis un ancien haut fonctionnaire à Bercy, et puis en même temps je m’intéresse beaucoup aux questions de stratégie liées au développement et surtout le co-développement concernant l’Afrique. La première question est à M. Dumont : dans votre présentation tout à l’heure, vous avez dit « la France fait partie de l’histoire du Sénégal ». Moi je vous retourne la question en sens inverse : pourquoi est-ce que ce n’est pas le Sénégal qui devrait faire partie de l’histoire de France ?
Recteur Gérard-François DUMONT, Économiste, démographe, professeur à la Sorbonne Université, Président de la revue Population & Avenir, Vice-Président de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP)
Votre question comprend la réponse ! C’est-à-dire qu’il est évident que tous les pays que la France a colonisé font partie de l’histoire de France par définition. Bah oui, puisqu’il y a une période de l’histoire où ils ont été des colonies de la France, ils ont contribué effectivement aux armées françaises notamment à l’occasion des guerres, certains ont contribué à construire des infrastructures, etc. Prenons l’exemple simplement du métro de Paris ou du métro de Marseille, s’il n’y avait pas eu des Kabyles pour aider à la construction de ces infrastructures… – on était à la fin du XIXème siècle. Donc évidemment, je ne l’ai pas dit mais c’est évident que nous sommes liés par toute une histoire.
Monsieur Moussa AMI
Je rebondis sur votre observation. C’est parce que j’ai assisté à la commémoration de la Libération de Paris, et il faut savoir qu’il y a une forme de déni historique sur la non-participation d’Africains qui ont participé à la Libération de Paris. Et, sans tomber dans un « wokisme » zélé dont je me défends, je vous prends le cas d’un Africain qui a participé à la libération du 17ème arrondissement de Paris – qui n’était pas sénégalais mais gabonais, mais qu’importe – qui a participé les armes à la main pour libérer l’arrondissement. Et j’ai été très choqué de savoir que personne n'a jamais entendu parler de ce monsieur-là, alors qu'il y a des faits au niveau des archives nationales. Et alors c'est pour ça que je me suis permis dans votre propos de renvoyer la balle en disant qu’il serait qui serait intéressant que pour rééquilibrer les mémoires, que l'histoire se fasse aussi dans l'autre sens. Et c’est pour cela que j’appelle à ce que, et que le film Les indigènes (2006) qui a mis en exergue les tirailleurs sénégalais entre autres (confusion avec le film Tirailleurs sorti en 2022) puisse continuer dans ce… – oui, mais on est dans le même type de processus historique – qu’il puisse continuer.
Deuxième question pour Monsieur, vous avez parlé de stabilisation de la société sénégalaise. Moi, ce qui m’intéresse : je pense que la stabilisation de la société sénégalaise au-delà du clivage religieux qu’il y a entre Senghor qui était chrétien et la population sénégalaise qui était majoritairement musulmane, je pense que c’est lié à la densité de la nature même du type d’islam confrérique dont le Sénégal possède la quasi exclusivité par rapport à l'ensemble du monde musulman. Voilà, c’est un point de vue.
Agnès OLLIVIER, Œuvre du Pr. Jean-Paul Charnay
Je voudrais poser une question. D’abord, dans le droit fil, la question de la mémoire. Je voudrais citer simplement un film qui commence à dater un petit peu maintenant, qui s’appelle Little Senegal de Rachid Bouchareb (2000), et qui fait mention justement des racines africaines, qui sont énormes. Quand on va en Afrique, on est très impressionné par les racines de l’arbre, donc dans les forêts, et donc c'est l'histoire du voyage d'une communauté sénégalaise aux États-Unis qui a immigré là-bas à la suite de la traite des esclaves etc., et qui revient, donc qui le désir de revenir à ses racines, donc à Goré, à Saint-Louis du Sénégal etc. Et ça n'est pas du tout misérabiliste, bien au contraire, et on apprend beaucoup de ce film.
Second point, je voudrais poser une question : qu’en est-il de ce qu'on appelle la « croissance verte » ? On parle beaucoup d'hydrocarbures etc., de développement, mais dans la « croissance verte » il y a un projet important, international, dont le Sénégal d'ailleurs est un état phare avec l'Éthiopie qui est la le développement d'une grande muraille verte. Et alors les résultats : actuellement on va bientôt fêter ses vingt ans (je crois en 2027, peut-être même avant), et les résultats au Sénégal portent quand même leurs fruits avec des créations d'emploi etc. Comment faire protéger finalement ces résultats ? Ne faudrait-il pas également placer ça sous protection, dans le contexte actuel, sous protection d'un organisme international tel que l'UNESCO ?
Mireille Bayi EZA, Juriste-diplomate et consultante
Bonjour, je me nomme Mireille Eza, je suis à la fois juriste et diplomate, et je me permets de me présenter pour dire un peu d'où je parle. Je suis sénégalaise également, j'ai travaillé 20 ans dans la francophonie parlementaire et je voulais un peu rebondir sur la qualité des présentations des différents intervenants et leur partager un petit peu mon sentiment par rapport aux thèmes abordés. Je ne vais pas les reprendre dans l’ordre nécessairement de leurs interventions, mais je voudrais apporter un éclaircissement à M. Kananura, par rapport à l’affirmation qu’il a faite en disant qu’on ne savait pas si les présidents du Sénégal et du Tchad se seraient concertés pour se retirer à peu près au même moment, puisque l’annonce a été faite avant-hier (demander que les forces françaises se retirent). Ils ont donné l’explication ce matin, en tout cas au niveau du Tchad et nous croyons savoir qu’il s'agirait d'une maladresse du ministre français (des Affaires étrangères) donc on revient un peu – je ne sais pas qui avait la question, je crois que c’est M. Ba –, c’est la verticalité de la relation franco-africaine qu’il faut revoir, parce que je ne crois qu’au niveau des populations il y ait une vraie opposition, mais c’est vraiment l’approche directive qui parfois, et qui aujourd’hui est clairement dépassée et à revoir. On a également beaucoup parlé d’intégration. Un des intervenants a évoqué la question de l’intégration en faisant allusion à cette carte de l’Afrique qui est au niveau du Monument du Souvenir Africain. Je crois que c’est M. le Recteur Dumont. Effectivement, nous avons cette facilité-là de circuler pour la zone UEMOA / CEDEAO à l’intérieur de l’Afrique, et il me semble que quand on parle des migrants, on ne dit pas suffisamment combien les migrations se font à l’intérieur du continent, et combien elles sont pourvoyeuses, non pas de richesses en tant que tel, mais d’une grande fluidité et d’une grande capacité de faire ensemble. Il y aurait beaucoup de points à évoquer, mais j’ai l’impression que nous sommes nombreux à vouloir intervenir autour de cette table. Je vais donc passer la parole mais s’il y a un peu de temps, j’aimerais ajouter un ou deux points.
Nadia MEZIANE, Secrétaire-général d’Enfants d’Afghanistan et d’ailleurs
Bonjour. Je voulais simplement savoir si on pouvait nous parler un peu plus de la situation actuelle au Sénégal ? Je pense que la situation n’est pas vraiment très stabilisée encore, parce qu’il y a des mouvements, il y a des manifestations. Je voudrais savoir si cela continue, ou bien si c’est réglé enfin après les élections ?
Et aussi je voulais savoir : moi j’ai été surprise par le Sénégal. Les Sénégalais sont des gens très accueillants, mais j’étais très choquée par la grande pauvreté de ce pays, enfin je n’ai pas vu tout le Sénégal bien sûr, mais je me dis qu’il y a tellement à faire. Vous étiez en train de dire que tout semble parfait, la diplomatie, et tout le monde s’entend bien etc. mais moi j’ai trouvé que la grande pauvreté perdure. Enfin, elle va perdurer encore parce qu’il y a trop, beaucoup de chose. Et quand vous parlez de l’immigration… Moi je suis en contact avec des jeunes, je leur dis : « écoutez, ne venez pas, ce n’est pas la peine de venir » parce que dès qu’ils connaissent quelqu’un sur le continent ils veulent venir, et on ne peut rien leur offrir nous-mêmes. Donc c’est vrai que vous avez dit qu’il fallait informer davantage, mettre plus l’accent sur… Je ne sais pas comment, mais pour éviter que les… Parce que ce n’est pas un phénomène unique au Sénégal, c’est vraiment dans tous les pays, ils pensent que le continent européen ou américain est riche, et peut tout recevoir. Donc c’est ça que je voulais savoir : comment peut-on faire pour éviter qu’il y ait cette envie d’immigrer. Parce qu’il y a d’autres personnalités qu’on connait aussi sur place qui font tout pour innover et créer des infrastructures pour accueillir et pour inciter les jeunes à rester dans le pays et je crois que c’est ça qu’il faut vraiment favoriser.
François Belliot, Écrivain.
Je me demandais : un des instruments de la souveraineté, si ce n'est le principal instrument de la souveraineté d'un pays, c'est la maîtrise de sa monnaie, de de la création monétaire. Vous voyez, par exemple dans des pays comme la France, on l’a perdu depuis très longtemps pour différentes raisons. On l’a définitivement perdue avec l’euro, c’est peut-être un mouvement inverse, je voulais savoir ce qu’il en était du projet d’abandon du Franc CFA. Il y avait une initiative qui a été prise en 2020, c’était la mise en place d’un « Éco » (et je crois qu’il n’y avait pas que les membres fondateurs, d’ailleurs, du CFA, il y a peut-être d’autres pays. Donc je voulais savoir où en était ce projet de remplacement du Franc CFA, si c’était toujours à l’ordre du jour, et si le Franc CFA éventuellement – mais il y a eu tellement de questions… – est un bienfait ou la calamité qu’on décrit souvent ?
Son Excellence Cédric NDOUR, Titulaire d’un Master en Droit international public et d’un Master en Droit des Étrangers, Jeune Ambassadeur Francophone auprès de l’OIF et Chargé de mission au département politique de la Fédération pour la Diplomatie et les Nations Unies
Donc je disais que j'allais rebondir sur la question de Madame. Déjà merci pour votre question. Et je disais tantôt effectivement que ces profils, ces candidats à l’immigration clandestine – et comme le disait encore Monsieur Goudiaby – aujourd’hui nous avons plusieurs profils à l’immigration clandestine. C’est vrai qu’avant nous voyions plus des personnes qui étaient en extrême pauvreté, ou qui voyaient en l’Europe un eldorado, mais aujourd’hui on a des personnes qui sont chef d’entreprise, qui ont un certain salaire, qui vont quitter cette situation économique « stable », et vont vouloir rejoindre l’Europe, pensant que c’est un eldorado. Donc comme je le disais tantôt dans mon intervention, c’est vrai qu’il faut, quelque part, investir dans l'éducation sur place, il faut investir également dans les infrastructures, investir également par rapport à l'employabilité des jeunes (parce que nous avons une population très très jeune), donc essayer de voir dans quelle mesure aujourd'hui on peut réduire le taux de chômage au Sénégal. Donc c'est vrai que des initiatives sont à prendre sur place pour essayer un peu de de casser cette dynamique là, mais ce n’est pas évident parce que je pense que la migration est un phénomène aussi « naturel », il ne faut pas l'oublier, donc tant qu'on vit sur cette Terre plusieurs personnes voudront toujours aller vers d'autres pays etc. Donc il y a ce fléau-là, du moins cet aspect-là qui est assez difficile, et ici sur place – comme vous l’avez dit, vous êtes en contact avec des jeunes – moi aussi dans le cadre de mon travail je vois beaucoup de migrants qui arrivent, donc certains qui se déclarent comme étant mineurs et qui vont chercher par exemple une prise en charge auprès de l’aide sociale à l’Enfance, d’autres qui vont vouloir être reconnus comme demandeurs d’asile, ou qui vont se mettre dans une certaine précarité administrative pendant des années et des années pour après vouloir se régulariser également. Donc c'est vrai que ce sont des problématiques assez difficiles, et on essaie de sensibiliser ces personnes-là, mais comment faire ? Ils sont déjà sur le territoire, donc vous n’allez pas demander à ces jeunes-là « bon, vous êtes arrivé, retournez au pays ». C’est vrai qu’aujourd’hui en France il y a aussi l’aide au retour, qui a été mise en place par l’OFI. Toujours est-il qu’il faut d’abord avoir cette volonté de retourner au pays pour aller vers cette aide au retour. Donc je comprends tout à fait votre problématique et votre inquiétude, mais il s’agirait aussi que ce soit de part et d’autre que les responsabilités soient partagées, et qu’aussi, et je l’espère avec le nouveau gouvernement, que de plus en plus des jeunes voudront en tout cas rester au pays et investir dans le développement économique de notre cher pays le Sénégal. Merci, je vous remercie.
Bacary GOUDIABY, Journaliste et Président du Collectif des Diasporas du Sénégal en France
Juste pour dire, merci madame pour vos remarques très pertinentes, mais vous êtes professionnelle vous le savez, c’est la frustration des débats comme ça. C’est-à-dire qu’on a tendance à accentuer sur un ou des aspects au détriment d’autres, ce qui ne veut pas dire que les sujets évoqués soient plus importants que d’autres parce que nous sommes soumis à des… (contraintes de temps). Mais toujours est-il que vous comprendrez bien sûr que tous les aspects que vous avez soulevés peuvent ou sont pris en compte d’une manière ou d’une autre. Alors pour ce qui est, Madame (Ollivier), de cette « muraille verte », tout à l’heure nous avons évoqué cet arc-là du Sahel qui était comme par hasard le dessin de la « muraille verte », malheureusement il y a des zones d'insécurité qui ne peuvent pas perdurer. En tout cas, qu’en est-il au niveau du Sénégal ? C’est quelque chose qui est vraiment pris à cœur, pas qu’au niveau étatique mais au niveau des acteurs. On a un Monsieur qui s’appelle Ali Haïdar (Haïdar El Ali), qui a régénéré la Mangrove casamançaise. Aujourd’hui quand on retourne – c’est ma région – en Casamance, on voit donc la Mangrove qui reprend etc. etc. Juste aussi un petit exemple : au niveau de Lyon on a voulu, dans le cadre des soixante ans de l’Organisation de l’Union Africaine (OUA) créée en 1963, au mois de juin 2023 on a mis une saison africaine en région Auvergne-Rhône-Alpes, on a demandé de reproduire l’exemple de la « muraille verte », on nous l’a refusé. Bon. Donc le travail sur le CFA est en train d’être fait. C’est vrai, comme le disait tout à l’heure le Dr. Paul Kananura, que les autorités actuellement, en tout cas pour ce qui est du Sénégal, ont beaucoup – donc même avant, quand ils étaient dans l’opposition – battu campagne sur la souveraineté, entre autres monétaire. Ils viennent de s’installer, c’est quelque chose qui est dans les tuyaux, et qui va se faire avec les partenaires. Sous quelle forme, les argentiers et en tout cas les techniciens, les experts, nous le diront, mais la question est encore sur la table. Les manifestations au Sénégal, Madame (Meziane), je pense qu’aujourd’hui on peut dire que c’est fini. Bon, il y a des grèves estudiantines. C’est normal, parce qu’on leur avait promis des choses qui devraient être effectives cette année, même dans la région du Premier ministre – d’ailleurs c’est la ville la plus agitée actuellement, donc les académies sont fermées pour des raisons de sécurité. C’est vrai que nous avions promis aux étudiants de nouveaux cadres etc., et beaucoup de choses, malheureusement avec tout ce qu’il y a eu, il y a eu des retards, et les étudiants ne sont pas contents. Mais les manifestations comme nous les avons connues, politiques, c’est fini.
Dr. Paul KANANURA, Président de l’Institut AFRIKA
Merci beaucoup, merci Président, merci Madame Mireille pour la précision. En fait je suis au courant de cette maladresse, mais je ne voulais pas l'évoquer en public parce que bon, ce n’est pas une courtoisie diplomatique. Je connais le pays concerné et les injonctions qui ont été faites, qui sont à l’origine de cela. Mais tout simplement c’est que la concomitance, c’est ça la surprise, trois heures entre la déclaration dans une interview de télévision, et un communiqué pour un autre pays, qui sont les deux extrêmes, comme vous l’avez vu, du Sahel, qui peuvent aussi rejoindre le centre dans la souveraineté, c’est ce que je voulais juste commenter, sans aller dans détails qui peuvent exposer certaines politiques des pays et difficilement endossable à la conférence. Bien. La « muraille verte » c’est l’exemple même de diversion de politiques climatiques, parce que ça fait vingt ans que ça existe et jusqu’à présent on a décaissé 5 %, pendant vingt ans, du montant de ce projet. Donc je crois qu’on se fout du monde, surtout des Africains. Ça fait partie des politiques de diversion de coopération auxquelles il faut toujours tourner le dos. Et enfin sur le Franc CFA, personne aujourd'hui n'a intérêt à garder le franc CFA dans sa forme actuelle, que ça soit les pays utilisateurs, que ça soit pour la France. Et d'ailleurs, je crois que si vous regardez l'interview du ministre Stéphane Séjourné à l'époque, il disait que la France n'est plus dans la gestion du franc ni dans la gouvernance du franc CFA, et que c'est aux Africains de déterminer l'avenir du Franc CFA avec leur entendement et bon, comme il y a les volontés avec l’AES qui va en sortir, probablement le Sénégal plus tard, eh bien ça sera quatre pays sur huit, alors le Franc CFA n’aura plus, au moins pour l’Afrique de l’Ouest, n’aura plus de raison d’être.
Son Excellence Monsieur Ibrahima BA, Diplomate sénégalais au Ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères, et Président de Educ’Impact
Oui, merci. En fait, il y a eu un certain nombre de questions agitées çà et là, surtout sur la question de l’immigration. Je voudrais faire une petite intervention. Je reviens des îles Canaries où j’avais été invité par le ministère des Affaires étrangères espagnol et « Casa Africa » où j’ai donné une conférence parce que je suis à la tête d’une association qui promeut l’éducation, parce que pour moi toutes ces questions-là reviennent au fait que nous avons effectivement un déficit sur le plan de la formation, de l’éducation, de l’apprentissage, qui font que les jeunes aujourd’hui pensent que l’Occident est un eldorado, mais c’est un drame humain extraordinaire. Je pense que ça n’émeut pas beaucoup l’humanité mais jamais, après la traite négrière et l’esclavage, l’Afrique n’a connu un drame aussi important, où on perd la partie juvénile la plus importante, des jeunes qui meurent en mer comme ça, mais qui ne gênent pas aujourd’hui la « communauté internationale » (moi je mets la « communauté internationale » entre guillemets). La Méditerranée est devenue aujourd'hui pour moi une nécropole qui engloutit l’ambition de ces jeunes africains qui n’ont aujourd’hui qu’un seul désir, trouver un mieux-être, trouver un emploi. Ils viennent en Europe uniquement pour travailler. Tous les migrants que vous voyez venir ici viennent simplement pour chercher un travail. Tout simplement aujourd’hui, on l’a dit tout à l’heure, le développement de l’Afrique est une question extrêmement importante et qu’aujourd’hui le monde occidental doit prendre à bras le corps. Je crois qu’aujourd’hui ce sont toutes ces questions imbriquées qui font qu’aujourd’hui les Africains ont dit « écoutes, voilà, ça doit s’arrêter ». Il faut qu’on puisse réfléchir, il faut une mobilisation internationale aujourd’hui pour voir de face la question de l’immigration. On dépense énormément d’argent pour « Frontex », pour créer des hotspots, mais tous ces gens qui meurent ? Et l’Espagne aujourd’hui, quand même parce que c’est la partie la plus proche de l’Afrique, a mis en place des projets innovants, c’est-à-dire l’immigration circulaire. Avec le Sénégal, l’Espagne a signé un partenariat dans le domaine de l’immigration circulaire où ils font venir des immigrants saisonniers en Espagne qui travaillent quelques mois, et reviennent au pays et ainsi de suite, qui font la navette entre l’Espagne et des jeunes aujourd’hui. Il y a des métiers en tension en Europe. Sur ces questions, également la France et d’autres pays européens peuvent s’inspirer de ces questions-là et faire l’immigration circulaire, qui est quand même un moyen d’échange avec l’Afrique. Et je crois qu’aujourd’hui cette question est fondamentale. Le fait qu’on puisse traiter des jeunes Africains comme des migrants (migration clandestine ça n’existe pas, aujourd’hui on parle d’immigration illégale), comme étant des gens qui sont venus ici, des envahisseurs. Alors ce sont les jeunes qui sont venus chercher un emploi, un monde meilleur parce qu’ils pensent que chez eux ils ne l’ont pas. Et ce que ces gens oublient, c’est que l’immigration est un droit. Les gens peuvent aller où ils veulent. Aujourd’hui, un occidental qui veut venir en Afrique il vient tranquillement, on ne lui demande même pas le visa. Donc aujourd’hui il faut que les pays puissent se retrouver, échanger sur ces questions-là et voir les voies et moyens d’agir. Ensuite, on vient de commémorer le 80ème anniversaire des tirailleurs sénégalais qui ont été fusillés dans le camp de Thiaroye (1er décembre 1944). On ne connaît même pas le nombre officiel. Bon, officiellement on disait dans les soixante-dix victimes, et il y a eu plus de quatre-cents qui ont été fusillés. Moi je suis fils de tirailleur. Mon histoire personnelle est liée à ça parce que mon papa était à Diên Biên Phu (mars-mai 1954). C’est vrai, il est rentré tranquillement au Sénégal, il a vécu plus de 90 ans. Mais c’est une question qui est là, il y a un devoir de mémoire, il y a un devoir de clarté par rapport à tout ça, et je crois que toutes ces questions réunies sont l’ingrédient qui pousse aujourd’hui à ce se construise de plus en plus le narratif antifrançais en Afrique.
Recteur Gérard-François DUMONT, Économiste, démographe, professeur à la Sorbonne Université, Président de la revue Population & Avenir, Vice-Président de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP)
Merci Monsieur le Président. Donc juste trois points. D'abord, vous avez cité la pauvreté au Sénégal. Elle existe. On la voit, il suffit de parcourir les rues et les villages et on la voit. Et l'un des problèmes en fait, c’est si cette pauvreté elle est contenue par l'importance de l'économie informelle. Donc le gros travail du gouvernement à mon sens c'est transformer l'économie informelle en une économie formelle, et cela suppose d'avoir des réglementations plus souples, de débureaucratiser un certain nombre d'éléments de l'organisation du Sénégal. Deuxième point, je vais dire des choses peut-être pas politiquement très correctes. Mais je trouve que ce qui vient de se passer au Sénégal est novateur, avec les déclarations du Président sur le fait qu'il ne souhaite plus que les jeunes sénégalais quittent le Sénégal. Ça c'est un changement fondamental. Parce que si vous écoutez ce que ne disent pas de nombreux dirigeants africains, de nombreux dirigeants africains sont pro-émigration. Ils sont pro-immigration pour deux raison, parce qu’ils disent « comme ça je n’ai personne qui va contester mon potentat local » quand ils sont à l’étranger, et deuxièmement ils vont envoyer des transferts de fonds qui vont mettre en état d’assistanat d’ailleurs une partie de leur famille. Bon. Et donc le fait que ce gouvernement ait eu le courage de dire que la perte des ressources humaines c’est ce qu’il y a de pire pour un pays, ça me parait extrêmement important. Alors bien sûr il y a des actions derrière à mener, mais c’est tout à fait fondamental. Et donc on considère que les sujets de mécontentement doivent rester au pays, pour aider la construction du pays, et pas partir. Et puis enfin, je voudrais remercier Monsieur le Président pour l’organisation de ce débat et de cette journée, qui a été tout à fait passionnante, donc remercier évidemment tous ceux qui sont intervenus, et puis la richesse également des questions au cours du débat. Et merci encore Monsieur le Président.