Confiance et croissance
La confiance est une condition de la croissance.
La confiance permet la coopération qui est nécessaire à la création d’un équilibre (non nécessairement égalitaire) dans le jeu des relations. Si la confiance n’est pas établie, alors l’un des participants refusera de jouer le jeu de la relation de manière authentique (fair play)
- soit en n’entrant pas dans la relation (en refusant le jeu)
- soit en la biaisant (en refusant les règles du jeu).
La croissance est ici entendue comme une création de valeur, quelle qu’elle soit (économique, artistique, thérapeutique ou pédagogique par exemple).
La confiance n’est pas rationnelle, elle est dirigée par les émotions.
La confiance est mue par les émotion, ce qui explique pourquoi on peut facilement tomber dans le panneau. Pascal dans le Fragment Vanité n° 31/38, souligne combien l’apparence de l’orateur détermine l’attention et la crédence qu’on lui porte. Ce biais cognitif subjectif est confirmé par les études sur le choix rationnel de Tversky et Kahneman. Nos décisions ne sont pas rationnelles, mais basées sur nos croyances, sur nos convictions qui les biaisent, ce qui se manifeste par les discriminations telles que le sexisme ou le racisme par exemple, et détermine la confiance et la crédence que nous accordons à l’autre.
Le problème est que les émotions crééent des habitudes, des comportements fortement et profondément ancrés, difficiles à déraciner. Ces préjugés sont très efficaces puisqu’ils permettent une réponse d’action immédiate — une ré-action — avant même de devoir juger — pré-jugé — en se basant sur un stock de jugement pré-établis, des raisonnements tout faits qui soulagent l’effort cognitif en réaction à un stimulus perceptif— é-motion. D’habitude cela se passe ainsi alors au lieu de falsifier l’hypothèse, je tire directement la conclusion habituelle au risque d’en payer les frais si elle ne s’applique pas dans le cas présent. C’est l’histoire du cygne noir de Taleb.
Lorsque l’habitude n’est plus appropriée, parce que les conditions de situations ont changées, si cette habitude perdure, elle entraîne un résultat qui n’est plus le plus pertinent, n’est plus le plus efficace, n’est plus le plus efficient, et devient contre-productif. Le schéma comportemental et le cadre de référence ne correspondent plus à la situation, plus le décalage est grand avec la réalité, plus le risque est de renforcer la méfiance, jusqu’à la crise. La coopération devient de plus en plus difficile jusqu’à devenir impossible. Les positions se figent, mais la réalité continue son cours, et finalement les gains s’étiolent de plus en plus, pour péricliter. Des civilisations ont disparu ainsi.
Il faut parfois passer de l’émotion à la raison. Du système 1 au système, 2 dirait Kahneman. Ne serait-ce que pour identifier ce pouvoir personnel de la force de l’apparence et du biais cognitif dans l’interaction.
Le risque est double : se faire berner ou croire que l’on berne l’autre.
Une fois le biais subjectif identifié, on peut se rendre compte ou avoir l’impression d’être tombé dans le panneau, de s’être fait berné, roulé dans la farine ou manipulé. Nous avons baissé la garde de l’attention et sommes tombés sur plus malin que soi, soit.
Mais le risque de se croire plus malin que l’autre est plus dangereux encore. Le risque de la sur-confiance, être trop sûr de soi, créé un biais de minimisation des risques par fait prendre des risques inconsidérés.
Nous ne pouvons jamais savoir avec certitude si nous sommes meilleurs ou moins bons que la moyenne sur une compétence particulière. Nous pouvons avoir des indications de nos capacités par l’expérience, mais pas de preuves. L’induction ou l’abduction ne sont pas des formes de raisonnement monotones, elles ne permettent pas d’aboutir à des certitudes, mais tout juste des probabilités. Généraliser sur la base de nos simples expériences est très risqué, la dinde de Russell en a payé de sa tête.
L’expérience nous forge et renforce notre image cognitive de nous-mêmes. Le problème est que nous révisons plutôt bien nos croyances tant que nous ne nous évaluons pas nous-mêmes. Dès que nous nous auto-évaluons pour nous améliorer nous avons une tendance cognitive à sur-évaluer les expériences positives, parce que nos expériences positives ont un poids cognitif supérieur aux expériences négatives (cf. le coût de l’effort). Ce biais nous permet de nous relever de nos échecs et d’aller de l’avant, à être optimiste.
La sur-confiance en soi est subjective.
La sur-confiance s’évapore dès qu’on doit prendre une décision comparée à celles des autres. Par exemple le choix du plat au restaurant : en lisant le menu, vous avez choisi quelque chose et en écoutant les autres énoncer leur commande au serveur, soudainement vous changez radicalement de décision. Vous considérez maintenant votre choix non plus pour vous-mêmes, mais par rapport aux autres, dans une dimension sociale et collective. Vous rentrez dans le troupeau, vous devenez conformistes… même si c’est pour prendre une décision en décalage avec les autres.
Ce biais est observable dans le recrutement ou la constitution d’équipe (vous avez votre choix, mais vous exprimez une autre opinion en fonction de celle des autres). Bien souvent la décision qui en résulte ne satisfait personne, si elle n'est pas basée sur un objectif commun partagé. C’est le pouvoir des foules : emporter l’individu dans des comportements qu’il ne ferait pas de lui-même (supporters sportifs, politiques) avec tous les débordements que cela peut entraîner.
La perte des certitudes individuelles dans le contexte collectif pourrait être pensée comme négative. Après tout vous aviez fait votre choix et voici qu’il est remis en cause parce que vous tenez compte du choix des autres. Vous cherchez maintenant le compromis et c’est un résultat mitigé que vous obtenez.
Pourquoi ne pas rester sur votre choix initial ? Vous pouvez le faire si celui-ci reste privé. Mais à partir du moment où autrui entre en jeu, vous entrez en relation avec lui. Soit en refusant cette relation, en l’ignorant, en ne voulant pas interagir avec lui. Mais cette non-interaction en est déjà une. Soit vous reconnaissez l’autre et alors commencer à jouer au jeu des relations. Bref, quoiqu’il arrive vous ne pouvez pas ne pas tenir compte de l’autre comme dirait Levinas. Donc autant faire avec.
En restant sur votre position — positionnisme — vous avez intérêt à être plus fort que l’autre et à le faire céder — concessionisme. Si vous voulez reconnaître l’autre, mieux vaut jouer la coopération ou la coopétition.
La qualité de la relation à l’autre détermine sa performance dans le jeu de la relation. Favoriser la coopération, implique de minimiser le biais de la sur-confiance de l’enjeu individuel pour créer un climat de relation productive et constructive autour d’un objectif commun partagé.
Motiver la coopération en favorisant le gain collectif.
Motiver individuellement est moins efficace qu’une récompense collective : favoriser l’entraide favorise la collaboration, là où l’individualisme la freine. D’où la contre-productivité des primes individuelles.
Parce que la valeur de la récompense est subjective, émotionnelle, et non rationnelle, si vous donnez une prime sur la motivation, sur l’engagement sans pouvoir la quantifier sur des résultats individuels factuels, alors vous engagez une compétition entre les participants sur la manière dont eux-mêmes considèrent que les autres s’impliquent et produisent, et à ce petit jeu il est préférable de se dire qu’il vaut mieux manœuvrer individuellement pour l’image de soi que pour le résultat lui-même :
- ce qui entraîne de déporter le point de focal sur le prétendre plutôt que sur le faire (coopération simulée);
- encourager à savonner la planche de l’autre pour qu’il n’ait pas sa prime plutôt que d’essayer de se surpasser avec le risque que l’autre fasse mieux quand même (donc de se confronter à ses propres limites) (compétition hostile).
Quoi qu’il en soit, vous venez de briser votre équipe et de faire porter le point d’attention sur la différence entre le salaire et la valeur de soi (vous venez de leur démontrer que vous les payez mal) plutôt que sur la performance du résultat. Vous mettez l'accent sur l'enjeu individuel au lieu de le mettre sur l'objectif commun partagé. Sachant que vous ne connaissez jamais l'enjeu de l'autre. Le risque est considérable. La productivité et la qualité de production devraient s’en ressentir fortement et rapidement, mais pas dans le sens où vous l'espériez.
Valorisez le résultat collectif comme valeur additionnée liée au contrat social, donc une valeur qu’aucun individu seul ne pourra jamais produire, ainsi vous renforcez le groupe et monterez le point d’équilibre médian (tout le monde gagne). La récompense sociale, se sentir valorisé dans et par le groupe, est plus important que toute autre récompense. La plus grande des valorisations est le sentiment authentique de responsabilité individuelle dans le résultat collectif. Le fait que j’ai authentiquement participé au résultat collectif prouve que je suis indispensable au groupe, donc que j’ai une responsabilité et un pouvoir sur le résultat. Cette valeur égoïste, personnelle, d’estime de soi est plus importante que la récompense externe. Cela ne signifie pas qu’elle est suffisante (il ne suffit pas de dire merci au collaborateur pour le valoriser), mais elle est nécessaire au sens ou une récompense purement matérielle sans la reconnaissance existentielle de la valeur intrinsèque ne sera même pas nécessaire. L’équilibre entre la valeur ressentie (l’auto-évaluation) et la valeur reçue garantit une condition de motivation et de performance. Que la balance penche d’un côté ou de l’autre et l’une des parties se sent bernée… ou croit avoir berné l’autre. L’équilibre est rompu. La confiance est partie. La coopération n’est plus possible.
Un collaborateur est moins concerné par le fait de perdre son bonus parce qu’il est fainéant que par la responsabilité que sa fainéantise pourrait entraîner la perte du bonus des membres de son équipe. L’équipe est ici importante, non pas parce qu’il faut que les collaborateurs se connaissent personnellement, mais parce qu’il faut ce sentiment d’appartenir à une culture commune. L’espace de responsabilité est commun avec un objectif commun partagé.
Si je pense et je sais que j’ai contribué à un résultat collectif que je n’aurais pu atteindre seul, mais surtout que les autres n’auraient pu atteindre sans moi, alors je prends conscience de ma vraie valeur dans l’entreprise. Je me réalise dans mon action et me valorise dans ma création de valeur.
La morale de l’histoire.
Ce qui rend les choses particulièrement compliquées est qu’elles ne sont jamais simples. S’il paraît plus facile de considérer qu’elles le sont, c’est hélas simpliste.
Nous sommes bourrés de contradictions, de tendances contraires et c’est ce qui fait notre richesse. Nous pouvons éprouver de la peur et de la joie en même temps. de l’attraction et du dégoût, du respect et de la crainte, etc. Nous sommes un équilibre précaire toujours à trouver. C’est un effort constant et permanent. Rien n’est définitivement acquis.
Cette confusion crée la richesse et la possibilité de création de valeurs. Prendre en considération la dimension subjective, émotionnelle et irrationnelle du choix rationnel et du comportement permet d’être plus efficace, plus pertinent plus en adéquation avec la réalité. Cela demande un effort, cela demande de faire confiance et de se faire confiance.
Pourquoi ne pas essayer ?
Expert Finance | Formateur
8 ansBenjamin Sylvand La confiance est en effet l'une des clés majeure. Confiance en Soi tant qu'en l'Autre. Je souhaiterais y ajouter la clé "conviction" qui engendre la clé "engagement". Ce trio, associé positivement, est la base d'un nouvel élan sociétal.