Confinés en enfer

Impossible de refermer la page après avoir interviewé des réfugiés du camp de Moria sur l’île grecque  de #Lesbos.

Tandis que la Grèce déconfinait, eux enduraient un 5 è report du déconfinement « spécial #réfugiés » pour cause d’attente de touristes. Par miracle aucun cas de #Covid ne s’est déclaré dans le camp où les seules présences exogènes sont celles de quelques militants d’ONG archi prudents. Il s’agit donc d’un confinement économique et politique à la fois. Si la #Grèce cache ces réfugiés, c’est parce que l’#Union européenne elle-même les cache en Grèce. Pour ne pas les voir. Pourtant ils sont là. 

Ensemble, nous avons rencontré Olivier, cameraman menacé de mort, par le général qu’il avait lui-même  filmé;  Abdulaye chef d’entreprise torturé; Sima, jeune radiologue de 28 ans qui a fui le mari taliban que son propre frère voulait lui infliger; Grace, 17 ans fuyant quant à elle son assassin de père et bien d'autres encore....

En posant le pied sur le rivage de l’Europe, fugitif instant d'euphorie. Ils l’ont crue terre promise. Terre d’#Asile, terre d’état de droit. Ils croyaient trouver refuge. Ils lui demandaient sa protection. 

Mais l’instant n’a pas duré, remplacé par l'enfer, interminable. Matricule attribué, rendez-vous d’asile renvoyé aux calendes grecques : souvent plus de 20 mois pour les hommes à la peau d’ébène. Ces « hotspots » sont de monstrueuses gares de triages humains : les délais dépendent de la couleur de peau….Ici, en Europe, les hommes ne sont ni libres ni égaux en droits. Nous sommes au Moyen Age. 

Je suis allée voir et filmer pour témoigner. Je n’en reviens pas. Je n’en dors plus. Sans perspective, sans interlocuteurs, sans communication, sans eau courante. L’arrivée de l’été a transformé ce camp qui n’en est plus un depuis longtemps, en une fournaise où se consume leur humanité et la nôtre, les fondements de l’Europe, les droits fondamentaux. L’état de droit continental a sombré dans la mer Egee ; l’#Union Européenne a liquidé le #droit d’#asile. Ce constat de @Jean Ziegler, vice-président du comité consultatif pour les #droits de l’homme de l’ONU, nous avons pu le faire nous-mêmes : #Lesbos, « Honte de l’Europe», échec cuisant des  politiques  migratoires.

Quand a été créé le camp de #Moria en 2013, il s’agissait d’y recueillir en urgence, un maximum de 2800 réfugiés, un ou deux jours, le temps d’être enregistrés. Aujourd’hui le camp est devenu un trou noir qui engloutit 18 000 réfugiés depuis de longs mois, et pour encore tout autant. Alors, ils meurent à petit feu dans cette jungle immonde, ce bidonville, où l’on prétend retenir ces milliers de familles entières (40% sont des enfants), confinés encore et encore dans un espace totalement insalubre sans eau courante et totalement insécurisé.

La mer à portée de regard, mais toujours aussi inaccessible pour ces hordes d’enfants réfugiés désoeuvrés, livrés à eux-mêmes et que le désespoir conduit à s’auto-mutiler. Ce sont les récits mêmes de mon collègue et caméraman afghan, @Mortaza Behboudi, qui entre deux tournages, offre son temps, 8 heures par jour, comme interprête de la clinique du camp. 

L’état de droit ne pénètre pas dans la « jungle » où les forces de l’ordre sont invisibles quand il s’agit de contenir des hommes que le désespoir rend fous. Pourtant les policiers sont réapparus, mardi dernier, pour empêcher la marche pacifique de ceux qui voulaient honorer la mémoire de Karamoké, un jeune de moins de 20 ans poignardé sous sa tente à 21 h, alors qu’il téléphonait à ses parents.  Trois autres jeunes sont entre la vie et la mort. Que  faire les vidéos de cris, de colère et de sang? Leur colère est devenue ma colère. Leur impuissance, mon impuissance. Mais je ne peux me résoudre à l’étouffer sous peine d’étouffer moi-même.

Les dernières heures de Karamoké furent pour son Dieu, ses amis et ses parents. Le seul refuge qu’il aura trouvé en Europe est celui d’une tombe creusée à mains nues par ses amis d’infortune dans un cimetière musulman enfoui au fond de la campagne grecque. Un cimetière que nous n’avons jamais réussi à retrouver. Ces morts honteuses, sont étouffées. 

#Hotspots : envers de l’Europe, cruelle arène où des hommes interdits d’eau fraîche, de mouvement, de travail et de sommeil,  deviennent fous et s’entretuent pour un téléphone portable. Barbarie du XXIè siècle. Honte de l'Europe.

Laurence Monroe

Journaliste/Co–réalisatrice 

« Par-delà l’enfer » sera diffusé en octobre 2020 et raconte ceux des réfugiés qui tiennent, qui résistent, qui s'entr'aident.