« Considérons que tuer le temps est parfois un cas de légitime défense. » Albert Brie
Château d'Haroué, Meurthe-et-Moselle, reflet d'une tour dans les douves

« Considérons que tuer le temps est parfois un cas de légitime défense. » Albert Brie

Jour 1299 depuis Covid

 

Cent-quatre-vingt quatrième dimanche du temps extraordinaire

 

Il y a quelques semaines, l’occasion nous fut donnée de faire la visite du Château d’Haroué, situé à une grosse demi-heure de Nancy vers le sud. Soit dit en passant, si le prix de l’entrée est assez élevé et obligatoire pour avoir accès aux exceptionnels jardins à la française, l’entrée est gratuite pour toute une ribambelle d’ayants-droit (pluriel inclassable et sibyllin), des moins de 26 ans aux gens du tourisme, dont nous avons pour une rare fois le droit de faire partie.

Pour mon épouse et moi, c’était un pèlerinage : dans quelques jours, cela fera vingt-cinq ans que nous avons fait la fête dans ce château, avec nos amis et nos familles de l’époque, le jour de notre mariage. Vous l’aurez compris, je souhaite évoquer avec vous le temps qui passe, souvent trop vite, ce temps qui trépasse et parfois nous dépasse, ce temps qui nous permet de nous surpasser aussi, ce temps aux allures d’impasse parfois.

 

Hasard mortifère du calendrier du temps qui passe, la princesse Minnie de Beauveau-Craon, dernière propriétaire du château, est décédée cette année, au mois de mai. Elle nous avait accueillie dans sa magnifique demeure, le 24 octobre 1998. A l’époque, elle me semblait déjà vieille, c’est le souvenir que j’en avais gardé. Pourtant, en 1998, elle n’avait que 45 ans, cinq ans de moins que moi aujourd’hui… A quel âge devenons-nous vieux ? Certainement ne sommes-nous pas vieux tant que nous restons des enfants. Mais une fois devenus adultes, le retour est impossible. C’est le temps qui trépasse.

 

Cette semaine, j’ai passé deux jours sur le salon Top Résa, le grand raout annuel et parisien des agents de voyages. L’année 2023 a surpassé les attentes de tous nos confrères : ils ont tous le sourire, et ceux qui ont fait une mauvaise année – il y en aussi quelques-uns, forcément -, affichent des mines réjouies pour avoir le droit de faire la fête… Première année post-Covid à peu près normale : il est interdit de bouder son plaisir, et de penser à un avenir qui pourrait être moins gai, au gré des conflits qui éclatent un peu partout. C’est le temps qui surpasse.

 

Dans ces mêmes couloirs, j’ai croisé des têtes blanches, des visages que je n’avais pas aperçus depuis des lustres. De grâce, si je veux encore traîner mes guêtres à Top Résa dans trente ans, ligotez-moi à mon fauteuil roulant ! Que viennent ici chercher ces âmes égarées ? La nostalgie d’un passé qui a disparu ? Deauville, que je n’ai pas connu, paraît bien loin, avec ses fêtes et ses excès. Signe des temps qui dépassent, le salon s’est professionnalisé, et si le champagne continue de couler, c’est avec modération et supercommission ! C’est le temps qui dépasse.

 

Reste le temps de l’impasse. « Droit devant soi, on ne peut pas aller bien loin », c’est ce que disait le Petit Prince. Pourtant la géométrie, ou une certaine idée de la géométrie, nous enseigne que le plus court chemin entre deux points est la ligne droite. La physique vient contredire cela : souvenez-vous du chemin de la lumière qui traverse deux milieux transparents différents… Mais l’idée du Petit Prince est encore plus complexe : il y a déjà toute une infinité de chemins possibles pour aller au bout du voyage. Ces cheminements possibles sont remplis d’erreurs, d’errances, de toboggans aussi, voire de trous de ver, qui rendent le voyage si imprévisible et si merveilleux. « Toutes blessent, la dernière tue », trouve-t-on souvent sur les cadrans solaires. Le bout du chemin est le même pour tout le monde, sans exception possible. C’est le chemin qui est important, avec ses compagnons, avec ses détours, ses panoramas, ses pauses, ses courses contre la montre, mais aussi ses impasses. Mirage que cette tour du château qui se reflète trouble dans l’eau des douves d’Haroué… Douves dont on peut faire indéfiniment le tour sans jamais sortir : on revient toujours à son point de départ. L’eau qui passe sous les ponts, et nous qui sommes les passagers d’une immense arche de Noé, à la recherche permanente d’un bonheur que nous n’atteindrons jamais, car il nous échappe passablement dès qu’on croit le tenir. C’est le temps de l’impasse.

 

Aimons chaque jour comme le dernier, et agissons en pensant à ce qui se passera dans vingt ans. Belle semaine à toutes et tous !

Marc-Elie CASPAR

Sr Director | General Manager France & Western Europe, Convera

1 ans

Belle et subtile écriture, merci François Piot

Quelle jolie plume tu as cher François! Amitiés

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