Construction et dépassements de coûts : causes et solutions
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Construction et dépassements de coûts : causes et solutions

Article publié sur le site de Strategia Conseil

Avez-vous déjà observé des dépassements de coûts dans un projet de construction?

Cette question fut la première posée dans notre sondage sur les perceptions et les enjeux reliés à la construction de projets majeurs réalisés en octobre 2020.

Près de 60 personnes se sont prêtées à l’exercice.

97 % des répondants ont affirmé avoir été témoins de dépassements de coûts dans des projets de construction. Une majorité plus qu’écrasante!


Ampleur des dépassements de coûts : perception ou réalité?

Notre sondage n’est pas une étude scientifique, mais plutôt un moyen de sonder notre entourage sur certaines problématiques.

Et toutefois, la question se pose, est-ce que les dépassements de coûts sont effectivement généralisés en construction?

Dans un précédent article sur les dépassements de coûts, nous avons mentionné l’analyse du professeur Bent Flyvbjerg de l’Université Oxford, sommité en la matière. Celui-ci affirme que 9 mégaprojets sur 10 dans le monde font face à des dépassements de coûts.

Une étude réalisée par KPMG en 2019 a révélé que seulement un tiers des projets de construction sont complétés sans excéder de plus de 10 % le budget alloué.

Vu l’ampleur des conséquences des dépassements de coûts sur les projets, qu’ils soient publics ou privés, le sujet mérite d’être traité en profondeur.

 

Qu’est-ce qu’un dépassement de coûts ?

Avant de parler des causes, mieux vaut définir ce qu’est un dépassement de coûts en construction.

Dans le rapport Étude des facteurs de risques de dépassements de coûts dans les projets de construction de routes et de grands travaux au Québec publié par le Cirano (Centre universitaire de recherche en analyse des organisations), les dépassements de coûts sont définis comme suit :

« Les dépassements de coûts correspondent à la différence entre le coût final total du projet de construction pour le donneur d’ouvrage et l’estimé initial réalisé au moment de la décision de construire. »[i]

 

Quels sont les facteurs de risques de dépassement de coûts dans des projets de construction?

Le rapport du CIRANO dresse une liste exhaustive de l’ensemble des facteurs de risques de dépassements de coûts dans des projets de construction et les répartit dans 13 grandes catégories :

  • Caractéristiques du projet
  • Complexité du projet
  • Qualité de l’estimation des coûts
  • Planification et conception
  • Processus d’octroi
  • Gestion financière
  • Facteurs de gestion
  • Facteurs de communication
  • Facteurs politiques et exigences légales
  • Facteurs climatiques et écologiques
  • Ressources humaines
  • Facteurs économiques
  • Facteurs reliés à la fraude

Ces grandes catégories couvrent autant le processus, les mécanismes, que les contextes humains, politiques et économiques. Les causes des dépassements de coûts sont donc multiples et souvent multifactorielles.

Certaines revues de littérature font même état de plus de 100 facteurs de risques influençant des dépassements de coûts!

Dans notre sondage, nous avons posé la question suivante :

Quelle est la cause principale qui explique les dépassements de coûts dans la plupart des projets ?

Les réponses sont divisées.

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Si nous avons proposé ces causes, c’est parce que ce sont celles les plus souvent observées selon notre expérience.

Mauvaise estimation budgétaire

Puisque les dépassements de coûts correspondent à la différence entre le coût final du projet de construction et l’estimé initial, la précision de l’estimation joue un rôle majeur.

Selon notre expérience, une bonne estimation repose bien entendu sur les connaissances et les compétences de l’estimateur, mais aussi sur sa compréhension du projet.

Dans son document « Guide de l’estimation des coûts », le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada mentionne que la mauvaise qualité de l’estimation du coût est généralement causée par :

  • des données insuffisantes ;
  • une mauvaise méthode d’estimation ;
  • une piètre formation des évaluateurs des coûts.

Pendant la phase conception, l’estimateur dépose souvent de bien peu d’informations pour faire son estimation budgétaire. Les plans détaillés sont alors inexistants.

Pour ce qui est de l’aspect méthodologique, l’estimation budgétaire de départ repose sur des hypothèses. Il est donc très important que ces hypothèses, ainsi que les informations sur lesquelles elles ont été fondées, soient bien définies et documentées. Elles pourront ainsi être mises à jour en cours de projets, ainsi que les répercussions sur les coûts et l’échéancier qui en découlent.

Pour ce qui est de la qualification des professionnels qui réalisent ces estimations, il est en effet primordial que ces derniers soient formés et certifiés par une organisation indépendante. Pourtant, au Québec, la profession des spécialistes des coûts n’est pas encadrée.

Contrairement à la France, l’Angleterre et le reste du Canada, au Québec, rien n’oblige qu’une estimation des coûts d’un projet soit réalisée par un professionnel de la construction détenant les qualifications nécessaires.

Pourtant, il existe plusieurs organismes et associations dont l’Association des estimateurs et des économistes de la construction du Québec (AEÉCQ) qui regroupent des professionnels certifiés en matière d’estimation et de gestion de coûts de construction. Le choix d’un estimateur devrait donc prendre en compte son expertise, sa formation et sa certification.

Finalement, selon notre expérience, une lacune fréquente dans les estimations est l’insuffisance de marge reliée à la gestion des risques, d’où l’importance de réaliser une analyse de risques (tel que discutée ci-dessous).

Ainsi l’estimation budgétaire d’un projet de construction peut être améliorée par :

  • une meilleure investigation de départ;
  • une méthodologie et une documentation rigoureuses;
  • l’embauche d’estimateurs qualifiés.

Mauvaise définition

Lorsque les plans et devis sont avancés à 100 %, la question de mauvaise définition d’un projet ne se pose pas (quoique les plans et devis peuvent contenir des erreurs et omissions, mais ceci est un autre sujet). Les plans et devis sont généralement bien définis pour permettre aux estimateurs d’en estimer les coûts de travaux avec une marge d’erreur avoisinant 5 %, et aux soumissionnaires de déposer des soumissions précises.

Toutefois, lorsque le donneur d’ouvrage est à l’étape des études de faisabilité, cela implique souvent l’évaluation des diverses solutions techniques pour répondre à un besoin d’infrastructure. Il est donc à l’étape de définition de son projet.

C’est à cette étape que l’expertise des professionnels responsables des estimations et ses aptitudes en matière de communication deviennent extrêmement importantes pour produire des estimations budgétaires qui permettront à l’organisation de prendre les décisions d’investissement les plus judicieuses.

Nous avons discuté ci-dessus de l’importance de confier la tâche d’estimer les coûts de construction à des professionnels spécialisés en la matière. Mais pour réussir une estimation budgétaire, ces professionnels doivent avoir des habilités particulières. Rappelons-nous qu’à cette étape d’un projet, il n’y a pas de plans et devis. L’information est partielle, sporadique, voire inexistante – elle est parfois même encore dans l’esprit du client.

Bien souvent les concepteurs n’ont même pas encore une vision claire des solutions techniques qu’ils mettront sur papier pour réponse au besoin de leur client. Imaginez donc le défi que représente pour un professionnel de produire une estimation budgétaire!!

Dans certains projets, les professionnels (architectes, ingénieurs, etc.) développent des esquisses du projet, ce qui facilite la compréhension commune des solutions proposées. À ce moment-ci, le projet commence à se concrétiser. Quoi qu’il en soit, le professionnel en estimation ne peut se fier sur des informations détaillées pour produire son estimation budgétaire.

Pour clarifier la définition du projet, l’estimateur doit :

  • Poser les bonnes questions

L’estimateur doit poser les bonnes questions au client et ses professionnels pour comprendre le besoin et s’approprier de la vision des concepteurs, ce qui implique de conceptualiser l’ensemble des éléments du projet. Pour poser les bonnes questions, le professionnel en coûts doit donc avoir une excellente connaissance des systèmes constructifs d’une infrastructure pour ensuite développer des hypothèses qui sous-tendent son estimation budgétaire.

  • Collaborer avec les autres intervenants

L’estimateur ne doit pas être le seul professionnel à développer la vue d’ensemble du projet. L’exercice de définition devrait être réalisé non pas en silo, mais plutôt en collaboration.

Selon notre expérience, une démarche collaborative assurant la participation de toutes les parties prenantes, tel le processus de conception intégré (PCI), est le meilleur moyen de définir le projet autour d’un consensus et d’une compréhension commune.

Le PCI améliore la communication entre les intervenants en les réunissant lors d’ateliers pendant la phase de conception. Ceci permet de faire naître des projets qui sont mieux conçus, mieux adaptés aux besoins de l’organisation, plus intégrés dans leur contexte socioéconomique et surtout, mieux définis.

  • Utiliser des processus d’analyses préparatoires reconnus

Un processus qui peut contribuer à faire une définition beaucoup plus précise d’un projet et la réalisation d’un dossier d’opportunité ou d’un dossier d’affaires. Ce processus est d’ailleurs maintenant obligatoire dans les projets d’infrastructures publiques d’une certaine envergure. Il

permet de faire une définition beaucoup plus précise du projet et de suivre son évolution dans le temps.

Ainsi la définition d’un projet de construction peut être améliorée par :

  • La recherche d’information auprès d’autres intervenants
  • L’adoption d’un mode de travail collaboratif
  • La réalisation d’analyses préparatoires au projet

Changement en cours de projet

On précipite trop souvent les activités reliées à la planification en implorant le manque de temps. Si davantage de temps est consacré à la phase de conception du projet, moins de changements surviendront en cours de projet. Ceci permettra de respecter les échéanciers et le budget.

Bien entendu, plus le projet de construction est complexe dans sa réalisation et sa durée, plus des changements sont appelés à survenir. Il faut donc prévoir des mécanismes de contrôle de coûts ainsi que des mécanismes de gestion des modifications.

Malheureusement, ces mécanismes sont souvent absents des projets de construction. Les bonnes informations et les changements proposés ne « remontent » pas toujours aux bonnes personnes, ni au bon moment pour prendre les décisions qui d’imposent.

Ces mécanismes doivent être en place dès le début du projet pour assurer un suivi en continu des modifications au projet. Ils permettent à la personne responsable de la prise de décision d’évaluer la valeur ajoutée des modifications proposées, ainsi que leurs impacts monétaires et calendaires.

L’analyse de valeur

L’analyse de valeur est un autre processus qui peut être réalisé en cours de projet, pour pallier l’absence de tels processus. Cette technique permet de rationaliser et de prioriser à des points de contrôle définis, les changements apportés ou proposés au projet. Elle permet d’identifier le coût et l’impact de chaque changement et vise à minimiser l’impact de ceux-ci sur l’ensemble du projet.

Les changements ne sont pas mauvais en soi, mais ils apportent une complexité au projet ainsi qu’une certaine lourdeur au suivi.

Pour en minimiser l’impact sur les dépassements de coûts des projets de construction, il faut donc passer plus de temps à l’étape de la planification ainsi que prévoir et utiliser des mécanismes de contrôle et de gestion des modifications.

Mauvaise gestion des risques

Ici la question se pose : est-ce que les dépassements de coûts de construction sont causés par une mauvaise gestion des risques, ou parce que celle-ci est inexistante?

Selon notre expérience, et différentes revues de littérature, la gestion des risques est généralement peu appliquée en construction par manque de connaissances et de sensibilisation.

Bien souvent, les différents intervenants connaissent les risques reliés à leurs activités. Ils prennent donc certaines mesures pour réduire leurs propres risques. Toutefois, les réflexions se tiennent souvent en silo sans vision sur l’ensemble des risques du projet.

La première étape pour instaurer une bonne gestion des risques est d’effectuer une analyse de risque globale incluant tous les intervenants. Un professionnel qui ne connaît pas les risques à surveiller pour une partie du projet qui n’est pas sous sa gestion, ne sera pas attentif ou sensibilisé à prévenir l’apparition de ceux-ci ou à réagir rapidement lorsqu’un risque se manifeste.

La deuxième étape est ensuite de quantifier les risques, sur le plan monétaire et de temps pour mettre en place des mesures de suivi et d’atténuation lorsque nécessaire.

Finalement, on assiste trop souvent au syndrome de la pensée magique. Les risques sont souvent intangibles et donc difficiles à conceptualiser. L’être humain a tendance à occulter ce qu’il ne comprend pas, en se convainquant que ça n’arrivera pas.

Pour réduire les risques d’un projet et leurs impacts sur les coûts, il faut donc mettre en place un processus de gestion des risques. Si le donneur d’ouvrage ne sait pas comment faire, il faut intégrer à l’organisation des professionnels en mesure d’accompagner les intervenants du projet dans le processus d’analyse et de suivi des risques.

Lacune dans les documents contractuels

Terminons avec un dernier facteur de dépassements de coûts en construction : les lacunes dans les documents contractuels. On fait ici allusion aux documents d’appels d’offres qui sont ambigus, incomplets ou même erronés.

Plus les projets de construction sont d’envergure, plus les documents d’appels d’offres sont complexes, ce qui augmente les risques de différends qui peuvent s’avérer coûteux. Pour éviter de tels différends, il faut premièrement choisir le mode de réalisation le plus approprié selon les objectifs, les contraintes et les particularités du projet.

Nous avons mentionné la pensée magique dans la section précédente, elle peut aussi se manifester dans la gestion des contrats. Certains propriétaires de projet choisissent le type de contrat en fonction des risques qu’ils croient pouvoir transférer à l’entrepreneur, alors que l’objectif est plutôt de choisir le mode de réalisation qui permet le partage de risque le plus équitable entre les parties.

Deuxièmement, il existe des façons d’atténuer les risques d’erreurs et d’omissions dans les documents d’appels d’offres. Il est faux de croire que les professionnels qui produisent les plans et devis travaillent toujours de concert. Comme nous l’avons souvent constaté dans le cadre de nombreux projets, cette coordination interdisciplinaire des plans et devis pour soumission est la plupart du temps escamotée, faute de temps ou de volonté des professionnels. Chaque professionnel est responsable de ses propres livrables, mais qui est responsable l’ensemble de l’œuvre?

Dans le cadre du mode en gérance de construction, le gérant peut participer (en plus de faire la gestion de la construction) à la confection des documents d’appels d’offres, incluant notamment les plans et devis préparés par les professionnels, si en effet ces tâches lui sont confiées à même son mandat.

Dans le cadre du mode traditionnel, puisque l’entrepreneur n’intervient dans le projet qu’une fois les plans et devis complétés et le contrat signé, il est recommandé d’impliquer un expert en constructibilité. Ce conseiller indépendant, ayant une expérience approfondie de chantier, aura comme mandat de porter un regard critique sur les documents d’appels d’offres avant le lancement. Son rôle est de déceler les ambiguïtés, les lacunes et les erreurs aux plans et devis, de soulever des éléments dans les systèmes constructifs proposés qui risquent de générer des changements au contrat, parfois très coûteux, pendant l’exécution des travaux.

Vaut mieux prévenir que guérir, surtout qu’en construction, guérir s’avère souvent très coûteux!

Peu importe le type de contrat choisi, il faut prendre le temps de bonifier celui-ci pour répondre aux particularités du projet, à ses risques et à son contexte unique.

 

Conclusion

Comme mentionné en début d’article, les dépassements de coûts en construction sont multifactoriels. Les pistes de solutions proposées, selon notre expérience, peuvent être mises en place dans la majorité des projets et avoir des impacts positifs sur le contrôle des coûts.

Toutefois, dans une industrie où les dépassements de coûts sont presque devenus la norme, la plus grosse difficulté à surmonter est peut-être de faire prendre conscience qu’il est possible qu’il en soit autrement.

Références

[i] Nathalie de Marcellis-Warin, I. P. (2014). Étude des facteurs de risques de. Montréal: Cirano.

Kathryn Hardy

Présidente Directrice générale chez Hardy Inc

3 ans

Et pourquoi ne par poursuivre l’ouverture de la réflexion et ne pas amarrer l’expérience de certains entrepreneurs professionnels de leurs métiers spécialisés, qui œuvrent au quotidien dans un des domaines et qui pourront d’hors et déjà soulever/envisager et éviter certaines problématiques/défis ! Et si, avant d’octroyer un mandat, le temps était pris afin de rencontrer les entrepreneur et voir comment ils ont vu le projet, le comment et le pourquoi de leurs approches. Evitant ainsi , par le fait même, d’octroyer un mandat à une firme n’ayant pas toute la compréhension de son implication. En alliant les forces et les visions, non seulement le projet est mieux servi, mais tous travaillent de paires ! Les entrepreneurs ont un sentiment d’appartenance et de fierté de pouvoir collaborer et travailler en ÉQUIPE à faire de ce/ces projets des succès!

Natacha Carbonneau

Représentante - SOPREMA Canada

3 ans

Très intéressant!

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