Construis ta vie selon ta nécessité
La semaine dernière, une sorcière m’a dit que je ne vivrais pas de mon écriture. Qu’elle ne me voyait pas en vivre. Dans l’instant, j’ai ressenti de la déception, de la tristesse. J’ai véritablement cru ce qu’elle me disait. Je l’ai reçu comme un vérité, un tomber de rideau.
Elle n’est pas vraiment une sorcière. C’est une femme publique et inspirante. Une femme dont la parole a du poids à mes yeux. Elle parle aussi d’une manière qui enracine chaque mot. Avec évidence, avec certitude. Elle m’impressionne sans doute un peu.
Depuis une semaine, je me débats avec ses mots. Après la déception, la colère est arrivée. La colère d’un « je fais ce que je veux », la colère d’un « elle verra bien ». J’ai fini par me dire qu’elle ne m’avait pas dit ça pour que je la croie, mais pour que cela réveille quelque chose en moi, pour que je réagisse.
J’écrirai si je veux.
J’écris déjà. Chaque jour. Par nécessité. Par joie. Quand j’écris, je suis sans doute dans l’endroit le plus confortable que je connaisse. Je suis dans une bulle où je n’ai rien à prouver. Rien à accomplir. Où je n’ai aucun effort à fournir. Je ne réfléchis pas. J’écoute et je trace. Je trace les lettres des mots que j’entends.
Je deviens mauvais quand je commence à réfléchir. C’est vraiment tout sauf une démarche intellectuelle. Je suis simplement en écoute profonde, connecté à mon centre. Rien que le fait de l’écrire allume un foyer de chaleur dans mon ventre. Rouge-orangé.
Je n’essaye pas de faire beau. Je fais. Je fais encore et encore. Je répète constamment le même geste. Je trace et retrace. Je ne vise rien. Je ne tente pas d’être malin ou poète. Je n’essaye pas de bien écrire. Je suis le flux de la nécessité.
Recommandé par LinkedIn
J’en vis déjà de mon écriture. J’en vis déjà chaque jour, chaque matin. Elle fait partie intégrante de ma vie. Elle s’est installée en moi, par les rituels, par les habitudes, par les cahiers remplis, et les stylos épuisés.
Quand je pars en voyage, et que je rationne le contenu de mon sac-à-dos, avec la frontale, le K-way, les mouchoirs, il y a un cahier grand format. Je sais déjà que j’y poserai une date en haut en gauche, et que je commencerai par un mot, puis un autre, puis un autre. Ils se suivront comme une guirlande de page en page.
Et quand les pages seront pleines, il restera la couverture cartonnée. Et quand elle aussi sera recouverte de signes, je saturerai les bords de chaque feuille dans la largeur. Il reste toujours un peu d’espace à gauche avant chaque premier mot, et à droite après le dernier.
Pas très pratique pour être lu. Qui a dit que j’écrivais pour être lu ? J’écris pour écrire. Parce que je ne peux pas ne pas. Il y a cinq ans, au cours d’une séance, j’ai demandé à mon psy si je pouvais prétendre à être auteur, si j’avais le droit d’imaginer que j’étais un artiste. La question était naïve sans doute. J’étais en quête de légitimité.
Il m’a offert une citation. Sans doute la seule chose de nos échanges dont je me rappelle encore aujourd’hui :
Demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire ? » Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple : « Je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité.
Rainer Maria Rilke