Contours de la culture alsacienne actuelle #2
L’« Elsass Paradox »
Cet état de fait procède de deux éléments, selon moi. Il s'agit de l’absence de transmission, doublée d’une paralysie devant le trop-plein. Voyons d’abord ce dernier. Sociétés d’histoire, de musique, littéraires, poétiques, ainsi qu’antiquaires, brocanteurs, confréries… L’Alsace regorge de ces « mines » de culture, insondables, mais en vain ou presque. Chacun se spécialise, car si la passion sauve, il ne semble pas toujours de bon goût, en revanche, de vulgariser. Pourquoi ? Evidemment, il y a la déperdition du dialecte. Mais n’oublions pas la profonde mutation des références culturelles, liée aux médias de masse, et aux fameuses T.I.C., les technologies de l’information et de la communication. Nous pouvons aussi évoquer, comme raison à cela, les tendances culturelles mondialisées, la mutation de toute l’économie -et particulièrement l’économie culturelle- ainsi que les changements sociologiques que cela implique. A ces mutations, les structures culturelles et artistiques populaires alsaciennes, ont opposé une inertie parfois consternante, verrouillées qu’elles sont par le patriarcat, le conservatisme, voire la pudibonderie réactionnaire. Ce qui crée inévitablement du décalage, et une « sélection culturelle » implacable.
Or la culture alsacienne, en tant que production, conception du monde, et patrimoine, est largement « populaire », tout comme l’est la culture dite « pop », actuellement dominante. Nous touchons là au deuxième élément, expliquant le paradoxe culturel alsacien. En plus de ce phénomène de latence, d’asphyxie, il y a un fossé entre l’alsacianité populaire (manifeste dans la kilbe ou le messti, les traditions calendaires, la gastronomie, les expressions dialectales…), et l’alsacianisme culturel avec son amas culturel précité. Le résultat en est que la partie émergente, que l’on identifie comme un contour de la culture alsacienne, est l’« Elsass Touch ». Je veux parler d’une touche d’alsacien, que l’on donne à un produit, ou à une œuvre, et qui fait « couleur locale ». Cela est très perceptible dans le cas alsacien. Il s’agit d’un phénomène viral résurgent, lié aux tendances et aux modes, un vernis identitaire, parfois culturel, parfois folklorique, marketing ou sentimental, qui va de la Marque Alsace à Bretzel Airlines, en passant les romans régionaux ou la brasserie Licorne.
Nous sommes comme en présence d’un vêtement magnifique, richement orné de soie et de dentelles, mais dont le tissu de base et les dessous, sont entièrement mités, percés de trous, qui font qu’il n’en reste plus que des lambeaux, parfois encore bien épais cependant.
To be continued / Fortsetzung folgt