CONVERSATIONS AUTOUR D’UN CENDRIER.
« Souvent la jeune mariée est embarrassée lorsqu’il s’agit de désigner des beaux-parents. On peut trancher la difficulté en leur donnant le nom de « papa » et de « maman », gardant pour les parents véritables ceux de père et de mère, ou inversement. On peut aussi dire « beau-papa » et belle-maman », ou « maman Jeanne », « papa Pierre ». Certaines personnes conservent l’appellation de monsieur et madame, désignation bien froide et bien sévère qu’il faudra tout au moins adoucir en y ajoutant un palliatif affectueux. »
LISELOTTE – Le Guide des Convenances.
- JE N’EN PEUX PLUS, JE VAIS DIVORCER !
Ce cri en provenance du cendrier de la porte sur la rue m’arrête net dans ma course. La confraternité des fumeurs gît ci-devant, agglutinés sur le trottoir devant l’Étude, dans le froid du petit matin, sous la pluie à midi, au soleil du tantôt, dans l’obscurité du crépuscule. Ces toxicomanes, souffreteux, proscrits, torturés, portant dans leur sang le venin de la civilisation se gaussent et jasent, se défoulent, vagissent, un pied contre le mur, un arabica trop sucré dans une main, une cigarette dans l’autre, les doigts jaunis par les remords et la fumée, les lèvres pincées par la manie et la honte.
- Hier, le primate que j’ai eu le malheur d’épouser, a eu l'extrême obligeance de dire à sa môman chérie qu’elle ne faisait plus de choucroute depuis qu’ils n’habitent plus en Alsace. Cela m’a retournée. Qu’il ait l’outrecuidance de lui demander à elle, de faire la cuisine, je n’en reviens pas. Je lui ai fait remarquer vertement. « Bê, ça alors, tu aurais pu me dire que tu voulais de la choucroute. Je vais t’en faire, ne t'inquiètes pas. » Pour alléger la discussion, je demande à belle-môman si elle a une recette spéciale. « Que non », me dit-elle. J’oublie évidemment cette remarque, et j’oublie complètement de passer chez le charcutier. Le lendemain, la voilà qui s’amène avec sa choucroute garnie dans son Tupperware[1], son sylvaner et tutti quanti dans sa hotte de Mère-Noël. Là je me suis mise en colère !
- Ah, pourquoi donc ? Ça t'évite de préparer un repas !
- Tu ne comprends rien. Elle le fait exprès, la matrone !
- Je ne vois pas pourquoi. Moi, je dis vive moche maman dans ces cas-là !
- Comment tu l’appelles ?
- Moche maman, c’est pour changer. Elle n’est pas vraiment jolie si tu vois ce que je veux dire…
- Chez moi, quand ma belle-mère nous fait à manger, on se régale.
- Moi j’aimerais bien qu’elle fasse un jour quelque chose pour nous, tu parles…
- J'ai sûrement de la chance, comme vous dites. Je ne sais pas, mais cela m’exaspère, j’ai des envies de meurtre dans ces moments-là, ou de divorcer.
- Tu ne crois pas que tu es jalouse ?
- Oui, tu ne te sens pas un peu en concurrence avec elle ?
- Ce n'est pas que je me sens en concurrence avec elle, mais ma devise est chacun chez soi, c'est tout. Déjà qu'elle nous mette sous le nez de la choucroute toute faite, ça me rend malade. Mais qu'en plus, elle ait pris soin d’apporter les saucisses, le travers de porc, le saucisson et même la moutarde, non là vraiment c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de nuit.
Ni une ni deux, je me précipite dans la salle de signature, ouvre la bibliothèque, emprunte ce trésor de désuétude. Je cours jusqu’au cendrier, essoufflé, et commence à mes collègues la lecture d’un vieux guide[2] :
“ Lorsque dans une réunion se trouvent à la fois parents et beaux-parents, c’est à ces derniers que revient la première place. À table, le gendre aura sa belle-mère à sa droite, sa mère à gauche ; la belle fille, son beau-père à sa droite, son père à sa gauche.
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Il est facile, avec du tact, de l’application, de la bonne volonté, de calmer les jalousies et les susceptibilités et d’arriver à établir entre les beaux-parents et les enfants d’agréables et affectueux rapports, mais à condition que les efforts soient égaux et parallèles.”
- C’est clair que nous avons toutes des jalousies ou susceptibilités face aux anciens. Face à ma mère aussi, elle voulait toujours m’expliquer comment repasser les chemises de mon mari et moi, je voulais qu’il le fasse lui-même, c’était un comble ça !
- Chez moi, la cuisine, ça m’assomme de la faire… alors quand la famille pense à nous, ça nous fait très plaisir, ça nous change des plats tout préparés, ils ont tous le même goût à force. Mais qu’as-tu contre ta belle-mère ? C’est parce qu’elle ne l’a pas fait elle-même la choucroute ?
- Tu parles, si, bien sûr, elle l’a faite maison en plus. Rien n’est trop excellent pour son fils chéri. Elle en rapporte chaque fois trop pour nous deux, mais tout de même pas assez pour les enfants. Elle croit qu’ils ne mangent que des pâtes et du jambon, mais je leur ai appris à manger comme nous…
- Dans les dossiers, je le vois bien, certaines mamans sont incapables de couper le cordon ombilical, elles parlent de leurs enfants comme si c’étaient encore des petits bambins, elles ne supportent pas trop qu’ils soient parents eux-mêmes. Parfois même, elles veulent s’approprier les petits enfants.
- C’est vrai ce que tu dis. Tu sais, quand j’ai eu le premier, elle est venue avec tout le matériel de bébé et de ménage. Elle insistait pour que je me repose, tu parles, c’était pour s’occuper de tout ! Repas, ménage, courses parce que je n’achetais pas de bonnes choses. Elle voulait donner les biberons, changer bébé, elle se levait même les nuits quand il pleurait. J’ai fini par piquer une crise de nerfs, je l’ai renvoyée dans ses pénates. Elle est tombée en pleurs. J’ai apprécié l’intervention de mon mari pour une fois. Il lui a précisé qu’elle empiétait sur nos plates-bandes. Elle a raconté que sa mère s’était sacrifiée de la même façon pour elle et ainsi elle voulait nous rendre la pareille. Il s’est enquis de la manière dont elle l’avait acceptée. Ne s’était-elle pas un peu sentie dépossédée de sa maison, de son bébé ? Alors, elle a avoué que si, et que d’une certaine manière, elle compensait maintenant, se faisant plaisir tout en nous épargnant du travail. En plus Beau-papa s’y mettait aussi, pour eux si bébé était magnifique c’était uniquement grâce aux spermatozoïdes de leur fils, moi j’étais comme une mère porteuse, juste un ventre, une couveuse.
- Je comprends, c'est la guerre froide, mais heureusement elles ne sont pas toutes comme ça, et puis tant d’aide c’est quand même bien gentil, ça ne t’a pas fait bizarre toi de n’avoir plus une seconde à toi ?
- Oui, ce sont surtout les grasses matinées qui m’ont manquées.
- N’empêche, je ne lui ai rien demandé et je n’ai pas besoin d'elle pour sustenter mon abruti d'homme, qui n’est pas fichu de me défendre…
- Mais c’est sa mère !
- Et moi, JE SUIS SON ÉPOUSE ! Maintenant c'est à moi que revient la tâche de m'occuper de lui !
- Bê, dis donc, je n'y comprends rien.
- Je ne vais pas m'occuper de son mari donc elle ne doit pas venir soigner le mien, c’est aussi simple que ça, même si c’est son bébé chéri ! Je ne veux pas qu’elle s’incruste.
- Moi, ma belle-doche, elle vient sans se faire inviter avec une bouteille, elle pose son derrière sur le canapé et boit tout son saoul jusqu’à ce que la bouteille soit vide, en me prodiguant des conseils pour tenir mon mari et mon ménage. Elle me donne même des conseils pour élever mes enfants alors que les siens, ils n’ont pas dépassé le brevet.
- Faut vraiment qu'on déménage ! On n’a pas eu de chance au tirage au sort des belles-doches c'est tout.
- Elle aurait pu vous inviter le week-end pour la manger cette choucroute, tu n’aurais pas eu à en faire une maladie.
- Mais tu n’as pas remarqué ? On déjeune chez eux tous les week-ends et quelquefois deux fois dans le week-end quand elle dit à mon mari, « Maman a fait de la tête de veau rien que pour toi »… Il craque le pauvre, et moi j'ai mauvaise conscience de lui laisser sa nourriture sur les bras.
[1] marque de boite en plastique hermétique.
[2] LISELOTTE – « Le Guide des Convenances. »