Transformations partielles d'immeubles mixtes : plus ça change...
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les taxes, c’est compliqué…
Il arrive même qu’un contribuable débatte avec le fisc, et défende une position qui débouche en apparence au même coût de taxes !
En assistant un client récemment, j’ai dû revisiter les conséquences pratiques d’une décision rendue par la Cour du Québec en mars 2024 [St-Joseph Immobilier inc. c. Agence du revenu du Québec, 2024 QCCQ 766 (CanLII)].
Dans cette affaire, Revenu Québec avait refusé des remboursements de taxes sur les intrants (RTI) relativement aux dépenses engagées par une société pour transformer l’espace commercial d’un immeuble mixte en logements résidentiels… en 2002 (!!!)
Dans cette décision, la Cour a refusé de reconnaître que les dépenses engagées étaient des améliorations (dépenses capitalisables), faute de preuve à cet effet.
La Cour devait ensuite déterminer si les dépenses ainsi engagées devaient être considérées comme effectuées dans le cadre de la « cessation de ses activités commerciales » (ce qui donnerait droit à des RTI), ou si elles étaient plutôt engagées en vue d’effectuer des fournitures exonérées de logements résidentiels (qui ne donnent pas droit à des RTI).
En prenant le soin de préciser que le « concept de cessation d’une activité commerciale n’inclut pas la transformation d’une activité », la Cour a ultimement donné raison à Revenu Québec et a refusé d’accorder les remboursements.
Et c’est là le point intéressant : même si le contribuable avait eu gain de cause sur la nature des travaux effectués (améliorations capitalisées) et du droit à des CTI-RTI, il aurait ultimement eu exactement le même montant net de taxes à débourser !
La raison ? La LTA et la LTVQ prévoient des règles sur le changement d’usage, qui s’appliquent lorsque le pourcentage d’utilisation dans le cadre d’activités commerciales varie de plus de 10%.
Recommandé par LinkedIn
La conséquence ? Au moment d’un changement d’usage, le contribuable doit s’ « autocotiser » sur la « teneur en taxes » de l’immeuble, qui comprend les taxes payées à l’achat… et les taxes payées sur les améliorations capitalisées !
Autrement dit, selon la thèse défendue par le contribuable, les deux scénarios possibles étaient les suivants :
La décision de la Cour du Québec ne fait toutefois aucunement mention de ces règles.
On se demande alors : pourquoi contester la cotisation émise par Revenu Québec jusque devant les tribunaux ?
La première hypothèse est que le contribuable(ou son comptable) ne connaissait tout simplement pas les subtilités des règles de changement d’usage qui allaient être déclenchées (improbable, mais pas impossible).
La deuxième est qu’il les connaissait très bien, et qu’il estimait être en mesure se prévaloir des règles de changement d’usage négligeable (moins de 10%), qui réputent que de tels changements n’ont pas lieu tant que les changements cumulatifs n’excèdent pas 10%. Comme les travaux faisant l’objet du litige touchaient un seul étage sur 11, l’autocotisation pouvait possiblement être retardée jusqu’à la prochaine transformation (donc potentiellement indéfiniment).
La troisième hypothèse, complémentaire aux deux premières, se trouve au niveau de l’application des délais de prescription. En effet, obtenir gain de cause plus de 20 ans après les réclamations impliquait que la période de déclaration dans laquelle le changement d’usage aurait lieu était fort probablement prescrite, ce qui aurait empêché Revenu Québec d’émettre un nouvel avis de cotisation (sous réserve que la négligence ne soit pas invoquée).
Au-delà de ces spéculations, une leçon demeure : la conversion totale ou partielle d’un immeuble commercial en immeuble résidentiel, des CTI-RTI réclamés sans paiement subséquent de TPS-TVQ devraient toujours lever un petit drapeau rouge !