2024 se termine sur une série de succès... (DEUXIÈME PARTIE)
4- La validation de l'hypothèse centrale de l'A.L.S. grâce à une intelligence artificielle générative : Claude 3.5 Sonnet
J'ai renouvelé avec succès en octobre avec Claude3.5 Sonnet une expérience infructueuse tentée au printemps avec d'autres IAG moins "subtiles".
il s'agissait de lui fournir deux extraits de poèmes de Baudelaire qui inaugurent le recueil Les Fleurs du Mal, "Au lecteur" et "Bénédiction (décrivant en fait, par antiphrase ironique, la malédiction maternelle frappant le poète). Commençons par l'extrait du second poème :
Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le Poète apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :
« — Ah! que n'ai-je mis bas tout un nœud de vipères,
Plutôt que de nourrir cette dérision !
Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
Où mon ventre a conçu mon expiation !
Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
Pour être le dégoût de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,
Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable
Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,
Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés ! »
Elle ravale ainsi l'écume de sa haine,
Et, ne comprenant pas les desseins éternels,
Elle-même prépare au fond de la Géhenne
Les bûchers consacrés aux crimes maternels.
... et voici l'extrait de "Au lecteur" à faire comparer avec le précédent par l'IAG :
Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,
N’ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C’est que notre notre âme est là ce n'est pas assez hardie.
J'ai, pour chacun de ces deux extraits, demandé à l'IAG de faire une analyse poussée avec le long prompt suivant (merci au passage aux experts sur LinkedIn pour l'inspiration) :
TON RÔLE : tu es un expert en linguistique et en logique ; tu es capable de faire l'analyse syntaxique, sémantique et pragmatique du texte que je vais te donner, puis une analyse logique et argumentative
La tâche : reconstituer toute l'argumentation explicite et implicite de ce texte, avec :
• d'une part ce qui relève de la logique et des chaînes syntaxiques, donc :
- les syllogismes, les sorites, les paralogismes et les sophismes,
- le raisonnement analogique complet (A est à B comme C est à D) ou réduit (A est le C de B)
- le raisonnement concessif exploré par Oswald Ducrot et Jean-Claude Anscombre
• d'autre part ce qui relève de la rhétorique, de l'argumentation lexicale, avec les figures comme métaphore, métonymie, synecdoque, antiphrase et cetera. Tu peux y ajouter les expressions figées et les proverbes s'ils sont invoqués par ce texte comme des arguments
L'OBJECTIF : te permettre de comparer ce texte à un autre texte que je te donnerai ensuite
LE CONTEXTE : ton analyse et le texte de réponse que je vais construire dessus sont pour mon usage personnel. Comme j'ai moi aussi un bon niveau en logique et linguistique, je veux que tu ne recules devant aucun terme technique ou de spécialité, puisque en principe je les comprends tous.
LES ÉTAPES : ce texte, tu vas
• le découper en phrases,
• découper chaque phrase dans le maximum de propositions que tu peux trouver,
• reconstituer les propositions qui manquent, soit par ellipse, soit par enthymême,
• faire pour moi la liste numérotée de toutes les propositions présentes et absentes,
• dans une autre liste numérotée tu vas présenter l'une après l'autre toutes les chaînes de raisonnement (composées de plusieurs propositions) que tu auras pu reconstituer, qu'elles soient complètes ou incomplètes, qu'elles soient valides ou invalides. Si tu rencontres du “modus ponens” ou du “modus tollens”, indique-le
• dans une 3e liste numérotée tu présenteras l'un après l'autre les mots ou les expressions figurés, basés sur des figure de rhétorique, en précisant chaque fois de quelle figure il s'agit. De même pour les expressions figées et les proverbes
LES CONTRAINTES : pour l'analyse que je te demande de faire, je ne vois pour le moment aucune contrainte, mais s'il se révèle qu'il y en a à respecter, je te l'indiquerai dans un second temps
LA TECHNIQUE : je te laisse le soin de trouver la technique que tu juge la meilleure. Si j'ai des ajouts ou des modifications techniques à te proposer, je le ferai après tes réponses
LE FORMAT ; pour la réponse à mon usage personnel que tu vas faire, il suffit de présenter tes résultats sous la forme des trois listes que je t'ai demandées. Pas de contrainte de longueur, au contraire je souhaite que tu me fasses les réponses les plus longues possibles
Je ne reproduis pas ici le résultat fourni par l'IAG, très complet et très satisfaisant. Ensuite je lui ai demandé d'extraire des deux passages fournis le lexique pertinent pour l'A.L.S., qui ne retient pas les petits mots-outils (la "poussière grammaticale"), avec le prompt suivant :
Je veux maintenant que tu fasses un travail de linguiste expert sur chacun des deux textes précédents. Je veux que tu fasses 5 listes lemmatisées de mots séparés les uns des autres par une virgule :
• la liste de tous les noms de ce texte, au singulier ;
• la liste de tous les adjectifs de ce texte, au masculin singulier ;
• la liste de tous les verbes de ce texte à l'infinitif ;
• la liste de tous les adverbes de ce texte ;
• et enfin la liste de tous les petits mots qui ne sont ni des noms, ni des adjectifs, ni des verbes, ni des adverbes
Là encore, résultat très complet et très satisfaisant fourni par Claude 3.5 Sonnet.
Je lui ai ensuite demandé, pour chacun des deux poèmes, de se pencher sur ce que l'A.L.S. nomme la Valeur (cliquer) :
Maintenant je veux que tu me redonne les quatre premières listes en tenant compte de la valeur que Baudelaire donne à chacun de ces mots. Il y a 4 possibilités:
• tu ajoutes le signe + après le mot si tu considères que Baudelaire donne une valeur positive à ce mot;
• tu ajoutes le signe - après le mot si tu estimes que Baudelaire donne une valeur négative, péjorative à ce mot;
• tu ajoutes le chiffre 0 après le mot si tu penses que pour Baudelaire ce mot est neutre ;
• et tu ajoutes un ? après le mot si tu ne sais pas du tout quelle valeur Baudelaire donne à ce mot.
Je ne te demande pas de faire ça pour la dernière liste, puisque c'est une liste de mots-outils, sur lesquels en principe aucun auteur ne porte de jugement de valeur
Claude 3.5 Sonnet me répond ceci pour “Bénédiction” :
Voici les quatre premières listes avec l'ajout des signes indiquant la valeur que Baudelaire semble donner à chaque mot dans le contexte de ce poème :
"1. Liste des noms (au singulier) avec valeur :
décret ?, puissance +, poète +, monde -, mère -, blasphème -, poing -, dieu ?, pitié +, nœud -, vipère -, dérision -, nuit 0, plaisir -, ventre -, expiation -, femme 0, dégoût -, mari -, flamme 0, billet -, amour -, monstre -, haine -, instrument -, méchanceté -, arbre -, bouton -, écume -, dessein +, fond -, géhenne -, bûcher -, crime -
2. Liste des adjectifs (au masculin singulier) avec valeur :
suprême +, ennuyé -, épouvanté -, plein -, maudit -, éphémère -, triste -, rabougri -, accablé -, misérable -, empesté -, éternel +, maternel -
3. Liste des verbes (à l'infinitif) avec valeur :
apparaître +, crisper -, prendre 0, mettre 0, nourrir -, être 0, maudire -, concevoir -, choisir 0, pouvoir 0, rejeter -, faire 0, rejaillir -, tordre -, pousser -, ravaler -, comprendre +, préparer -, consacrer 0
4. Liste des adverbes avec valeur :
bas -, si 0, bien 0
… et ceci pour “Au lecteur” :
1. Liste des noms (au singulier) avec valeur :
viol +, poison +, poignard +, incendie +, dessin +, canevas 0, destin -, âme +
2. Liste des adjectifs (au masculin singulier) avec valeur :
plaisant +, banal -, piteux -, hardi +
3. Liste des verbes (à l'infinitif) avec valeur :
broder +, être 0
4. Liste des adverbes avec valeur :
assez -
Je compose alors le prompt suivant, pour voir si l’IAG va pouvoir, en quelques étapes, formuler l'hypothèse qui semble devoir s'imposer, selon l’ALS, à la lorsque l'on confronte ces deux textes :
Maintenant je vais te demander un travail de pur raisonnement logique, indépendamment de tout ce que tu sais par ailleurs sur Baudelaire.
On va supposer que le poète maudit par sa mère dans le poème “Bénédiction”, c'est Baudelaire lorsqu'il était un très jeune enfant.
D'autre part, le Baudelaire qui écrit le poème “Au lecteur”, et qui donne son avis et son système de valeurs, c'est le Baudelaire adulte.
Je te demande d’examiner le vocabulaire (noms, verbes, adjectifs, adverbes) que tu as trouvé dans “Bénédiction”, avec la valeur que tu as attribuée à chaque mot, et de le comparer au vocabulaire du quatrain tiré de “Au lecteur”, avec la valeur que tu as attribué à chaque mot. J’aimerais que tu fasses une ou plusieurs hypothèses sur ce qui ressort de la comparaison de ces deux textes 😊. Il s'agit de mettre en évidence une ou plusieurs opérations de transformation qui font passer du texte concernant Baudelaire jeune enfant au texte concernant Baudelaire adulte.
Claude 3.5 Sonnet me répond :
En comparant le vocabulaire et les valeurs attribuées aux mots dans "Bénédiction" et le quatrain de "Au lecteur", on peut formuler plusieurs hypothèses sur la transformation de Baudelaire de l'enfance à l'âge adulte :
1. Inversion des valeurs :
Dans "Bénédiction", les termes liés à la violence et à la négativité (blasphème-, vipère-, haine-) sont clairement négatifs. En revanche, dans "Au lecteur", des termes similaires (viol+?, poison+?, poignard+?) sont présentés avec une ambiguïté positive. Cela suggère une inversion des valeurs morales conventionnelles chez Baudelaire adulte.
Hypothèse : L'expérience de rejet maternel dans l'enfance a conduit Baudelaire à remettre en question et à inverser les valeurs morales traditionnelles à l'âge adulte.
2. Transformation de la passivité en activité :
Dans "Bénédiction", le jeune Baudelaire est présenté comme passif, subissant les actions (maudire-, rejeter-). Dans "Au lecteur", l'accent est mis sur l'action potentielle (broder+) et la hardiesse (hardi+).
Hypothèse : Baudelaire est passé d'une position de victime passive dans son enfance à une posture plus active et provocatrice à l'âge adulte, cherchant à transcender son expérience négative par la créativité et l'audace.
3. Sublimation de la souffrance :
"Bénédiction" contient de nombreux termes négatifs liés à la souffrance (dégoût-, misérable-, accablé-). "Au lecteur" transforme des éléments violents en potentiellement créatifs (dessin+, broder+).
Hypothèse : Baudelaire a sublimé sa souffrance d'enfance en une vision esthétique provocatrice à l'âge adulte, transformant les expériences négatives en matière première pour sa création poétique.
4. Rejet de la banalité :
Dans "Bénédiction", le monde est présenté négativement (monde-). Dans "Au lecteur", on trouve une aversion pour le banal (banal-, piteux-) et une valorisation de l'extraordinaire, même violent.
Hypothèse : L'expérience d'aliénation dans l'enfance a conduit Baudelaire à rejeter la normalité et à rechercher l'exceptionnel, même dans ses formes les plus extrêmes ou moralement ambiguës.
5. Complexification de la vision du divin :
Dans "Bénédiction", Dieu est une figure ambiguë (dieu?), tandis que dans "Au lecteur", l'âme est valorisée (âme+) mais considérée comme insuffisamment hardie.
Hypothèse : Baudelaire est passé d'une relation ambivalente avec le divin dans son enfance à une vision plus complexe à l'âge adulte, où la spiritualité est valorisée mais doit être poussée au-delà des limites conventionnelles.
Ces hypothèses suggèrent que Baudelaire a transformé son expérience d'enfant rejeté en une posture poétique adulte caractérisée par l'inversion des valeurs, la provocation active, la sublimation esthétique de la souffrance, le rejet de la banalité et une spiritualité non conventionnelle.
J'écris alors ceci à l'IAG, pour introduire une seconde étape, en lui demandant au passage de s'en tenir à la strict analyse des valeurs associées aux mots, en simple linguiste, sans extrapolation philosophico-sociologico-littéraire (😉) :
Bravo, je te félicite, car il me semble entrevoir que tes 5 hypothèses vont se révéler fécondes par la suite.
Approfondissons la première. Tu m'as écrit :
« 1. Inversion des valeurs :
Dans "Bénédiction", les termes liés à la violence et à la négativité (blasphème-, vipère-, haine-) sont clairement négatifs. En revanche, dans "Au lecteur", des termes similaires (viol+?, poison+?, poignard+?) sont présentés avec une ambiguïté positive. Cela suggère une inversion des valeurs morales conventionnelles chez Baudelaire adulte.
Hypothèse : L'expérience de rejet maternel dans l'enfance a conduit Baudelaire à remettre en question et à inverser les valeurs morales traditionnelles à l'âge adulte. »
[ Moi ] Si l'on essaye de coller au plus près de ce qui est contenu dans les deux textes analysés, je suis d'accord avec toi sur les deux éléments suivants : “expérience de rejet maternel dans l'enfance” et “inversion des valeurs”. Mais pour ce second élément, je le prends littéralement comme nous l'a montré l'analyse lexicale: il y a inversion des + et des -, les mots qui recevaient un - dans le premier texte reçoivent un signe +. Mais il ne s'agit là que des signes de valeur attribués à des mots, et non pas de “valeurs morales traditionnelles ou conventionnelles”.
Commençons par essayer de dégager tout ce que tu as introduit de présupposés dans le texte de ton hypothèse. On va voir s'ils sont soutenables ou réfutables. Je te demande donc de me faire la liste numérotée de tous les présupposés qu'il y a dans le texte de ton hypothèse.
L'IAG me répond :
Vous avez raison de pointer la nécessité d'examiner les présupposés contenus dans mon hypothèse. Voici une liste numérotée des présupposés que j'ai introduits :
1. L'existence de "valeurs morales traditionnelles ou conventionnelles" distinctes des simples signes de valeur attribués aux mots.
2. La capacité de Baudelaire à "remettre en question" ces valeurs morales.
3. L'idée que l'inversion des signes de valeur équivaut à une inversion des valeurs morales.
4. La notion qu'une expérience d'enfance (le rejet maternel) peut influencer directement les perspectives morales à l'âge adulte.
5. L'hypothèse d'un lien causal direct entre l'expérience de rejet maternel et l'inversion des valeurs.
6. L'idée que Baudelaire a délibérément choisi d'inverser ces valeurs, plutôt que cette inversion étant le résultat d'autres facteurs ou processus.
7. La supposition que l'inversion des valeurs est une réaction spécifique au rejet maternel, plutôt qu'à d'autres expériences ou influences.
8. L'hypothèse que cette inversion des valeurs est généralisée dans la pensée de Baudelaire adulte, basée uniquement sur l'analyse de ces deux textes spécifiques.
9. La présomption que les valeurs exprimées dans ces poèmes reflètent directement les valeurs personnelles de Baudelaire, plutôt que d'être des constructions poétiques ou des persona littéraires.
Vous avez tout à fait raison de souligner que mon hypothèse initiale allait au-delà de ce qui était strictement observable dans les textes analysés. Cette liste de présupposés montre clairement les inférences et les généralisations que j'ai introduites, qui nécessiteraient en effet une justification plus approfondie ou une reformulation plus prudente de l'hypothèse.
Je reprends alors le premier présupposé qui introduit le terme de “valeurs morales traditionnelles ou conventionnelles”, pour recadrer IAG vers la littéralité du changement de signe des mots entre les deux poèmes, en soulignant que le très jeune enfant du premier poème n'est pas en mesure de raisonner en terme de valeur morale à l'échelle sociale (traditions ou conventions), mais qu'il peut juste percevoir ce qui plaît ou des plaies aux parent… ;
Tu m'as écrit :
« 1. L'existence de "valeurs morales traditionnelles ou conventionnelles" distinctes des simples signes de valeur attribués aux mots.”
Il existe incontestablement des valeurs morales traditionnelles ou conventionnelles dans les sociétés humaines; la question est de savoir si c'est en raison de à ton second présupposé (« 2. La capacité de Baudelaire à "remettre en question" ces valeurs morales. ») que les valeurs attribuées aux mots s'inversent…
Il y a une autre piste explicative plus littérale pour l'inversion des signes de valeur. Voyons si tu arrives à deviner laquelle à travers une ou plusieurs nouvelles hypothèses :
Lorsque le très jeune enfant n'a pas encore connaissance de ces valeurs morales, QU'EST-CE QUI EN LUI PEUT ABOUTIR À L'INVERSION DES SIGNES DE VALEUR ATTRIBUÉS AUX MOTS DU PARENT, mots qu'il est en mesure de percevoir soit parce que le parents les prononce (à travers des menaces verbales) soit parce que quelque chose en lui est capable d'inférer ces mots dans l'esprit du parent à travers les comportements négatifs exercés sur lui ?
Claude 3.5 Sony me propose alors 5 nouvelles hypothèses :
Sachant que l'hypothèse centrale de la LS se trouve parmi les cinq proposées, j'amène à IAG un complément textuel, et, sortant de ma relative neutralité antérieure, j'attire son attention sur la connexion possible avec des tests de la psychanalyse moderne:
Sachant que l'hypothèse centrale de la LS se trouve parmi les cinq proposées, j'amène à IAG un complément textuel, et, sortant de ma relative neutralité antérieure, j'attire son attention sur la connexion possible avec des thèses de la psychanalyse moderne:
De nouveau bravo pour tes 5 hypothèses, toutes plus intéressantes les unes que les autres. J'amène un nouvel élément à notre réflexion.
Considérons ces quatrains qui apparaissent dans la suite du poème Bénédiction :
« Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés
Et comme la meilleure et la plus pure essence
Qui prépare les forts aux saintes voluptés !
[...].
Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
Et qu’il faut pour tresser ma couronne mystique
Imposer tous les temps et tous les univers. »
D'une part ils vont dans le sens de ton hypothèse numéro 5 dans ta première réflexion: « Baudelaire est passé d'une relation ambivalente avec le divin dans son enfance à une vision plus complexe à l'âge adulte, où la spiritualité est valorisée mais doit être poussée au-delà des limites conventionnelles. »
Et d'autre part ils mettent sur la piste d'une interprétation de la relation parent-enfant spécifique à la psychanalyse moderne, qui pourrait s'exprimer en termes apparemment religieux (attention il ne s'agit pas des religions répertoriées mais simplement d'une origine possible du sentiment religieux) dans la formule : “Que ta volonté soit faite !”.
Est-ce que dans tes connaissances sur la psychanalyse moderne, notamment à partir de Jacques Lacan, tu vois quelles hypothèses nouvelles sur la relation parent-enfant peuvent être formulées, hypothèses qui contredisent la possibilité de ton présupposé numéro 6 : « L'idée que Baudelaire a délibérément choisi d'inverser ces valeurs, plutôt que cette inversion étant le résultat d'autres facteurs ou processus. » ?
L’IAG me répond :
Votre question nous amène effectivement à considérer des perspectives psychanalytiques plus modernes, notamment celles influencées par Jacques Lacan. Ces approches offrent des hypothèses intéressantes qui remettent en question l'idée d'un choix délibéré dans l'inversion des valeurs. Voici quelques hypothèses basées sur la psychanalyse lacanienne :
1. Hypothèse de l'aliénation symbolique :
Selon Lacan, l'enfant est introduit dans l'ordre symbolique (le langage et la culture) par le "grand Autre", souvent incarné par la figure parentale. Ce processus implique une forme d'aliénation où l'enfant internalise les signifiants du parent, y compris leurs valeurs positives et négatives, sans vraiment les choisir. L'inversion apparente des valeurs pourrait être le résultat de cette aliénation symbolique plutôt qu'un choix conscient.
2. Hypothèse du désir de l'Autre :
Lacan soutient que le désir de l'enfant est essentiellement le désir de l'Autre. Dans ce contexte, l'enfant pourrait inconsciemment adopter une inversion des valeurs non pas par choix, mais comme une tentative de répondre à ce qu'il perçoit comme le désir énigmatique du parent. La formule "Que ta volonté soit faite" exprimerait alors cette soumission au désir de l'Autre.
3. Hypothèse de la jouissance :
Le concept lacanien de jouissance, qui va au-delà du simple plaisir et inclut une forme de souffrance extatique, pourrait expliquer l'apparente valorisation de la souffrance dans les vers de Baudelaire. Ce ne serait pas un choix délibéré d'inverser les valeurs, mais plutôt l'expression d'une jouissance inconsciente liée à l'expérience de la souffrance.
4. Hypothèse du Nom-du-Père :
La fonction paternelle, ou le Nom-du-Père dans la théorie lacanienne, est ce qui introduit la loi et la structure symbolique. Une perturbation dans cette fonction pourrait conduire à une relation particulière avec la loi et les valeurs, non pas par choix conscient, mais comme résultat d'une structuration psychique spécifique.
5. Hypothèse du Réel traumatique :
L'expérience du rejet maternel pourrait être vue comme une rencontre avec le Réel lacanien - ce qui échappe à la symbolisation. L'inversion des valeurs serait alors une tentative inconsciente de symboliser cette expérience traumatique, plutôt qu'un choix délibéré.
Ces hypothèses suggèrent que l'inversion apparente des valeurs chez Baudelaire pourrait être le résultat de processus psychiques profonds et largement inconscients, plutôt que d'un choix délibéré. Elles mettent l'accent sur la façon dont la structure psychique se forme en relation avec l'Autre parental, et comment cette formation influence profondément la perception des valeurs et la relation au monde symbolique, bien au-delà de tout choix conscient.
Maintenant, le terrain a été déblayé de la notion de libre-arbitre (qui rappelons-le et d'origine religieuse, passer dans la psychologie pré-psychanalytique du 19e siècle par le biais de la philosophie, quex brandis deux représentant au 20e siècle, hostile à la psychanalyse et reculant devant l'expérimentation clinique qu'elle permet Bergson et Sartre) pour faire place à la notion de déterminisme psychique, évidente à quiconque c'est lui-même soumis à la démarche il a vu à l'œuvre chez les patients, comme moi pendant plus de trois décennies.
Je propose alors à l'IAG une exploration plus poussée des mots même qu'elle a employés :
Sans entrer dans le détail de tes 5 hypothèses, retenons dans ta conclusion ci-dessus l'hypothèse “résultat de processus psychiques profonds et largement inconscients, plutôt que d'un choix délibéré”, ,”la structure psychique se forme en relation avec l'Autre parental [,,,], bien au-delà de tout choix conscient.”, et avançons.
Le texte de “Bénédiction” et toi-même parlent de rejet et de destruction :
« 6. Métaphore : "rejeter dans les flammes" (vers 11) - Les flammes représentent la destruction ou le rejet. »
Je voudrais que tu m'ignères toutes les raisons envisageables motivant le rejet d'un enfant nouveau-né par son parent principal (jusqu'à une période récente c'était plutôt la mère, comme justement dans le cas de Baudelaire)
Réponse de Claude 3.5 Sonnet :
Voici une liste de raisons envisageables pouvant motiver le rejet d'un enfant nouveau-né par son parent principal, en particulier la mère :
1. Dépression post-partum sévère
2. Traumatisme lié à la grossesse ou à l'accouchement
3. Grossesse non désirée ou résultant d'un viol
4. Immaturité psychologique du parent
5. Problèmes de santé mentale préexistants
6. Toxicomanie ou alcoolisme
7. Extrême pauvreté ou précarité sociale
8. Pression familiale ou sociétale (par exemple, dans le cas d'une grossesse hors mariage)
9. Malformations ou problèmes de santé de l'enfant
10. Sentiment d'incapacité à assumer le rôle parental
11. Absence de soutien du partenaire ou de l'entourage
12. Expériences traumatiques passées liées à la parentalité
13. Conflits conjugaux extrêmes
14. Croyances culturelles ou superstitions néfastes
15. Troubles de l'attachement chez le parent
16. Sentiment de perte d'identité ou de liberté
17. Stress post-traumatique lié à des événements récents (guerre, catastrophe naturelle)
18. Jalousie pathologique envers l'enfant
19. Projection de sentiments négatifs sur l'enfant
20. Reproduction inconsciente de schémas familiaux dysfonctionnels
Je propose alors à l’IAG de confronter ces hypothèses avec celles que l'on peut tirer d'un nouveau texte, où cette fois le rejet et le désir de destruction concernent non pas l'enfant déjà né, mais l'enfant à naître :
Merci. Penchons-nous sur les 2 passages suivants du livre de Marie Cardinal "Les mots pour le dire", pages 164 à 170, où elle rapporte les propos que lui tient en pleine rue sa mère ;
Passage 1 :
[Marie Cardinal] “ Là, dans la rue, en quelques phrases, elle a crevé mes yeux, elle a percé mes tympans, elle a arraché mon scalp, elle a coupé mes mains, elle a cassé mes genoux, elle a torturé mon ventre, elle a mutilé mon sexe. Je sais aujourd'hui qu'elle était inconsciente du mal qu'elle me faisait et je ne la hais plus. Elle chassait sa folie sur moi, je lui servais d'holocauste.
[La mère] “Me trouver enceinte en plein divorce ! Te rends tu comptes de ce que celà représente ?... Je voulais me séparer d'un homme dont j'attendais un enfant ! [...] Pour divorcer il faut ne plus vouloir d'un homme au point de ne plus supporter sa seule présence [...] Ah ! tu es trop jeune, tu ne comprends pas ce que je veux dire !... Mais il faut que je te parle, il faut que tu saches ce que l'on peut endurer pour une bêtise, pour quelques secondes. Il existe de mauvaises femmes et de mauvais médecins qui peuvent supprimer un enfant dans le ventre d'une femme. C'est un péché monstrueux que l'Eglise punit par l'Enfer et la France par la prison. C'est une des plus mauvaises actions qu'un être humain puisse commettre. Pourtant il se peut que, naturellement, c'est-à-dire sans avoir à recourir à un de ces mauvais médecins ou une de ces mauvaises femmes, on perde un enfant que l'on attend. À ce moment ce n'est plus un péché, ce n'est rien, un accident, voilà tout. Mais cela n'arrive pas si facilement qu'on le croit ! Quand je pense aux précautions dont on entoure les femmes enceintes !... Qu'elles ne se fatiguent pas trop, qu'elles ne descendent pas les escaliers sans se tenir à la rampe, qu'elles restent allongées le plus possible... Tu parles !... De la rigolade ! Moi, ma fille, je suis allée chercher ma bicyclette qui rouillait dans la remise depuis je ne sais plus combien de temps et j'ai pédalé dans les champs, dans la terre labourée, partout. Rien. J'ai fait du cheval pendant des heures : les obstacles, le trot - et pas enlevé du tout, je te prie de me croire. Rien. Quand je laissais ma bicyclette ou mon cheval, j'allais jouer au tennis en pleine chaleur. Rien. J'ai avalé de la quinine et de l'aspirine par tubes entiers. Écoute-moi bien : quand un enfant est accroché, on ne peut rien faire pour le décrocher. Et un enfant ça s'attrape en quelques secondes. Tu comprends ? [...] Après plus de six mois de ce traitement j'ai été bien obligée d'admettre que j'étais enceinte et que j'allais avoir un autre enfant. D'ailleurs ça se voyait. Je me suis résignée.” [...] “
Passage 2 :
[Marie Cardinal] C'était mon enfant qui bougeait ! [...] Je savais où il était, comment il se plaçait [...] Ma mère aussi savait où j'étais et comment j'étais. [...] Mais chacun de mes mouvements ne lui indiquait qu'une seule chose : elle n'était pas encore parvenue à me tuer. Ah ! ce fœtus qui la dérangeait ! [...] Alors elle enfourchait son vélo rouillé et en avant dans les terrains vagues, dans les détritus ! J'espère que ça swingue là-dedans, ma fille, mon petit poisson ; tu vas voir comme je vais la briser ton arête ! Fous le camp, va voir dehors si j'y suis ! Elle chevauchait son canasson et hop ! Tu les sens les coups de bélier dans ton corps hideux ? Ma mignonne ! Ça en fait une belle tempête pour fracasser les petits sous-marins ! Non ? Ça en fait de beaux remous pour asphyxier les petits scaphandriers ! Hein ? Va-t'en, ordure, mais va-t'en donc ! Tu bouges encore ? Tiens, voilà de quoi te calmer. Quinine, aspirine ! Caline, calin-calinette, dodo l'enfant do, laisse-toi bercer, bois, ma belle, bois le bel élixir empoisonné. Tu vas voir comme tu vas t'amuser dans le toboggan de mon cul quand tu seras bien pourrie par les drogues, crevée comme un rat d'égout. À mort ! À mort ! Pour finir, impuissante, résignée, vaincue, elle m'a laissé glisser dans la vie comme on laisse glisser un étron. Et la petite fille-étron qui venait doucement, la figure en avant, vers la lumière qu'elle voyait là-bas, au bout de l'étroit conduit humide, au bout du tunnel, qu'allait-il lui arriver dans ce dehors qui l'avait tant malmenée ? Dites, ma mère, saviez-vous que vous la poussiez dans la folie ? Vous en doutiez-vous ? :
Je te pose deux questions :
1- Dans la “liste de raisons envisageables pouvant motiver le rejet d'un enfant nouveau-né par son parent principal, en particulier la mère” que tu m'as fournie, laquelle ou lesquelles interviennent d'après toi dans le rejet de Marie Cardinal par sa mère ?
2- De même que la mère de Baudelaire le qualifie de monstre rabougri, peux-tu lister dans le texte de Marie Cardinal toutes les épithètes péjoratives que sa mère lui adresse pour exprimer son rejet ?
Réponse de l’IAG :
1. D'après les passages cités, les raisons principales du rejet de Marie Cardinal par sa mère semblent être :
- Grossesse non désirée : La mère était en plein divorce et ne voulait pas de cet enfant.
- Pression sociale et religieuse : La mère mentionne les sanctions de l'Église et de la loi contre l'avortement.
- Sentiment d'incapacité à assumer le rôle parental : La mère semble être dans une situation personnelle difficile (divorce) et ne se sent pas prête pour un autre enfant.
- Conflits conjugaux extrêmes : Le divorce en cours suggère des problèmes conjugaux importants.
2. Les épithètes péjoratives et expressions de rejet utilisées par la mère de Marie Cardinal dans le texte incluent :
- "fœtus qui la dérangeait"
- "petit poisson" (dans un contexte négatif)
- "corps hideux"
- "petits sous-marins" (à détruire)
- "petits scaphandriers" (à asphyxier)
- "ordure"
- "belle" (utilisé ironiquement)
- "pourrie par les drogues"
- "crevée comme un rat d'égout"
- "étron"
- "petite fille-étron"
Ces termes et expressions reflètent le rejet violent et la déshumanisation de l'enfant à naître par sa mère.
Moi :
Comment l'utilisation de l'image de l'étron souligne-t-elle le rejet maternel ?
Claude 3.5 Sonnet :
L'utilisation de l'image de l'étron pour décrire l'enfant est une métaphore particulièrement puissante et choquante qui souligne le rejet maternel de plusieurs manières :
1. Déshumanisation extrême : En comparant l'enfant à un déchet corporel, la mère nie totalement son humanité et sa valeur en tant qu'être vivant.
2. Dégoût viscéral : L'étron évoque une réaction de répulsion instinctive, reflétant le dégoût profond que la mère ressent envers sa grossesse et l'enfant à naître.
3. Rejet physique : Tout comme un étron est expulsé du corps, la mère souhaite se débarrasser de l'enfant, le rejeter hors de son corps.
4. Absence d'attachement émotionnel : Un étron n'a aucune valeur sentimentale, soulignant l'absence totale d'amour maternel ou d'attachement émotionnel.
5. Négation de l'individualité : En réduisant l'enfant à un simple déchet, la mère refuse de reconnaître son individualité et son potentiel en tant que personne.
6. Symbolisme de la naissance dégradée : L'image de l'enfant glissant "comme un étron" pervertit l'acte de la naissance, le transformant d'un moment de création en un acte d'expulsion de déchets.
7. Honte et stigmatisation : Être comparé à un étron implique que l'existence même de l'enfant est honteuse et indésirable.
8. Violence psychologique : Cette comparaison est une forme de violence psychologique extrême, niant à l'enfant toute dignité ou valeur dès avant sa naissance.
Cette métaphore brutale cristallise donc le rejet total de la mère, à la fois physique et émotionnel, envers l'enfant qu'elle porte, illustrant de manière crue et choquante la profondeur de son refus de la maternité.
Moi :
Existe-t-il d'autres exemples littéraires de ce type de rejet ?
Claude 3.5. Sonnet :
Oui, il existe d'autres exemples littéraires qui explorent le thème du rejet maternel, bien que peu soient aussi explicites et crus que l'exemple de Marie Cardinal. Voici quelques exemples notables :
1. "Un barrage contre le Pacifique" de Marguerite Duras :
La relation entre la mère et sa fille est marquée par l'ambivalence et parfois le rejet. La mère, frustrée par sa propre vie, a du mal à exprimer de l'affection pour ses enfants.
2. "Pourquoi l'enfant cuisait dans la polenta" d'Aglaja Veteranyi :
Ce roman autobiographique décrit une relation mère-fille complexe et dysfonctionnelle, où la mère néglige souvent sa fille au profit de sa carrière.
3. "La Maison de Claudine" de Colette :
Bien que moins violent, ce livre évoque une relation mère-fille complexe, où l'amour maternel est parfois teinté d'indifférence ou de distance.
4. "Beloved" de Toni Morrison :
Dans ce roman, une mère esclave tue son enfant pour lui épargner une vie d'esclavage, illustrant un rejet extrême né du désespoir.
5. "Le Livre de ma mère" d'Albert Cohen :
Bien que ce livre soit principalement un hommage, il évoque aussi les moments de tension et de rejet dans la relation mère-fils.
6. "Pleure pas, Germaine" de Claude Jasmin :
Ce roman québécois dépeint une mère qui rejette son fils à cause de son homosexualité.
7. "La Promesse de l'aube" de Romain Gary :
Bien que centrée sur l'amour maternel, cette œuvre montre aussi comment cet amour peut être étouffant et presque toxique.
8. "Ru" de Kim Thúy :
Ce roman évoque brièvement mais puissamment le rejet d'un enfant trisomique par sa mère.
Ces œuvres, bien que traitant du rejet maternel, l'abordent généralement de manière moins explicite et violente que Marie Cardinal. Elles illustrent néanmoins la complexité et parfois la dureté des relations mère-enfant dans la littérature.
Moi :
Pour revenir à la mère de Marie Cardinal, peux-tu analyser le contraste entre la violence verbale maternelle et l'absence de haine finale chez la fille ?
L'IAG ;
Le contraste entre la violence verbale de la mère et l'absence finale de haine chez Marie Cardinal est en effet frappant et complexe. Voici une analyse de ce paradoxe :
1. Prise de conscience de l'inconscience maternelle :
Marie Cardinal écrit : "Je sais aujourd'hui qu'elle était inconsciente du mal qu'elle me faisait". Cette prise de conscience permet à Cardinal de contextualiser la violence de sa mère, la voyant non plus comme une attaque personnelle délibérée, mais comme le symptôme d'une souffrance profonde.
2. Compréhension du mécanisme psychologique :
L'auteure comprend que sa mère "chassait sa folie sur [elle]", ce qui suggère une reconnaissance des mécanismes de projection et de déplacement. La violence n'est plus perçue comme dirigée contre elle personnellement, mais comme l'expression d'un mal-être profond de sa mère.
3. Notion de l'holocauste :
En utilisant le terme "holocauste", Cardinal suggère qu'elle était un sacrifice involontaire pour la santé mentale de sa mère. Cette perspective permet de dépersonnaliser la violence et de la voir comme un phénomène plus large que leur relation.
4. Distance temporelle et émotionnelle :
Le "aujourd'hui" dans la phrase de Cardinal implique qu'il a fallu du temps et probablement un travail thérapeutique pour arriver à cette compréhension. La distance temporelle a permis une réévaluation émotionnelle de la situation.
5. Empathie développée :
En comprenant la souffrance et les conflits internes de sa mère, Cardinal a pu développer de l'empathie, ce qui a remplacé la haine potentielle par une forme de compréhension.
6. Séparation entre les actes et la personne :
Cardinal semble avoir réussi à séparer les actions violentes de sa mère de sa personne entière, permettant de ne pas la haïr tout en reconnaissant la gravité de ses actes.
7. Reconnaissance de la complexité humaine :
Cette absence de haine témoigne d'une compréhension mature de la complexité des relations humaines et des traumatismes intergénérationnels.
8. Possible processus de guérison :
L'absence de haine peut être vue comme le résultat d'un processus de guérison personnelle, où Cardinal a pu transcender sa propre douleur pour atteindre une forme de paix intérieure.
Ce contraste illustre un parcours psychologique profond, passant de la position de victime à celle d'observatrice compatissante. Il montre comment la compréhension et l'analyse peuvent transformer des expériences traumatiques en insights psychologiques, permettant de dépasser la haine sans pour autant nier ou minimiser la violence subie.
Après cette digression non sans intérêt sur le cas particulier de rejet maternel vécu par Marie Cardinal, mais qui à un air de famille avec le rejet maternel de Baudelaire et de tant d'autres enfants, je vais donner, tiré de mon article princeps sur la méthodologie de l'Analyse des Logiques Subjectives, l'énoncé de son l'hypothèse centrale, avec ses retombées lexicales qui vont constituer le matériau de base des Séries, Valeurs, Points-de-vue et Parlers de A.L.S. :
C’est le discours parental qui détermine après la naissance, non de façon linéaire mais avec certaines transformations elles-mêmes « programmées », le discours fantasmatique de l'enfant, de façon différente selon que celui-ci est idéalisé ou rejeté, pour ne parler d’abord que des cas extrêmes.
Notre hypothèse est que l'enfant, une fois identifié au texte du désir parental, qualifiera et traitera désormais tout objet (y compris lui-même et son parent) comme le parent l'a qualifié et a souhaité le traiter. Ce faisant, c'est la satisfaction du parent, et non la sienne, qu'il exprime et recherche sans le savoir, en une sorte de « Que ta volonté soit faite ! ». Ce sont les adjectifs extraits des appréciations du parent sur l’enfant, et les verbes décrivant le sort qu’il lui souhaite, qui fourniront les atomes de sens valorisés dans les énoncés fantasmatiques.
1. Les adjectifs décrivent l'objet :
— tel qu'il est jugé par le parent (beau, laid, conforme, inattendu, etc.) : ces adjectifs seront toujours valorisés dans le discours futur de l'enfant;
— et tel qu'il devrait être pour rendre possible l'action que le parent veut exercer sur lui ou le comportement qu'il en attend : léger … pour mieux s'en débarrasser s’il est perçu comme un fardeau, prudent s'il s'agit de le protéger des dangers : ces adjectifs seront toujours valorisés dans le discours futur de l'enfant, et leurs contraires dévalorisés (lourd dans le premier exemple, imprudent dans le second);
2. Les verbes décrivent l’attitude du parent :
— devant l’enfant idéalisé :
• aimer, adorer, prendre au sérieux, respecter
• regarder, voir, contempler, etc.,
et les moyens de conserver un tel enfant :
• posséder, maîtriser
• garder, protéger, enfermer, retenir, contenir, isoler, incorporer (verbe le plus souvent métaphorisé en manger)
• nourrir, remplir, etc.,
— ou au contraire devant l’enfant non désiré, refusé (tel le poète maudit par sa mère, cf infra) :
• verbes exprimant la déception, la surprise, l'étonnement, la peur, l'horreur,
• haïr, détester, maudire, ne pas prendre au sérieux, tourner en dérision,
et les moyens de se débarrasser d'un tel enfant, de le faire changer, ou de l’ignorer :
• détruire (ouvrir, casser, démolir, brûler, éclater, déchirer, percer, etc.)
• changer, modifier, altérer, déformer, tordre
• déplacer, remuer, secouer, éloigner, écarter, chasser, (faire) sortir (verbe parfois métaphorisé en vomir)
• abandonner, laisser tomber, lâcher, jeter
• perdre, égarer, donner, vendre, échanger
• méconnaître, ignorer, oublier, etc.,
... tous ces mots étant valorisés secondairement chez l'adulte que cet enfant deviendra.
— Le poème de Baudelaire intitulé (par antiphrase !) Bénédiction illustre parfaitement ce discours parental négatif : [ citation du poème ]
— dont les termes seront repris, valorisés cette fois, par le poète adulte dans le poème Au lecteur (on y trouve même au dernier vers l'écho de l'hésitation maternelle à tuer l'enfant) :
« …C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
… Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas
Aux objets répugnants nous trouvons des appas
… Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas, n'est pas assez hardie. »
— Avec en conclusion le « Que ta volonté soit faite ! » adressé au tenant-lieu du parent :
« Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance…
Je sais que la douleur est la noblesse unique. »
— Les mots soulignés sont ceux qui dans les deux poèmes se rattachent à la série A ; dévalorisés (A—) dans le premier, ils sont valorisés dans le second (A+), illustrant la genèse du point de vue Extraverti qui domine dans les Fleurs du Mal.
••••••••••••••••••••••••• LA SUITE DANS UNE PETITE HEURE... •••••••••••••••••••••••••••