Covid-19, confinement, crise économique … quels impacts pour la filière agro-alimentaire ? Article 2/3 - hypothèses et réponses #covid #food #retail
Chers tous et chères toutes,
L’article précédent - voir lien dans le 1er commentaire - avait listé quelques quasi-certitudes sur « l’Agro-alimentaire et le Monde d’Après » - le Monde d’après Covid, d’après confinement et durablement inscrit dans la crise économique -. Il contient des pistes actionnables rapidement pour optimiser à court terme le CA, les coûts et le cash, que ce soit pour un distributeur alimentaire, un producteur travaillant essentiellement avec la Grande Distribution ou un producteur fortement exposé à la Restauration hors Foyer. Aussi, différentes tendances pré-existantes au choc Covid avaient été analysées – la digitalisation des comportements d’achat, la fragmentation et l’archipelisation de la consommation, les pressions sur le pouvoir d’achat … –, leur accélération soulignée et leurs implications tirées.
Dans cette seconde contribution, je vais compléter le propos en listant les tendances du « Monde d’Avant » qui risquent elles d’être bousculées et réorientées et en tirant quelques implications en termes d’actions à enclencher par anticipation. On quitte ici la thèse finalement classique qui est que « le Monde d’Après c’est juste le Monde d’Avant mais en accéléré » ; on entre dans une approche davantage prospective … et donc faillible. Aussi je compte sur vos commentaires « critiques » mais aussi sur votre bienveillance !
Etes vous prêt(e)s à ce deuxième plongeon dans le « Monde d’Après » ? Alors sortons nos boules de cristal et allons-y !
L’Agro-alimentaire « post Covid » : la course vers le qualitatif, la fragmentation des achats, et le « casual dine out » remises en cause ? Du relativement probable au moins certain … et comment agir ?
Ces dernières années, les préoccupations qualitatives des consommateurs avaient progressé, à la fois dans les déclaratifs et dans les actes d’achat. Ainsi RelevanC, la société de données du groupe Casino qui analyse les achats de 1,1 million de clients très réguliers des enseignes Géant, Casino, Franprix et Monoprix, avait relevé au 1er trimestre 2020 une hausse du taux de pénétration du Bio, du Vrac, et des produits Ecolabel et une réduction du nombre d’acheteurs de viande et de protéines animales – voir illustration copyright RelevanC. Ces tendances étaient encore limitées, mais clairement à la hausse.
En parallèle, Kantar relevait une hausse du nombre de points de vente fréquentés, qui est passé de 7,1 en 2008 à 7,8 en 2018 (pour les achats de produits de grande consommation, tous circuits confondus), avec la montée en puissance des Grand Frais, Action, Lidl, Biocoop, Day by Day… Ruche qui dit oui etc, et avec en corollaire une surperformance dans les rayons des GMS des produits de PME et d’ETI (entreprises de taille intermédiaire)… Enfin, la part des repas pris hors domicile ou commandés sur les plateformes de livraison avait largement augmenté, principalement au profil des enseignes de QSR – « quick service restaurants ».
Ces tendances risquent fortement d’être remises en cause, de par le focus « pouvoir d’achat » d‘une grande majorité des « iles » de consommation de l’archipel français - voir article cité en source dans le 1er commentaire pour davantage sur l'archipelisation - et de par la volonté d’aller moins souvent en magasin et au restaurant. En effet, le magasin et le restaurant deviennent des lieux durablement moins pratiques – on doit y faire une file d’attente distancée et souvent longue – et moins sain – on y croise des inconnus voire on manipule des produits touchés par des inconnus… autant donc concentrer ses achats et ses occasions de sortie pour en faire « moins souvent mais plus ». D’où risquent de découler les implications suivantes, du plus probable au moins probable :
- L’écrémage des concepts denses de restauration commerciale, du moins ceux qui ne peuvent rapidement basculer une majorité de leurs repas en Vente à Emporter ou qui ont un coût de la salle davantage « fixe » que variable (selon le poids des loyers, le besoin incompressible d’un certain nombre de serveurs en salle, non remplaçables par des menus électroniques ou autres solutions de prise de commande et de service) ; a contrario, la part de marché déjà très forte de Mc Donald’s en France va très vraisemblablement augmenter, de par l’affaiblissement d’un certain nombre de concurrents directs ou indirects ;
- La réorientation des concepts vrac, Bio spécialisés, circuits courts ; en particulier comment un magasin ou un rayon vrac peut-il amener non seulement du « sens » mais aussi une garantie d’hygiène et de prix bas ? Le « vrac » gagnant en période de crise, « magasin de destination » et non d’appoint, reste à inventer ;
- La remise en cause de la croissance des rayons « Trad » au détriment des rayons libre service, la remise en cause de la croissance des produits bruts au détriment des produits emballés, voire la mise en perspective du « Plasticbashing » : l’emballage va redevenir en grande partie protecteur et d’avenir, d’autant plus si il est mixte – avec par exemple une barquette en carton ou bois, filmée avec du plastique pour assurer la visibilité du produit. En même temps, le télétravail va libérer pour certains du temps pour du fait maison et la préparation de produits bruts… une partie de l’archipel va continuer donc en période de post-confinement à cuisiner davantage avec des produits bruts, qu’elle aura choisis dans des magasins ou sur des sites d’Ecommerce de confiance - Grand Frais va pouvoir accélérer le déploiement de son offre digitale, en particulier à travers « mon-marche.fr » - tandis qu’une autre gardera davantage de freins vis-à-vis des produits bruts, et pourrait bien préférer les rayons de Frais Emballé, les mots « Frais » et « Emballé », voire « Frais » mais « Emballé » étant deux mots qui sont en parfaite résonance avec la période actuelle ;
- Enfin l’écrémage des produits d’ETI voire de PME … C’est un point essentiel et un risque majeur pour de nombreux industriels … Certes les MDD vont se développer, cela constitue en soi une bonne nouvelle pour de nombreuses ETI et PME, mais la pression simultanée dans les appels d’offre sur les prix et sur la qualité nutritionnelle va en moyenne augmenter, avec un risque d’effets de ciseau et de baisse de marges… Le risque direct de CA lui porte sur les référencements des marques des PME / ETI et sur un poids des marques de PME/ETI qui pourrait baisser. Qu’est-ce qui pourrait expliquer une telle tendance, qui serait en tant que tel un véritable retournement de tendances ? :
- Déjà, depuis 2018, le différentiel de croissance entre les MN de grands groupes et celles des ETI/PME s’était largement réduit, avec par exemple des grands groupes qui en 2019 progressaient plus vite que les ETI (source : Nielsen). Les facteurs qui ont expliqué ce début d’ « inversion » de tendance – volonté des distributeurs de pousser leurs MDD au détriment de marques « secondaires », limitation des volumes promotionnels de par la loi Egalim, alors que de nombreuses ETI utilisaient fortement le levier promotion, préférence des distributeurs voire des consommateurs pour des marques micro locales « 30 kilomètres autour du magasin » de type TPE (très petite entreprise) et non de type PME/ETI – vont perdurer voire se renforcer …
- Mais surtout, une forte rationalisation des assortiments en magasin est devant nous et on peut envisager que « cette fois » elle soit non seulement nécessaire mais réussie. Des tentatives de réduire les assortiments pour baisser les coûts magasin ont déjà été menées par le passé, avec par exemple les concepts « les Halles d’Auchan » ou encore « Géant Discount » mais elles semblaient se heurter inexorablement à la baisse de choix perçu et donc à la baisse de l’attractivité commerciale du point de vente … Mais cela c’était « avant », avant que Tesco, à travers son programme « Reset » et la baisse de 30% de son nombre de références, et que Carrefour, avec son programme en cours de 10%+ de baisse de l'assortiment, ne démontrent que l’on peut concilier baisse du nombre de références et maintien voire gain en perception de choix ; avant la mise au point donc de méthodes qui permettent de retirer les références inutiles et en parallèle de rajouter les bonnes références, celles qui sont pertinentes pour l’ « archipel » local ; avant que les approches de Big data ne viennent compléter le « bon sens commerçant » pour estimer mieux l’unicité de chaque référence et donc son utilité, avant que les ventes en Drive ne permettent de tester les changements d’assortiment avec rapidité et fiabilité ; avant enfin que, face aux baisses de prix nécessaires pour soutenir le pouvoir d’achat et au besoin d’élargir les allées pour respecter la distanciation sociale, quasi tous les les distributeurs considèrent fortement une rationalisation des gammes en cette sortie de confinement. Aussi, peut-être que des concepts d’hypermarché compact à la Kaufland, avec de multiples facings en PGC et des MDD surlinéarisées combinés avec des rayons Trad / Frais Emballé et Fruits & légumes attractifs, vont se développer en France ? – voir encadré plus bas sur Kaufland
- Et comme en « moyenne » les produits des PME / ETI sont moins incontournables (moins d’unicité, moins de VMH, moins de marge au mètre linéaire …), ou du moins moins « vendeurs » pour 100% des iles de l’archipel de consommation que de nombreux produits des grandes marques « ombrelle », … les PME / ETI pourraient faire les frais de ces politiques de rationalisation davantage que les grands groupes, du moins en « moyenne ».
Alors que faire face à ces inflexions plus ou moins probables de tendance, inflexions qui si elles se réalisent auront un impact profond pour les filières agro-alimentaires ?
Les pistes de réponses sont différentes pour différents types d’acteurs et impliquent pour les restaurateurs et les distributeurs (ou magasins) les plus affaiblis à la fois une revue radicale et une simplification du modèle d’activité. Si on concentre ici notre propos sur les industriels de la grande consommation et si l’on croît à ou si l'on constate par signaux faibles l’avènement des dites tendances, il s’agit, au-delà des plans d’action sur la structure de coût et sur la politique commerciale évoqués dans le premier article, de revoir en profondeur le modèle d’activité :
- en démarrant par le portefeuille de marques et d’actions commerciales qui doit être refondé face à des consommateurs aux attentes fragmentées et face à des enseignes aptes à rationaliser l’assortiment et à le localiser – l’article de 2019 dont la référence est en 1er commentaire détaillait quelques actions en ce sens – ;
- en réussissant la « gageure » de retravailler son PRI, ses packagings et ses recettes pour davantage de soutenabilité et moins de coûts … la collaboration avec les producteurs de packaging et les fabricants d’arômes et d’ingrédients devenant essentiel ;
- en intensifiant les approches de marketing digital pour cibler les « archipels » à travers des achats d’espace de retail and digital media à ROI maîtrisé et en intégrant les caractéristiques spécifiques du « drive » dans le category management ;
- enfin, en réorientant sa recherche de débouchés et de croissance hors de la GMS et ce pour continuer à « étendre la boîte » / son marché accessible : certes, la restauration va mettre du temps à « revenir » à ses niveaux précédents mais ne peut-on pas surfer sur les acteurs les plus avancés en vente à emporter, tel un Ferrero qui lance chez Mac Donald’s le McCrunchy Bread au Nutella ? Et si l’on est dans les catégories de produit concernés, comment peut-on capitaliser sur la croissance de Grand Frais – et de Fresh, sa « petite sœur » - et des quelques distributeurs de la Bio gagnants de demain, avec une approche de produits, de pricing et de category management dédiés et non plus traitée en « marginal » ? Et enfin, dans quels pays accessibles dûment sélectionnés peut-on prendre des positions fortes et ainsi « dérisquer » son activité – idéalement en capitalisant sur la croissance des classes moyennes dans certaines géographies et en jouant les contre-cycles économiques ?
Quelle « conclusion » à ce stade ?
Le « Monde d’après » ne serait donc uniquement comme le « Monde d’avant » mais en accéléré … Il y aura donc de fortes inflexions de tendances, j’ai tenté d’en lister quelques unes ici … Il y aura aussi peut-être des « big bangs », des éléments qui vont complétement transformer la donne. Je tenterai de vous en proposer quelques-uns dans la 3ième et dernière contribution, qui suivra dans quelques jours
D’ici là, à vos commentaires, donc ! et belle journée de déconfinement vert ET orange !
#covid #food #retail #agro
📚Auteur & romancier / rêveur du futur / Cybersécurité & Maitrise des risques
4 ansDans l'agroalimentaire comme dans tous les secteurs, il est temps de construire la résilience de l'entreprise. https://www.amazon.fr/dp/B088WRPH5J
Global Insights and Commercial Analytics Expert - China through the pandemic Expert - Healthcare & Pharma industry | Author & Researcher | Lecturer and Teacher
4 ansMerci Fred ! Un nouveau monde se dessine pour nos enfants. A tous de le rendre meilleur pour tous et pour notre planète.
Merci Frédéric pour nourrir les réflexions sur les impacts probables post Covid-19 sur la grande consommation en France. Les acteurs de la distribution seront confrontés à un double paradoxe : - D'une part la crise économique attendue va peser sur le pouvoir d'achat des ménages qui seront attirés par les concept EDLP, Discount et d'autre part les consommateurs orientent leurs choix sur des produits de meilleurs qualités, du Bio, du Frais, etc... et fréquentent de plus en plus les réseaux spécialisés émergents. - D'une part la fragmentation des besoins consommateurs que tu as développé va nécessiter une offre produit de plus en plus large et profondes et d'autre part les distributeurs devant rester compétitif doivent rationaliser pour réduire les coûts de distribution. Alors que le développement du E Commerce à ébranlé nos certitudes sur le commerce physique non alimentaire, ce double paradoxe remet en cause définitivement la segmentation des circuits de distribution alimentaire telle que nous la connaissons depuis 50 ans. De belles opportunités en perspective!
Directeur Marketing Agroalimentaire - PGC passionnée ✔️Stratégie✔️RSE✔️Innovation✔️Digital✔️Transformation ✔️Transition « Le courage d’être authentique, la ténacité pour réussir »
4 ansMerci Frédéric Milgrom pour cet article très riche et pour les perspectives partagées. Les grandes tendances (végétal/mieux manger, besoin d’équilibre alimentaire, respect de l’environnement) et la situation actuelle (télétravail, développement du frais-emballé, risque de baisse du pouvoir d’achat) vont accélérer l’opportunité de valorisation des produits bruts. La chaîne de valeur du végétal en particulier va être de plus en plus remise en question avec des consommateurs qui s’adressent directement aux producteurs. Le besoin de solutions 4° gamme pour faciliter leur consommation est une opportunité de plus en plus évidente. Les foyers n’auront pas envie sur du long terme de consacrer l’ensemble du temps gagné en transport à de la préparation des repas. Les solutions sont encore très minimes dans le rayon et à des tarifs élevés. J’espère que nos rayons vont s’inspirer des rayons japonais dont la moitié de l’offre est emballée pour des raisons sanitaires et valorisée surtout, avec des herbes, des conseils de recettes, du service. Bien sûr se pose la question du plastique ! Nous devons trouver des solutions packaging qui ne soient pas néfastes à l’environnement, les opportunités sont vastes sur ce terrain. Ce monde de l’après va surtout apporter des solutions de RHF à domicile, comme tu l’illustres très bien dans ton article, entre le besoin de solutions toutes-prêtes et la réalité de la consommation au foyer, jusqu’à quand ?
Alliance Partner Manager at SAP
4 ansBravo pour cet article brillant, très documenté. Hâte de lire la suite!