COVID-19, pénuries, conflit russo-ukrainien : quid d’un effet de mode autour des outils digitaux de la Supply Chain ?
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COVID-19, pénuries, conflit russo-ukrainien : quid d’un effet de mode autour des outils digitaux de la Supply Chain ?

Les questions de « légitimité» dans les entreprises sont plus prégnantes que l’on pourrait le croire ! Pourquoi une entreprise adopte-t-elle une nouvelle stratégie, une nouvelle pratique ou encore un nouvel outil ? Est-ce toujours à des fins uniques de performance de l’organisation ? Ou bien d’autres raisons pourraient-elles les animer, animer ses dirigeants ?...

Depuis les années 1990, des recherches en sciences de gestion ont mis en évidence que la quête d’une légitimité, notamment lorsque les temps sont incertains, peut pousser les managers à adopter une nouveauté qui leur semble être à la mode. Cet effet de mode, s’il est suivi, a l’avantage de « rassurer » le preneur de décision : si l’adoption se révèle être un succès alors la performance est assurée et le dirigeant est conforté dans sa position ; au contraire, si l’adoption est un échec ou ne conduit pas l’organisation à mieux se porter dans un univers incertain, alors il le dirigeant pourra se dédouaner en indiquant qu’il a fait un choix similaire à celui d’une autre très grande entreprise réputée.

Crise pandémique, pénuries d’approvisionnement à l’international, hausse des coûts des matières premières et de l’énergie, inflation, conflit russo-ukrainien, accélération du bouleversement climatique… Quelles que soient leur taille et leur réputation, les entreprises naviguent aujourd’hui en eaux troubles. Autant de tentation pour les dirigeants de suivre les modes, et ce, dans une quête de performance (et de légitimité…) ?

C’est une question que je me suis posée dans le cadre de mes recherches en Supply Chain Management (ou management de la chaîne logistique) en partenariat avec Jamal El Baz .

Le Supply Chain Management est clé dans la bonne marche de l’économie et de la consommation à l’échelle mondiale, comme l’a révélé au grand public la crise de la COVID-19 et ses difficultés d’approvisionnement en pâtes, farines, œufs et autres papiers toilettes… Pour lutter contre les incertitudes, les entreprises ont cherché à obtenir plus de visibilité sur la demande, l’approvisionnement et la logistique. Plus précisément, elles ont souhaité mieux appréhender les besoins des consommateurs, ceux-ci fluctuant selon les confinements et couvre-feux. Elles ont également voulu mieux connaitre l’état de la production de la part de leurs fournisseurs (et des fournisseurs de leurs fournisseurs) répartis tout autour de la planète et tenus parfois à des contraintes locales liées aux vagues de contamination. Enfin, la disponibilité des moyens de transport s’est révélée problématique tout au long de cette période avec une explosion des coûts, notamment dans le maritime, secteur dont dépend l’immense majorité des échanges internationaux de marchandises. Aujourd’hui encore, les difficultés d’approvisionnement à l’international de matières toujours plus onéreuses couplées à l’inflation pour les ménages mettent un poids important sur les épaules des dirigeants de la Supply Chain : il faut limiter les coûts opérationnels et de logistique afin que ceux-ci ne soient pas répercutés sur les prix aux consommateurs.

En bref, les dirigeants en charge de la gestion des Supply Chains sont sous tension, en quête de visibilité pour leurs Supply Chains… et peut-être en quête de légitimité pour eux-mêmes et leurs entreprises.

Une hypothèse "crédible", testée dans mes recherches, est que cet environnement hautement incertain pousse à une vague de digitalisation, d’adoption d’outils digitaux supplémentaires, dans les Supply Chains. En effet, le marché du numérique regorge de solutions, toutes plus attractives les unes que les autres. Applications basées sur l’intelligence artificielle pour mieux prévoir la demande, progiciels de gestion des entrepôts et des transports pour piloter les flux au plus près, technologie blockchain pour partager des informations ultra confidentielles… Cette prolifération a tout d’une vague. Cette vague est-elle alors renforcée ?

J’ai collecté des données auprès de 204 dirigeants spécialisés en Supply Chain Management travaillant dans des entreprises basées en Europe. Tout d’abord, et de manière contre-intuitive, les résultats montrent que les incertitudes d’approvisionnement en lien avec les crises actuelles n'ont absolument pas conduit à une vague de digitalisation de la Supply Chain ! Ainsi, alors que les cabinets de consulting (déjà connus pour avoir été très sollicités par l’Elysée lors de la gestion de la crise pandémique) multiplient les rapports, articles et autres livres blancs sur l’accélération de la digitalisation dans la Supply Chain, il apparaît que la tendance ne se confirme pas dans les entreprises. Alors, est-ce que la morosité financière permettrait aux entreprises de se prémunir des effets de mode et de la quête de légitimité ? Quel intérêt ont les cabinets de consulting à pousser cette tendance ? Il convient à tout un chacun de s’interroger.

Autre résultat, ma recherche a permis de mettre en évidence que les entreprises possédant une forte légitimité organisationnelle (réputation, statut) sont celles qui ont déjà le meilleur niveau de digitalisation mais aussi de performance de leur Supply Chain. Pourtant, les résultats montrent aussi que ce sont les entreprises les plus légitimes qui connaissent actuellement les plus grandes incertitudes dans la gestion de leurs Supply Chains. En effet, ce sont certainement les plus grandes entreprises internationales, très connues sur les marchés, qui, du fait de leur dispersion sur le globe et de leurs stratégies d’approvisionnement international, sont les plus fortement touchées par les différentes incertitudes. Alors, l’augmentation de l’incertitude n’a pas conduit à un renforcement de la digitalisation pour les plus grandes entreprises, les plus légitimes dans leurs secteurs : celles-ci étaient déjà bien équipées en outils digitaux ! Il convient alors de s’interroger sur les limites de ces outils puisque les incertitudes ne semblent pas contenues et que la visibilité n’est pas encore suffisante pour éviter les perturbations subies, en aval, par les consommateurs. Enfin, pour les plus petites entreprises, celles qui sont les plus en quête de performance mais aussi de légitimité, les résultats montrent que leurs ressources limitées en temps de crise ne leur permettent pas de participer à la vague de digitalisation.

Alors, du côté des consommateurs, faut-il compter sur la digitalisation de la gestion de la Supply Chain pour lutter efficacement contre les effets des pénuries et des hausses des coûts des matières premières et de l’énergie dans une économie mondialisée ? Il est à craindre que non et que la solution se trouve ailleurs, peut-être du côté des circuits courts ? 

Antoine Harmand

Responsable Supply Chain chez Groupe Routhiau

2 ans

Cet article est très intéressant et me conforte dans mon opinion : les outils digitaux ne restent que des outils. Ils peuvent aider, faire gagner du temps ou faciliter. Mais pour affronter tous ces changements, adapter ou inventer des nouveaux flux, des nouveaux processus, il faut surtout des personnes bien formées et des équipes soudées. C'est encore une fois l'humain qui est au coeur de l'organisation et qui permettra de passer ces transformations.

Hélène Larose

Supply Chain Management Global E2E & Opérations industrielles - Achats - Supplier performance -Logistique ( Pilotage Opérationnel - Plan de progrès - Projets - Digital Supply) Mobile Management Transition & Conseils 🌍

2 ans

Salomée le contexte géopolitique ne fait que amplifier l'onde de perturbations, la solution la plus simple stopper le conflit

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