Crédit aux TPE / PME : Demain, le partenaire bancaire ne sera plus le partenaire exclusif
Interview publié dans le n° 809 de Revue Banque - Juin 2017
Médiateur national du crédit aux entreprises depuis janvier 2015 et président de l’Observatoire du financement des entreprises, Fabrice Pesin est bien placé pour observer l’évolution des relations entre banques et TPE-PME. Il apporte sa perception du paysage actuel du financement des PME : une offre de crédit abondante, des conditions d’octroi qui s’adaptent aux contraintes prudentielles, des modes de financement alternatifs qui émergent, et une attention à porter au financement de l’immatériel.
La Médiation du crédit aux entreprises a été lancée en 2008, face au risque d’un rationnement du crédit. Comment se porte aujourd’hui le financement des TPE et PME en France ?
En 2008, il y a eu une crise financière très aiguë, avec une forte crainte de « credit crunch ». La Médiation du crédit a été fortement mobilisée au service de très nombreuses entreprises. Beaucoup de choses ont changé en huit ans et nous sommes aujourd’hui dans une situation très différente. Les chiffres de la distribution du crédit le montrent, avec des taux de croissances positifs, un peu supérieurs au taux de croissance de l’économie. En 2016, le taux de croissance du crédit aux PME a été de 2,7 % sur un an, selon la Banque de France. Fin 2016, le taux d’accès au crédit des PME était de 95 % pour les crédits d’investissement, et de 85 % pour les crédits de trésorerie, ce qui est un chiffre historiquement élevé.
Nous ne sommes plus en crise financière et l’économie connaît même une petite embellie conjoncturelle. L’offre de crédit des banques est relativement abondante grâce au soutien de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Et les entreprises sont dans une meilleure situation financière. Leur taux de marge s’est redressé, notamment grâce à l’effet du Pacte de responsabilité et du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), et ce taux atteint quasiment son niveau d’avant crise.
Si l’accès au financement bancaire est globalement satisfaisant, il reste des difficultés qui sont différentes de celles d’il y a huit ans. À la différence des PME pour lesquelles il y a eu une nette amélioration, l’accès au crédit reste sensiblement moins facile pour les toutes petites entreprises de moins de 10 salariés, cela se voit clairement dans les statistiques de la Banque de France. Au premier trimestre 2017, le taux d’accès aux crédits d’équipement est 82 % pour les TPE, soit 12 points de moins que pour les PME (94 %). Et l’écart est encore plus marqué s’agissant des crédits de trésorerie, avec des taux d’accès de 82 % pour les PME et de 66 % pour les TPE.
Pourquoi cet accès au financement bancaire est-il plus difficile pour les TPE ?
Il y a des éléments structurants, qui apparaissaient déjà en 2008. Les TPE sont dans une situation financière plus fragile que les PME, toute chose égale par ailleurs. Un tiers des TPE a des fonds propres nuls, voire négatifs. De plus, un dirigeant de TPE est souvent seul et n’a pas de directeur financier, et il a parfois une culture économique et financière insuffisamment développée. Certains dirigeants de TPE que l’on rencontre dans le cadre de la Médiation du crédit n’ont pas mis en place d’outils de gestion financière et il arrive que nous leur annoncions que leur entreprise est en cessation de paiements sans qu’ils s’en soient rendu compte.
Il y a aussi des éléments plus conjoncturels qui expliquent les difficultés actuelles de certaines TPE. Plusieurs secteurs, qui comptent une forte densité de TPE, sont en difficulté aujourd’hui, comme les travaux publics (hormis dans la région parisienne qui commence à bénéficier du chantier du Grand Paris), les commerces de détail au cœur des villes de taille moyenne en voie de dévitalisation, pris en tenaille entre les galeries commerciales et le développement du e-commerce, ou le secteur des cafés, hôtels, restaurants (CHR), qui fait face aux défis de nouveaux acteurs numériques.
Enfin, il y a une autre différence entre les années 2008-2009 et aujourd’hui, même si sur ce sujet les deux périodes sont liées : les banques sont aujourd’hui soumises à de nouvelles règles prudentielles, Bâle 3 notamment, qui ont un impact sur la distribution du crédit. Cela ne se voit pas encore dans les volumes de crédit distribués, mais les conditions d’octroi évoluent.
Comment ont évolué les conditions d’octroi du crédit bancaire aux TPE et PME ?
Les évolutions réglementaires poussent les banques à optimiser leur consommation de fonds propres en privilégiant des lignes de crédit garanties par des sûretés personnelles ou réelles ou mobilisant des créances commerciales. Il y a ainsi une très forte progression de l’affacturage, moins consommateur en fonds propres, en substitution d’un découvert autorisé.
Selon les dirigeants de PME, les banques demandent davantage de garanties ou de cautions personnelles. Le baromètre réalisé par la CPME et KPMG montre que 70 % des dirigeants de PME ont connu un durcissement des conditions de financement par leurs banques.
Il y a par ailleurs une tendance à davantage de cofinancement pour des dossiers de plus en plus modestes. Aujourd’hui, pour un dossier de 500 000 euros par exemple, il peut y avoir trois établissements qui se partagent le risque, et demandent parfois une contre garantie, donnée par Bpifrance ou une société de caution mutuelle. Des mini-pools bancaires informels se mettent en place car la politique de gestion du risque évolue. Parfois une entreprise peut obtenir partiellement satisfaction à sa demande de crédit, et être orientée vers une autre banque en complément.
L’octroi de crédit dépend cependant beaucoup du type d’actifs à financer. Aujourd’hui, très peu de dossiers sont refusés par les banques s’il s’agit de financer un actif mobilier ou matériel : un local industriel ou commercial, une machine… Pour ces investissements il n’y a pas de problème d’accès au crédit car l’octroi de crédit est sécurisé par la mise en garantie du bien.
Le vrai sujet, c’est le financement de l’immatériel, la formation des salariés, des dépenses marketing, de l’innovation, des développements numériques, de la digitalisation des processus, de l’intelligence artificielle… L’Observatoire du financement des entreprises est en train de finaliser un rapport sur le financement de l’immatériel qui sera remis fin juin.
En quoi le financement de l’immatériel est-il un enjeu majeur de ces prochaines années ?
De plus en plus d’entreprises vont devoir faire leur transition numérique dans les années à venir. C’est le nouveau défi à relever. Or les PME françaises sont très en retard sur ce sujet. La transition numérique ne consiste pas seulement à faire ou refaire un site Internet, mais à utiliser le Big Data, créer un algorithme, utiliser l’intelligence artificielle… Il y aura de plus en plus de datas embarquées dans les biens produits. Certaines entreprises sont en train de se transformer. Il faut parfois embaucher ou former un salarié pour pouvoir créer un algorithme maison… Cela peut coûter cher. Il y a un vrai sujet de financement de l’immatériel et c’est l’enjeu de ces prochaines années. La transition numérique peut remettre en cause complètement le business model d’une PME. Tout le monde va devoir s’adapter, l’entreprise, mais aussi les banques. L’un des objectifs de notre rapport est de sensibiliser toutes les parties aux défis communs.
Il va y avoir une forte accélération de ce type de dépenses, qui devient un vrai enjeu de financement des PME. Elles ont l’impression que les montants vont être élevés ; or, de fait, ce sont des montants difficiles à estimer ex ante. L’estimation préalable de l’investissement à faire est compliquée, comme celle du retour sur investissement et de la rentabilité d’un projet numérique, ce qui réduit la visibilité offerte aux prêteurs.
Où en sont les banques en matière de financement de l’immatériel et vont-elles s’adapter à ces nouveaux besoins ?
Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de tensions, car ce type de dépenses est souvent autofinancé par les entreprises. Les PME les mieux capitalisées réussissent à obtenir des prêts bancaires. Les banques classiques qui financent l’immatériel s’appuient aussi sur les garanties de Bpifrance, qui propose également un prêt sans garantie pour les PME et TPE. Mais le bilan de Bpifrance n’est pas extensible à l’infini, or il va y avoir des besoins très importants.
Une des questions qui se pose, c’est de savoir si les banques accompagneront sans problème toutes les entreprises qui opéreront leur transition numérique. Je n’arrive pas à imaginer qu’elles ne le fassent pas. Le financement de la transition numérique est un investissement comme un autre et le financement de l’immatériel n’a pas à se faire uniquement en fonds propres.
Les banques vont devoir savoir expertiser ce type de projet, analyser ce type de risque. C’est un sujet urgent. Certaines entreprises ne souhaitent pas aller à l’export, mais continuent à exister pendant des années, même si elles manquent des opportunités de développement. La dynamique liée à la transition numérique est tout autre : cela va très vite et ne pas faire cette transformation condamnera des entreprises à disparaître en deux ou trois ans.
Vous mentionnez souvent les sources alternatives au financement bancaire. Pourquoi ont-elles émergé ?
Nous sommes tous conscients que les règles prudentielles (Bâle III, Solvabilité 2…) modifient le comportement des différents acteurs et ne sont pas sans impact sur la gestion des risques des établissements financiers. Même si, jusqu’ici, leurs effets ont été atténués par la politique monétaire accommodante de la BCE qui permet aux banques de prêter abondamment aux PME. Mais cette politique est temporaire et aura une fin – les taux d’intérêt américains sont en train de remonter et il y a un début d’embellie économique en zone euro – et nous verrons alors sans doute davantage le plein effet des règles prudentielles sur l’octroi de crédit.
Dans ce contexte, force est de constater que toutes les parties prenantes ont intérêt à voir émerger des sources de financement alternatives au financement bancaire, au cas où les banques ne puissent plus porter les risques de la même manière que par le passé. Les Fonds de prêt à l’économie ont été lancés par la réforme du code des assureurs de 2013. La charte EuroPP du 30 avril 2014 favorise le financement par les placements privés (PP). L’ordonnance du 30 mai 2014 a créé une réglementation encadrant le crowdfunding et a permis d’accompagner cette révolution technologique et culturelle. Suite à la loi Sapin 2 du 8 octobre 2016, certains fonds d’investissement peuvent octroyer des prêts aux entreprises…
Ces outils ne sont-ils pas destinés aux grosses PME et aux ETI, plutôt qu’à la majorité des TPE et PME ?
Les prêts interentreprises créés par la loi Macron du 6 août 2015, qui représentent une nouvelle dérogation au monopole bancaire, permettent de financer toute taille d’entreprise, des micro-entreprises aux PME. Par ailleurs, de nouveaux intermédiaires non bancaires vont essayer de faire baisser les seuils. Des MiniPP ont par exemple été lancés en octobre 2016 par une société pour élargir le champ du placement privé aux PME.
Ces outils de financement alternatifs sont-ils utilisés par les chefs d’entreprise ?
En théorie, il y a une démultiplication des sources de financement auxquelles les entreprises peuvent faire appel en cas de blocage avec leur banque. En pratique, cela va être très long pour les entreprises de s’approprier ces nouvelles règles du jeu, cette nouvelle culture, avec l’idée de pouvoir mobiliser d’autres sources de financement. Les trois millions de dirigeants de TPE-PME ne maîtrisent pas forcément ces subtilités malgré les efforts de pédagogie et de sensibilisation faits par différents acteurs, chambres consulaires, experts-comptables, Médiation du crédit…
Encore trop de chefs d’entreprise, très compétents dans leurs métiers et sur le plan commercial, ne possèdent que de vagues notions en financement et considèrent que le financement n’est pas fondamental pour leur activité. Avant la crise, le partenaire bancaire était le partenaire financier exclusif, et le dirigeant d’entreprise avait seulement besoin de connaître quelques produits, le découvert autorisé, la facilité de caisse, le crédit d’équipement, et parfois un peu de crédit-bail. Demain, le partenaire bancaire ne sera plus le partenaire exclusif, et le dirigeant d’entreprise devra connaître d’autres produits, aller vers d’autres solutions, mais si ce n’est pas toujours facile de se les approprier.
Quelle est la place du financement participatif dans le financement des PME ?
Le financement participatif peut servir aujourd’hui à financer l’immatériel, car les plates-formes ne demandent pas de garanties. En revanche, le crowdfunding ne permet pas de financer des dossiers d’entreprises en difficulté financière, car ils sont écartés par les plates-formes. Il est courant de voir une entreprise aller chercher un financement auprès d’une plate-forme qui viendra compléter un financement bancaire. Ces plates-formes interviennent donc souvent en cofinancement. Parfois, des montages sont proposés à l’entreprise par des courtiers. La question est de savoir quelle part de marché aura, au final, le financement participatif.
Que pensez-vous de l’enquête publiée fin février par l’UFC Que Choisir sur le financement participatif ?
Il est tout à fait normal que ces nouvelles formes de financement et d’épargne génèrent des débats et des enquêtes. Pour ma part, cela ne me semble pas remettre en cause le principe même du crowdfunding, même si je ne sous-estime pas le sujet de présentation des taux de défaut. Il faut s’en remettre à l’Autorité de contrôle, l’ACPR, qui fait son travail et vérifie que la réglementation est respectée.
Le digital et l’usage des datas pourraient-ils faire évoluer l’analyse du risque ?
Un système financier consiste à sélectionner du risque, à analyser la solvabilité de l’emprunteur. La sélection du risque se fait classiquement sur des données financières et comptables. Des aspects plus qualitatifs s’ajoutent à l’examen d’un dossier, comme la qualité du management, la réputation… Aujourd’hui y a davantage de datas disponibles sur le domaine non financier, et qui peuvent donner une idée du profil du dirigeant, montrer si l’entreprise a fait ou non sa transition numérique… À ratios financiers identiques, certains acteurs testent par exemple si une entreprise plus active sur le net et les réseaux sociaux est un meilleur risque. Tout le monde explore aujourd’hui la façon d’exploiter ces nouvelles données.
De plus, il y a la question du coût de l’analyse crédit. Aujourd’hui, cette analyse repose encore principalement sur des ressources humaines. Mais de nouveaux acteurs cherchent à utiliser le big data et les algorithmes pour réduire significativement ces coûts. C’est déjà le cas pour des prêts aux particuliers proposés par des acteurs en ligne aux États-Unis ou en Asie. Ces nouvelles données peuvent changer l’appréciation du risque en temps réel. Alors que l’on est encore dans un schéma où on se base sur des comptes annuels qu’il faut parfois attendre jusqu’à 18 mois après la fin de l’exercice, de nouvelles méthodes d’analyse en temps réel de la solvabilité des entreprises devraient se développer à l’avenir.
Directeur Général chez in'li, PhD
7 ansLes états financiers actuels ne tiennent pas suffisamment comptes des actifs immatériels malgré les évolutions importantes des normes internationales (IAS, IFRS) de ces dernieres décennies. C'est pourquoi, le capital immateriel doit être valorisé et normé par un moyen ou un autre (annexes comptables, rapport spécifique, norme ISO, etc.) afin que les banques ou les marchés financiers puissent financer l'immatériel (ou le virtuel) des TPE et PME. L'exemple d'Airbnb est criant ! Depuis sa création en août 2008, l'entreprise affichait des déficits de plusieurs centaines de millions d'euros chaque année jusqu'en 2015, ce qui ne l'empêchait pas de lever des fonds pour plusieurs milliards d'euros en raison de valeur de sa capitalisation boursiere (plus de 30 milliards d'€ aujourd'hui). C'est en 2016, que la société affiche pour la 1ère fois un résultat positif ! C'est donc au bout de 8 ans que son capital virtuel ou immateriel (correctement valorisé par les marchés financiers) s'est concrétisé au niveau de ses résultats financiers... Il est donc indispensable de révéler le capital immateriel de nos TPE, PME pour faciliter leur financement.
Business Coaching Specialist (Indépendant)
7 ansMerci pour ce résumé de la situation !