Créer son entreprise dans la mode à 30 ans et sans relations
« Il est bon de faire des choses un peu folles lorsque l’on est jeunes »
L’âge de l’homme maintenant ou jamais, titrait en 2006 un film avec Romain Duris et Aïssa Maïga racontant les interrogations existentielles de Samuel, trente ans. Un exemple parmi d’autres de ce qui illustre un âge qui nourrit aussi bien les fantasmes que les peurs. Car à trente ans, on attend de vous de la maturité, un cap et de la stabilité. En tant que femme, on ne peut que constater un allongement de la liste : avoir une vie de famille, s’affirmer professionnellement, lutter activement contre l’obsolescence (faussement) programmé de son apparence et de la considération qui s’en suit. Parce qu’ensuite, bah, vous êtes un peu finie, quoi. Glaçant n’est-ce pas d’avoir le parcours d’un Iphone 6 ? On en vient à se demander la différence entre la femme de trente ans de 2018 et la Femme de trente ans de Balzac. Si les injonctions sociales ne prennent pas une ride, je vois néanmoins une indéniable dissemblance : la possibilité de prendre en main son destin et de vivre à contre-courant.
Je suis loin d’être une obsédée des âges jalon. D’ailleurs, le passage à la majorité ou au bel âge des 20 ans est à mes yeux un scénario hollywoodien de type blockbuster. Impressionnant, onirique, sensuel mais un peu déconnecté de l’expérience du réel, de l’individu. Pourtant, force est de constater que mes trente ans, je les ai attendus avec impatience. Dans mon imaginaire, ils symbolisent le résultat d’un gain de confiance, construite au fur et à mesure des apprentissages de la vie, et une prise de gravité qui tranquillise au lieu d’assombrir. C’est aussi une chance de partir à la conquête de mes rêves les plus fous et de m’en sentir capable, boostée non seulement par la folie du non-conformisme, mais également par une meilleure connaissance de moi-même.
Il n’est pas forcément évident de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale à l’aube du passage au presque tiers de siècle. Car face aux injonctions citées plus haut, aux inquiétudes extérieures s’ajoutent le questionnement entre soi et soi-même : ne s’y prend-on pas trop tard ? Notre chance est-elle passée ? Car, insidieusement, le jeunisme atteint même la sphère des start-ups avec ce tapis rouge déroulé à la génération de millenials vingtenaires, aux ambitions ès CEO dès l’obtention du diplôme Bac+n. De quoi mettre une certaine pression, n’est-ce pas ? Dans mon cas, il faut croire que l’envie de réaliser un rêve d’enfance a été plus forte que la peur de l’inconnu, du risque ou de l’exposition à quelques mois de ce jalon de trente ans qui chez les femmes prend une importance démesurée du fait des attentes inégales de la société.
Je ne suis pourtant pas une révolutionnaire : j’appartiens au final à cette catégorie grossissante de CSP+ qui décident de tout quitter (ou presque) pour donner du sens à leur futur. Une occasion supplémentaire d’argumenter la fameuse pyramide de Maslow de façon paradoxale : de l’accomplissement personnel s’accompagnant souvent d’une dégringolade (retour des besoins de sécurité et/ou physiologiques).
Ingénieur Telecom de formation, créatrice par vocation : un parcours atypique qui, avec le temps, deviendra peut-être la norme, parions là-dessus ?
Cependant, malgré ce mouvement général portant aux nues l’entrepreneuriat, lorsque l’on décide de créer une entreprise dans le milieu de la mode, on se retrouve rapidement démuni. Car si le digital donne des gazouillis à un certain nombre d’investisseurs et webzines enthousiastes, on croise peu les témoignages de reconvertis dans les arts ou la création artistique. Sans doute que ces exemples sont plus clairsemés, ou plus discrets du fait d’un mode de fonctionnement différent des start-ups digitales.
En effet, rares sont les titres annonçant des millions levés par une marque de prêt-à-porter balbutiante, à moins que cette dernière propose une innovation technique – donc quantifiable. Mais si le beau et le style peuvent être innovants esthétiquement, ils le sont à moindre mesure dans l’univers des créateurs scientifiquement avant-gardistes. De plus, ils ne participent pas à proprement parler à la survie (bien s’habiller est-il un besoin primaire en dehors de l’industrie du divertissement ?) et demeurent principalement subjectifs. Pas facile dans ce contexte de financer une primo-collection dans un monde où tout se quantifie à la data détenue. Plus qu’ailleurs, la cotation d’un créateur s’estime sur la durée ou la puissance de ses relations. Mais comment fait-on lorsqu’on n’en a pas ou peu de relations ? Comment se développe-t-on ? Comment se fait-on connaître avec des moyens modestes de jeune créateur ? Et comment être innovant, finalement ?
Au moment de la conception de la marque Sinaï Yaba, j’avais à cœur de proposer un modèle d’entreprise solidaire, plus proche des femmes que j’habille et plus respectueux également de l’environnement. Mais comment mettre en œuvre cette ambition, ce défi de tous les jours ?
Et ensuite, quel impact lorsqu’on délaisse un début de carrière prometteur, et que sonne le glas de la maturité nécessaire ?
En voici des questions dont les réponses se construisent au fil des rencontres et des expérimentations.
De ce constat part la volonté de partager mon expérience de jeune femme de trente ans sans relations dans la mode afin d’offrir un témoignage en temps réel de cet entrepreneuriat un peu à part.
De la conception au sourcing, en passant par la stratégie de vente, de production, de communication, retrouvez chaque semaine sur le journal un article condensant mon retour de jeune entrepreneure de la mode. N’hésitez pas à commenter l’article en listant vos questions. En espérant vous communiquer l’excitation, les frissons que je ressens au quotidien.
Sinaï