Débat d’entre-deux-tours, moment incontournable de la vie politique ou parodie de démocratie ?

Débat d’entre-deux-tours, moment incontournable de la vie politique ou parodie de démocratie ?

Ce que les règles du débat traduisent du contrôle exercé par les politiques sur les médias

Exit Anne-Sophie Lapix. La brillante journaliste de France 2 a été écartée du match-retour Macron /Le Pen de mercredi soir. Son seul tort ? Ne pas plaire aux deux candidats. Un crime de lèse-majesté à l’heure où les petites phrases servent de campagne électorale. On croyait pourtant qu’en France la presse et la garantie de sa liberté étaient fondamentales… #ArtcherDécrypte.  

Le débat d’entre-deux tours, qui opposera, pour la deuxième fois, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, se tiendra ce soir à 21h. Animé par Gille Bouleau (TF1) et Léa Salamé (France 2), il sera aussi diffusé en direct sur les chaînes d’info en continu. Un moment attendu par les commentateurs politiques mais aussi par les citoyens, mais pourtant assez récent dans l’histoire de la Vème République, puisque le premier ne s’est tenu qu’en … 1974. On doit à deux journalistes politiques, animateurs de l’émission A armes égales, Michel Bassi et Alain Duhamel, d’avoir proposé ce format  aux deux candidats encore en lice : Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, inspiré par le débat américain du 26 septembre 1960, entre le vice-président Richard Nixon et un jeune sénateur du Massachussets, John F. Kennedy. Ceux-ci acceptent sous quelques conditions, notamment la neutralité journalistique garantie : les deux animateurs n’auront pas le droit de poser des questions aux candidats

Le débat d’entre-deux tours : un rendez-vous politique devenu incontournable

VGE ressort largement gagnant de cette première joute télévisée présidentielle. En 1981, Mitterrand cherche un moyen de ne pas y participer. Il sollicite ses équipes pour trouver un artifice. L’idée est toute trouvée : un cahier des charges strict imposant 21 conditions suspensives visant à maîtriser au mieux l’image du candidat socialiste et à dissuader le camp adverse de participer : pas de questions posées par les animateurs seule l’annonce des thèmes est possible et l’arbitrage du temps de parole, pas de plan de coupe, choix des journalistes par les équipes de campagne, réalisateur du débat encadré par deux assistants choisis par les candidats. Contre toute attente, le clan Giscard accepte. Conçu pour éviter le débat, ce nouveau format permettra finalement la revanche et la victoire de Mitterrand.

Depuis, le débat d’entre-deux-tours est devenu un passage incontournable de l’élection présidentielle et ces règles informelles sont restées. Non sans être amplement instrumentalisées par les candidats au gré de leurs besoins : refus de débattre invoqué par J. Chirac contre Jean-Marie Le Pen en 2002 sous couvert d’un principe républicain fondamental, admission des plans de coupe par les équipes de Marine Le Pen et Emmanuel Macron lors du débat 2017… rétropédalage pour l’édition 2022…. 

Le choix des journalistes pose question

Si l’orchestration millimétrée de cet événement par les équipes de campagne n’est pas nouvelle, une des libertés que s’arrogent les candidats, interroge plus que les autres : le choix, sous couvert de neutralité, des journalistes pour animer le débat d’entre-deux-tours

Ainsi en 2017, c’est la journaliste Anne-Claire Coudray qui  est évincée du débat par les équipes du Front National, du fait de sa prétendue « orientation macroniste ». Rebelote, en 2022, alors que le nom d’Anne-Sophie Lapix semblait évident, il est balayé d’un revers de la main par les deux camps politiques.

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La liberté de la presse est pourtant un droit fondamental (art. 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen). Si la neutralité des animateurs semble primordiale, la subjectivité sur laquelle repose le choix des animateurs par les équipes de campagne interroge. « Choisir quelqu’un de plus consensuel, c’est prêter le flanc à l’idée que les journalistes sont complaisants avec les politiques – alors que notre rôle est de transmettre l’information. C’est dangereux pour la démocratie ! » commente ainsi avec raison Emmanuel Poupard, premier secrétaire général du Syndicat national des Journalistes (SNJ). Et pourquoi seuls les journalistes de TF1 et de France 2 seraient-ils conviés, alors que BFM TV est l’une des principales sources d’information des Français, et que les nouvelles générations s’informent davantage sur les réseaux sociaux que par la télévision? 

Ce moment de confrontation politique est un moment essentiel de démocratie ; pour le rester, il doit s’adapter à son temps.

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