Dégainer le calendrier : riposte de la France des 'fauchés'
La précarité, un phénomène marginal en France ? A voir. De plus en plus, une population qu’on croyait préservée, se trouve concernée par le manque de ressources financières. Ainsi les intermittents du spectacle, les artisans qui démarrent une activité, les petits retraités... L’économie solidaire apparaît parfois comme une solution, un levier temporaire qui pourrait amener certains projets à voir le jour et se développer. En Languedoc-Roussillon, on a de la suite dans les idées. Et des projets pour réduire à peau de chagrin cette précarité galopante. Même que certaines n’hésitent pas à jouer la carte de l’humour, en plagiant volontairement le si classique calendrier. Pour ne pas que l’herbe soit coupée sous leurs pieds, elles ont décidé de créer un calendrier des fauchées. On les suit ‘clic par clic’ sur le blog du même nom.
C’est au café de la Poste, à Narbonne, en juin 2015, que Sophie Barbero, comédienne, et sa sœur Aline ont donné rendez-vous au réalisateur Stéphane Kowalczyk qu’elles ont sollicité pour un reportage. Autour d’un café. Pour évoquer leur projet : le calendrier des fauchées. Un calendrier de nus auquel ne pourraient participer que… des fauchées de 20 à 70 ans, qu’elles soient porteuses d’un projet professionnel, intermittentes du spectacle ou retraitées aux moyens financiers limités. Pour celles en tous cas qui en ont marre de galérer et pour qui le superflu est un luxe. Les deux sœurs y croient dur comme fer à leur projet : lever des fonds financiers grâce à la création et la diffusion d’un calendrier de nu qui, le précise Sophie, serait « l’occasion de valoriser la femme, de la rendre jolie, même si elle se trouve dans le désespoir financier et matériel ».
Une alternative au mode économique vertical
A la manière de la très controversée émission Streap-Tease, Stéphane Kowalczyk, le réalisateur de documentaires, filme donc les frangines sans ambages, tout en pratiquant avec brio l’art de la maïeutique. Ils les interrogent en même temps qu’il les filme, les idées fusent, les questions renvoient à d’autres perspectives. Un joyeux brainstorming où le client anglais du café est interpellé pour savoir si c’est bien Ken Loach qui a réalisé le film ‘The Full Monty’, dont les protagonistes ont largement inspiré les deux sœurs… Même si c’est Peter Cattaneo, on s’en fiche un peu.
La caméra saisit les gestuels en mouvement, d’autres contours pour le projet se dessinent. Une idée, folle, émerge : le projet dans le projet. Pourquoi ne pas réaliser un documentaire en plusieurs épisodes de la genèse du calendrier des fauchées ? Et diffuser les images sur la toile au fur et à mesure que le projet collaboratif se concrétise, se précise, se déroule, amendé, affiné ou transformé. « Il faut investir le net, diffuser les choses. Il faut inventer un nouveau rapport économique au monde, collaboratif, participatif, un monde horizontal et non plus vertical comme l’ancien monde », s’enthousiasme le réalisateur Stéphane Kowalczyk.
Un calendrier des revendications des fauchées
« On a besoin que tu sois les yeux », précise Sophie au réalisateur, « pour que le documentaire soit un témoin de notre propre démarche. Cela pourra peut-être aider d’autres personnes à réaliser leur projet. Comme un cheminement de tous ces espoirs. » C’est donc un calendrier des ‘revendications des fauchées’ qui devrait voir le jour en janvier 2017, avec pour chaque participante à l'action, un nom, un visage, une situation, un projet… qui les aiderait enfin à s’extraire de la précarité, vivre mieux, vivre carrément de leurs rêves. « Le calendrier… Ce n’est pas le plaisir de se montrer nu qui nous motive, mais de se montrer à nu. Les personnes sollicitées qui se déshabilleront ne correspondent pas forcément aux canons de beauté des magazines ». L’une des sœurs en voudrait un tirage à 5 000 exemplaires, l’autre à 10 000 avec une diffusion à l’échelle nationale, européenne, voire internationale. Les yeux brillent, Sophie imagine déjà le rideau rouge de la salle de théâtre qu’elle financera avec les fonds récoltés. « Avez-vous trouvé le ou la photographe ? Les autres participantes ? L’imprimeur ? » s’enquiert Stéphane, déjà partie prenante du projet et missionné pour créer LE blog du calendrier des fauchées. Les deux sœurs n’hésitent pas à répondre, presque en chœur, toujours enthousiastes et inspirées : « Non, la photographe ne le sait pas encore mais tu filmeras la rencontre, hein ? ».
Le blog du calendrier des fauché(es)
Quelques mois et rendez-vous plus tard, pas de calendrier des fauchées en vue mais on suit avec plaisir l’évolution du projet, on fait connaissance avec les autres femmes du futur calendrier des fauchées… toutes plus fauchées les unes que les autres : Marianne, la prof de yoga fauchée, Hélène la photographe fauchée, Laurie, la cuisinière fauchée, déjà médiatisée sur la chaîne D8 fût un temps pour son activité de cuisinière à domicile. On découvre ainsi Marianne, tout d'abord surprise par la teneur du projet, qui n’hésite pas longtemps avant de donner son accord. « Je dois apprendre le détachement du corps pour devenir yogi », précise-t-elle en riant. Stéphane filme inlassablement chacun des rendez-vous, chacune des rencontres pour le blog du calendrier des fauchées.
Le mode fauché se décline au masculin
Au fil des épisodes, les statuts de l’association ont été déposés à la sous-préfecture audoise sous le nom de REVTAVI. Et coup de théâtre, elles ont revu leur copie, les deux sœurs. Désormais, après avoir trouvé leur trois participantes, elles cherchent activement des hommes prêts à se dévêtir pour la bonne cause. Le mode fauché se décline aussi au masculin. Certains ont déjà été sollicités, des fauchés toujours, mais pour la plupart ont décliné la proposition. Par pudeur. Même si le temps de la séance photo de nu avec Hélène la photographe, la caméra de Stéphane ne filmera que les visages, cela n’a pas semblé rassurer ni convaincre les hommes. Pour le moment, seul, Julien, un de leurs amis comédiens, actuellement prof au Maroc, a accepté de participer au projet. Ce qu’on apprend dans le dernier épisode, l’épisode 6.
On découvre la genèse du projet à travers un blog dédié, celui qu’a concocté Stéphane où l’on assiste à la gestation du calendrier des fauchés. C’est frais, vivant, un appel d’air dans chacune des vies de chacun(e) des participant(es). On se surprend à s’attacher à ces personnages au fil des épisodes en oubliant presque le projet initial. Documentaire brut, pépite qui rappelle la Grèce antique et le ‘réensauvagement’, comme se plaît à l’évoquer Stéphane à l’épisode 1. Mais cela, ce sera pour une autre fois. Pour l'instant, on dégaine.
Pour suivre le projet : le-calendrier-des-fauchees.blogspot.fr