Dénutrition: tous concernés!
Du 12 au 19 novembre, c'est la première semaine nationale de la dénutrition. Une occasion pour faire le point chaque jour sur cette maladie parfois silencieuse, qui concerne 2 millions de personnes en France.
Juste une mise au point:
Vrai ou Faux? la dénutrition touche toutes les tranches d’âge
VRAI : environ 200 millions d’enfants dans le monde souffrent de dénutrition, par insuffisance d’apports. La dénutrition touche également les patients de tous âges atteints de maladies affectant directement ou indirectement le goût, l’olfaction, ou simplement l’envie de manger. Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables à la dénutrition, et 25% des personnes de plus de 70 ans vivant seules sont dénutries.
Question à Clémentine Hugol-Gential
LD : Tu as coordonné le projet Alimentation et Lutte contre les Inégalités en Milieu de Santé (ALIMS) : peux-tu nous dire quels liens peuvent s'établir entre dénutrition et alimentation en milieu de santé, notamment dans le cas des cancers ?
C H-G : Depuis le milieu des années 90 est apparue une prise en compte de la question du repas à l’hôpital (Ricour, 1999). A la suite du rapport Guy Grand (1997) soulignant notamment une médicalisation insuffisante des problèmes nutritionnels, plusieurs actions ont été mises en œuvre dont la création des CLAN (Comité de Liaison en Alimentation et Nutrition). Ces comités sont aujourd’hui à l’origine d’enquêtes et du développement d’outils visant à améliorer la qualité de l’alimentation et de la nutrition dans les établissements de santé (Poisson-Salomon & al, 2008 – Desport & al, 2010). La lutte contre la dénutrition induit parfois le traitement du repas comme une simple ingestion de nutriments. La médicalisation du repas efface alors les dimensions sociales (Hartwell & al, 2013), sensibles et symboliques (Boutaud, 2005) de la prise alimentaire alors même qu’elles sont essentielles. En outre cette médicalisation de la prise du repas n’est pas efficace puisque l’on note aujourd’hui que 20 à 40 % arrivent déjà dénutris à l’hôpital et que leur état nutritionnel tend à se dégrader pendant leur séjour hospitalier.
Le cas du cancer est très spécifique du fait de la forte production médiatique qui l’entoure. Patrice Cohen et Emilie Legrand notent que « l’alimentation est devenue à la fois un grand espoir pour la prévention des cancers – voire pour leur traitement – et à la fois une grande source d’inquiétude sur ses risques cancérigènes » (2011). Pourtant si aujourd’hui de nombreux messages préventifs sont diffusés sur l’alimentation dans le cadre du PNNS, il y a a contrario une place institutionnelle très faible de la prise en charge alimentaire lors de la maladie (Cohen & Legrand, 2011) bien qu’au sein des trois Plans Cancer instaurés successivement en France il est indiqué que les patients devraient pouvoir bénéficier d’une consultation diététique (Fontas, 2017). En outre, pendant la maladie et son traitement, les patients revoient souvent leur répertoire alimentaire du fait des goûts et dégoûts, des modifications sensorielles mais aussi des idées reçues qui circulent autour de l’alimentation-cancer. La non prise en charge diététique du patient peut avoir des effets délétères sur son état nutritionnel.
Ainsi, lors d’un séjour hospitalier, le repas participe au soin et il constitue en propre, un soin. Pas uniquement, en termes de nutrition mais de restauration morale, affective, psychologique. Le repas, tel que nous l’entendons, ne se réduit pas seulement au contenu de l’assiette. Nous prenons bien évidemment en compte les dimensions nutritionnelles et organoleptiques mais également l’environnement, le cadre physique, les socialités, les relations et les rituels qui ont un impact sur la réception du repas. Le repas à l’hôpital, selon les pathologies traitées et les unités de soins, est alors à la jonction du soin (préventif, curatif) et du prendre soin. Le repas est donc central dans l’institution hospitalière et joue un rôle fondamental dans la prise en charge des patients. Le repas a alors une fonction révélatrice puisque c’est une marque de l’intention envers l’autre et de l’attention que l’on porte à l’autre. C'est là toute l'essence du projet ALIMS, considérer l'alimentation dans son entièreté et dans toute ses dimensions.
Clémentine Hugol-Gential est maîtresse de conférences en SIC, HDR, directrice adjointe du CIMEOS Lab (EA4177) à l'Université de Bourgogne, et membre du Collectif de Lutte contre la Dénutrition.