Désindustrialisation
Taux de croissance économique revu à la baisse, chômage élevé, dettes publiques et déficits excessifs, balance commerciale lourdement déficitaire, déclassement et paupérisation : l’urgence d’une nouvelle politique industrielle française.
1. Décrochage progressif de la croissance et déclin industriel français à partir des années 80.
Durant les « 30 glorieuses » de 1946 à 1976, la croissance annuelle du PIB par habitant de la France est ressortie à +4,3%, en raison en partie du renouveau démographique amorcé dès 1942. Pendant toute cette période, la forte hausse de la productivité a permis de soutenir la hausse des salaires. Après le choc pétrolier de 1975, la croissance annuelle française ralentit par paliers : +2% entre 1974 et 1990 +1,4% entre 1990 et 2005 et seulement +0,5% entre 2005 et 2017. Cette baisse régulière de notre performance économique, encore plus marquée lorsqu’on la mesure par habitant, est due au puissant mouvement de désindustrialisation qui touche notre pays depuis plus de 40 ans.
Cette désindustrialisation se traduit par la baisse de notre positionnement dans le classement des PIB par habitant, avec en moins de 40 ans une baisse de près de 10 places à l’échelle mondiale (12ème en 1980 ; 21ème en 2017 avec 40 K$ par habitant) et de 5 places à l’échelle européenne (8ème en 1980 ; 13ème en 2017).
Il existe des raisons structurelles à cette détérioration.
1.1. La faiblesse de la rentabilité industrielle française
En 1961, l’industrie française représentait encore 30% du PIB, contre seulement 17% en 2017 (en incluant le BTP). Mesurée entre 1980 et 2010, la baisse relative est encore plus marquée. Par comparaison, le poids industriel de l’Allemagne dans son PIB se situe encore en 2017 à 27% (source Banque Mondiale).
Le coût plus élevé des matières premières à partir du choc pétrolier de 1975 a réduit la rentabilité des actifs investis dans l’industrie et la montée du libre échange sur le plan mondial a exposé les industries occidentales à la concurrence naissante des « nouveaux dragons ». Du fait de cette faiblesse de rentabilité industrielle, les investissements s’orientent davantage vers les services et les industries lourdes à forte intensité en capital sont délocalisées, (textile, sidérurgie, automobile, ...).
En France, la rigidité du Code du Travail et le poids des charges sociales et fiscales bien plus élevé qu’ailleurs ont constitué des freins à la poursuite de l’industrialisation dès lors que des opportunités plus attractives en termes de rentabilité du capital se trouvaient à l’étranger. De surcroît, à la différence de l’Allemagne qui a mis en place un système de cogestion des entreprises avec les syndicats, la France est marquée par un fort degré de conflictualité. D’après les résultats de l’institut allemand IW, entre 2007 et 2016, le nombre de jours de travail perdus pour fait de grève pour 1.000 salariés était de 123 jours en France contre 7 jours en Allemagne, 59 en Espagne et seulement 6 aux Etats-Unis.
Ce différentiel de compétitivité s’explique aussi par le poids élevé de la fiscalité. Les prélèvements fiscaux et sociaux ont, en France, toujours absorbé une part importante de la valeur ajoutée, environ 25%. Pour la plupart des pays européens, ce pourcentage est compris entre 10 et 15%
Enfin, la mise en place des 35 heures au moment de la montée en puissance de pays émergents comme la Chine et du renforcement de la compétitivité allemande au travers de l’agenda Schröder, a encore altéré la performance industrielle française.
1.2. Le désintérêt des élites françaises pour l’industrie
Aux tendances de long terme qui ont influencé l’ensemble des pays occidentaux s’ajoutent aussi quelques spécificités expliquant l’évolution industrielle défavorable de la France. Les gouvernements au cours des années 70/80 se sont peu intéressés à l’industrie ou uniquement au travers de grands programmes trop ciblés, comme le nucléaire ou la nationalisation progressive de la sidérurgie sous les mandatures de Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand. Le développement du secteur des services prend le pas sur l’industrie, avec la création de grands groupes mondiaux (Accor, Sodexo, Cap Gemini, Carrefour …) qui vont axer leur stratégie de développement à l’international pour gagner des parts de marché (cas de la grande distribution, de l’informatique, de l’hôtellerie, …) et bénéficier de ce surplus de rentabilité à l’international.
La France est devenue un pays où les multinationales sont plus importantes que dans d’autres pays de taille comparable. Ces multinationales maintiennent des activités de conception et de recherche en France mais assemblent souvent à l’étranger. C’est tout particulièrement le cas de l’industrie automobile française, très différente de sa consœur allemande, qui assemble principalement en Allemagne pour ensuite exporter. Alors qu’en 1997, le poids de la production française des groupes français est de 64,4% ; en 2017, il n’est plus que de 20,9%. En conséquence, notre balance commerciale automobile est devenue négative, de près de 10 Mds€ en 2017, à comparer avec des excédents annuels de plus de 10 Mds€ entre 2000 et 2005. En 2018, le déficit commercial français dans son ensemble atteint 60 Mds€, confirmant s’il en était besoin les effets négatifs du couple désindustrialisation / délocalisation. Dans le même temps, le stock français d’Investissements Directs à l’Etranger ne cesse d’augmenter. Il s’établit ainsi à 1.246 Mds€ à fin 2017, soit un doublement par rapport à fin 2006 (625 Md€).
On retiendra aussi dans les causes de notre faiblesse industrielle le choix des élites françaises d’embrasser des carrières étatiques ou dans les services plutôt que dans l’industrie, à l’inverse des élites du nord de l’Europe et de l’Allemagne. Pour toutes ces raisons, la France n’a jamais connu un tissu industriel de PME aussi performant en termes d’innovation que des pays proches comme l’Allemagne ou même l’Italie. En conceptualisant de surcroît le développement des « entreprises sans usines », cf. Serge Tchuruk, PDG d’Alcatel en 2001, une partie des élites françaises a contribué activement à cette défaite économique.
2. L’Etat providence au secours du déclin économique et d’une forme de paupérisation
2.1. La désindustrialisation conduit à la hausse des dépenses publiques
Le transfert de la population active de l’agriculture vers l’industrie puis vers les services a été rapide et a eu pour conséquence un chômage de masse et le creusement des déficits publics. L’Etat providence a dû en effet compenser socialement les effets négatifs induits par cette désindustrialisation : suppression d’emplois, précarisation de pans entiers du territoire, affaiblissement des services publics faute de moyens, diminution du financement de la protection sociale.
Moins d’industrie signifie moins d’emplois qualifiés et non qualifiés, moins de recettes fiscales et sociales qui ont dû être compensées directement par l’Etat au travers de la mise en place de mécanismes de solidarité, (RSA, aide aux logements, CMU, minimum vieillesse…) et par une hausse des prélèvements obligatoires (notamment des cotisations sociales à la charge des salariés et des entreprises). Cela a contribué mécaniquement au creusement continu des déficits publics et budgétaires sur la période. Ainsi, l’évolution des dépenses publiques va connaitre une trajectoire défavorable en France puisque son poids va passer de 54,2% du PIB en 1995 à 56,5% en 2017 alors que la plupart des autres pays européens vont voir ce poids diminuer, l’Allemagne passant de 54,3% à 43,9% et la Suède de 63,5% à 49,1% (baisse la plus spectaculaire). En France, ce sont les dépenses sociales qui représentent le montant le plus important, 43,5% du total contre 36% pour l’Allemagne. S’explique alors le poids élevé de la dette publique qui s’élève en 2017 à 97% du PIB contre seulement 64% pour l’Allemagne, confirmant le lien entre poids des dettes publiques et faible niveau d’industrialisation.
2.2. Net recul du gain de pouvoir d’achat médian
Les fragilités industrielles de la France ont entraîné de toute évidence le déclassement d’une partie significative de la population en termes de pouvoir d’achat. Depuis quelques mois, les contestations portent sur le pouvoir d’achat, la pression fiscale, le sentiment d’aggravation de l’injustice sociale et l’arrêt de l’ascenseur social. En raison de gains de productivité faibles, autour de 1% par an, d’un coût du logement et d’autres charges courantes qui ne cesse d’augmenter, le gain de pouvoir d’achat se limite à + 0,5% par an. La structure des emplois est déformée avec une baisse des emplois industriels et une progression des salariés dans les services peu qualifiés, à faibles niveaux de salaire et de productivité, ce qui entraîne inéluctablement une paupérisation et un sentiment de déclassement de la classe moyenne.
3. Plaidoyer pour une nouvelle politique économique et industrielle
Les blocages de la société française, l’émergence de tensions sociales et politiques, les rigidités économiques nécessitent de nouveaux choix stratégiques et des ajustements structurels conséquents.
Nous préconisons donc une nouvelle politique économique et industrielle assise sur 2 piliers fondamentaux :
- le soutien à la compétitivité de nos entreprises dans sa double composante innovation / coûts,
- une action en profondeur consensuelle de diminution de nos dépenses publiques.
La stabilisation institutionnelle de notre écosystème fiscal est une nécessité impérieuse, car notre attractivité industrielle souffre de changements incessants dans ce domaine, ce qui modifie en permanence la rentabilité des investissements. Les débats actuels montrent aussi la nécessité d’organiser un consensus durable en amont avec les corps intermédiaires sur ces sujets d’intérêt général.
Une politique assumée de l’offre doit permettre un supplément de croissance, sous réserve de pouvoir être mesurée en termes de contreparties tangibles pour l’emploi et pour l’activité économique. Elle pourrait ainsi s’orienter autour des principaux axes suivants :
3.1. Concentrer les politiques d’allègement de charges sociales sur les seuls secteurs soumis à la concurrence internationale
Les différents gouvernements qui se sont succédé, conscients de la discrimination économique pesant sur les entreprises françaises en raison d’un taux de charges sociales parmi les plus élevés du monde, ont tous mis en place des dispositifs d’allègements (baisse des charges sur les bas salaires, CICE récemment transformé en baisse de charges…). Ces dispositifs ont certes permis une progression du taux de marge industrielle (Excédent Brut d’Exploitation / Valeur Ajoutée) des entreprises mais se sont révélés désastreux sur le plan politique, en étant perçus très majoritairement par l’opinion publique comme des « cadeaux faits aux entreprises ». Le fait que La Poste, la SNCF et la grande distribution figurent parmi les principaux bénéficiaires de ces dispositifs n’a pu que faciliter cette transformation sémantique.
Dans un contexte de rareté des ressources budgétaires publiques, les pouvoirs publics doivent désormais cibler les nécessaires dispositifs d’allègement de charges :
- en concertation en amont avec les organisations syndicales et patronales
- sur les seuls secteurs exposés à la concurrence internationale, au premier rang desquels se trouvent évidemment les secteurs industriels.
3.2. Baisser les impôts et taxes pesant directement sur la production
Tant en termes de compétitivité économique que de simplification administrative, une diminution en nombre, en assiette et en taux des impôts et taxes pesant directement sur la production s’avère nécessaire. Organic, CVAE, CFE, Taxe sur la Formation Professionnelle, Taxe d’Apprentissage… ce sont en effet au total plus de 250 taxes qui sont prélevées sur nos entreprises, pour une ponction annuelle totale d’environ 72Mds€, soit un montant plus de 3 fois supérieur aux charges allemandes équivalentes.
3.3. Réformer fondamentalement notre système de formation professionnelle
La question de la formation professionnelle reste aussi un enjeu de taille pour améliorer la compétitivité de nos entreprises, le manque de qualifications étant souvent un obstacle à l’embauche. La nouvelle loi de septembre 2018 a engagé une réforme qui est allée dans le sens d’une facilitation de l’accès à la formation, mais l’objectif d’un système plus juste et transparent n’a pas été atteint.
La réforme entreprise a certes permis des avancées significatives : accès direct aux montants numéraires des droits inscrits en compte, renforcement du contrôle de la qualité et de l’offre de formation… Toutefois, pour que les sommes considérables (+ de 30 Mds€ par an) allouées à la formation professionnelle soient pleinement efficaces, il faut encore corriger certaines trajectoires.
Deux axes de travail doivent être privilégiés en la matière :
- réorienter massivement les sommes investies vers les jeunes à faible qualification et vers les « seniors »
- privilégier, sur le modèle suisse, l’organisation et la promotion « en amont » de filières industrielles de haut niveau afin de répondre à l’évolution de la demande des entreprises et à l’émergence des nouveaux métiers (filière digitale, filière environnementale…)
3.4. Améliorer et favoriser le financement de la réindustrialisation
La question du financement de la réindustrialisation doit naturellement être posée. Nous disposons déjà d’un outil efficace avec la création de la Banque Publique d’Investissement (Oseo, FSI, CDC Entreprises …) mais il est nécessaire pour répondre aux nouveaux défis, de gagner en force de frappe financière en réorientant une partie significative de l’épargne vers les entreprises, par le biais d’incitations fiscales conséquentes, mais traçables et comprises par l’opinion publique. Ainsi, nous recommandons :
- le lancement d’un fonds souverain français abondé par une partie de l’épargne des Français dont la prise de risque supplémentaire serait « compensée » par un dispositif de défiscalisation adapté,
- le rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune avec une défiscalisation à 100% des sommes effectivement réinvesties au sein des entreprises industrielles françaises,
- la transformation du système gaulliste de la participation des salariés aux bénéfices en un véritable dispositif d’actionnariat salarié au travers d’une politique novatrice d’attributions gratuites d’actions exonérées socialement et fiscalement.
3.5. Baisser les dépenses publiques de manière efficace et ciblée
Soutenir une nouvelle politique industrielle en diminuant suivant les propositions ci-dessus les prélèvements obligatoires, nécessite bien entendu de trouver des économies au moins équivalentes.
Ces dernières doivent se faire en premier lieu en baissant sensiblement le niveau de nos dépenses publiques. Comme rappelé précédemment, le poids de nos dépenses totales en 2017 est en effet de 56,5% du PIB contre 43,9% pour l’Allemagne, soit un écart de plus de 12 points de PIB (environ 280 Mds€ !).
Cet écart s’explique ainsi :
- régimes de retraite (+4,3%),
- affaires économiques (+2,5%),
- éducation (+1,2%),
- santé (+1%),
- autres postes (+3%).
La baisse des dépenses publiques devra donc prioritairement porter sur :
- l’alignement inévitable de l’âge de la retraite sur les pratiques européennes,
- la mise en place d’une action beaucoup plus volontariste de diminution des arrêts maladie (16 jours ouvrés en moyenne par an dans le secteur privé…) et de modification de certaines pratiques de prescriptions abusives.
D’autre part, des mesures énergiques doivent être prises dès maintenant pour faire enfin baisser les effectifs de la fonction publique. Nos trois fonctions publiques cumulées comptent actuellement plus de 5,5 millions d’agents, soit plus de 20% de l’emploi total. La masse salariale correspondante, hors régime de retraite, représente quant à elle 15% des dépenses publiques et 8,5% du PIB. Une baisse annuelle de 2% des effectifs, poursuivie sur 5 ans, doit être organisée. Cette baisse permettrait de réduire la charge salariale annuelle de 3 Mds€, soit 15 Mds€ au bout de 5 ans. Pour l’atteindre, il convient d’activer tous les leviers d’action principaux : simplification des procédures, simplification des organisations territoriales, mutualisation des services supports, mobilité des agents, augmentation de la durée effective du travail, actions dynamiques de réduction d’effectifs sur la sphère parapublique (CNAM, CPAM, France Télévision…).
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En conclusion, transformer en profondeur notre système de production doit améliorer son efficacité pour pouvoir mieux aménager nos territoires, mieux redistribuer les richesses et permettre un accès plus équitable aux biens et services essentiels. Le devoir des pouvoirs publics est donc d’engager sans délai toutes les actions indispensables au renouveau industriel de notre pays, tout en identifiant les grands chantiers technologiques et scientifiques qui serviront de base à cette mobilisation d’intérêt général.
La triple cassure sociale / sociétale / territoriale commande en effet d’agir vite et fort, en créant préalablement les conditions du consensus national : intégration véritable des corps intermédiaires dans les processus de décision, décentralisation des processus de décision, respect de l’équilibre entre efficacité économique et équité sociale lors des prises de décisions.