Détoxifions la com
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Détoxifions la com

Qu’il semble loin ce temps d’un « Culture Pub » en prime time, d’une autre époque ces nuits de la Pub affichant complet partout en France, festives et délirantes, ou cette appropriation joyeuse de la (bonne) publicité dans la culture populaire. A quel moment se sont crispés les sourires ? Est-ce que l’« on a poussé le bouchon un peu trop loin Maurice » ?

Aujourd’hui notre secteur est accusé de tous les maux.

Depuis plusieurs années on la sentait la désaffection, les critiques, le métier de « publicitaire » faisant partie des moins aimés des français. Mais là c’est la déferlante : entre le rapport Big Corpo demandant, au nom d’un « impératif démocratique et écologique », un encadrement et une taxation des publicité pour les produits les plus énergivores ou contenant des ingrédients néfastes pour la planète (l’huile de palme par exemple), le projet de « loi Evin 2 » qui bannirait tout simplement des médias certaines catégories de produits voire des marques entières, ou la proposition d’une nouvelle mention sanitaire « En avez-vous vraiment besoin ? » accolée sur les messages,... la pub est cernée de toutes parts.

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Bienvenue dans l’Anthropocène, l’âge des conséquences.


Ce rôle du grand méchant est bien sûr caricatural, la communication étant avant tout l’expression de stratégies d’entreprises qui échappent au contrôle de celles et ceux qui doivent les mettre en mots et en images. Et nier notre « envie » de consommer ainsi que la liberté de chacun face à ses choix est absurde, comme l’a très bien souligné Olivier Altmann dans INfluencia.

Mais arrêtons de nous cacher derrière notre petit doigt : oui, la publicité est une arme de persuasion massive et notre rôle n’est pas que d’être des passeurs.

Nous ne pouvons et nous ne devons pas nier notre part de responsabilité dans la situation actuelle. Nous sommes un rouage efficace de la société de consommation.

A ce titre, il faut changer. Et vite, le statu quo n’est pas envisageable. 

Alors, avant qu’on nous impose de revenir à la frugalité prônée par Navi Radjou, qui de fait supprimerait nos métiers, il y a une troisième voie à explorer, si la communication arrive à se réinventer.

Reconnaissons quand même que le secteur ne reste pas les bras croisés.

Avant tout, il agit sur ses propres critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance). De nouvelles formes de collaborations, de travail à distance pour minimiser les déplacements, une éco-conception et une éco-production des outils de communication (que ce soient pour les tournages ou les shooting photos, la conception des packagings, le design, l’événementiel,...). Un travail de fond également pour amener plus d’équité sociale, de diversité, d’inclusion, d’égalité femme-homme. Il reste encore beaucoup à faire, il ne faut pas se voiler la face sur ce qui ne va pas (hommage à Les Lionnes notamment), mais la quasi-totalité des agences avec qui je travaille sont engagées dans des changements profonds. Et surtout passent aux actes.

Et puis la communication s’évertue à donner de la visibilité aux actions positives des marques. Au risque de devenir un poncif : aujourd’hui tout est «...for good » (« com for good », « tech for good », « finance for good »,...) et pas une semaine ne se passe sans qu’un nouveau message RSE ne sorte.

Si cette profusion peut effrayer et si les résultats sont très inégaux, le « Brands for good » (encore un) est lui nécessaire. En créant un nouveau référentiel de discours, il incite toutes les marques à « se mettre à niveau » de leurs concurrents et à s’engager à leur tour dans une prise en compte forte de leurs critères ESG. Une pression de discours comme levier pour inciter l’ensemble des acteurs à se bouger. Du BtoCtoE (E pour Environment).

Pour autant, pour qu’elles soient réellement bénéfiques, il faut que ces actions suivent 3 grands principes :

1)    l’humilité.

Réduire son impact écologique, intégrer une mission voire une raison d’être à ses statuts, sont des engagements forts et structurants pour une entreprise. Mais la transition écologique, c‘est le strict minimum et très peu d’entre elles peuvent se targuer d’aller plus loin, que ce soit dans l’économie régénératrice, la redirection écologique, l’économie bleue de Günter Pauli,... Bref, tout ce qui permet non pas de limiter sa trace environnementale mais d’avoir une activité à « impact positif » sur l’environnement et la société, à l’image d’Interface par exemple, cet acteur exemplaire dans un univers inattendu, celui de la moquette.

Il faut donc éviter les postures d’autos-célébrations grandioses, mais reconnaitre ses limites et les efforts qu’il reste à accomplir. Valoriser une démarche, une énergie plutôt que s’enorgueillir d’un résultat forcément imparfait.

2)    L’alignement

Cela peut paraître évident et pourtant... La communication RSE ne peut pas n’être qu’une brique à part des autres points de contacts de l’entreprise. Trop d’acteurs manquent de cohérence entre leurs discours, et surtout leurs actions. Lancer une communication sur la baisse du plastique dans ses emballages tout en faisant la promotion d’un produit dont les aliments sont sourcés de l’autre côté de la planète... C’est dans cet espace que le greenwashing prolifère.

3)    L’utilité

Trop de communications sont auto-centrées sur l’entreprise. A tort : l’enjeu de la communication d’engagement aujourd’hui n’est pas de valoriser l’émetteur du message, mais de montrer aux clients finaux en quoi cela peut être utile pour eux. C’est donc une communication « de récepteur » qui doit prévaloir.

C’est ce qui fait la différence à mon avis entre une communication très réussie comme la campagne #onresteensemble d’Orange (agence La Chose) et le discours beaucoup moins incarné et projectif de Michelin (« motion for life »). Il y a pourtant tant à dire sur cette dernière, avec des innovations telle que Fleet Solutions qui dessinent le passage d’une entreprise de produits à une société de services.



Mais si le « Brands for good » est nécessaire, il n’est pas suffisant.

Nous ne devons pas nous contenter de cette exposition des bons gestes.

D’une part parce qu’il ne couvre pas tous les aspects du problème.

Les pratiques digitales responsables par exemple sont encore trop peu présentes dans nos recommandations. Le secteur informatique est responsable de 4% des émissions à effet de serre selon l’Ademe et, au vu des usages croissants, on prévoit un doublement de cette empreinte carbone d’ici 5 ans à peine. Malgré cela, combien de recos parlent de sobriété numérique ? Combien de sites Internet sont éco-conçus ? Combien de stratégies social media sont construites en prenant en compte cet aspect ? Au contraire, la politique de contenus actuelle semble être tournée sur un « toujours plus », pour occuper l’espace. Il est temps d’intégrer cette donnée à l’ensemble de nos propositions.

D’autre part s’en tenir à un discours sur les efforts de la marque en termes d’engagements écolo, sociaux ou sociétaux peut avoir un effet pervers : en se donnant bonne conscience, les dirigeants ne sont pas poussés à mettre en œuvre de solutions plus impactantes, souvent synonyme d’évolutions plus lourdes et structurantes.

Idem pour la vision du consommateur, qui, en adhérant à ces messages, se donne l’illusion d’un choix raisonné pour sa consommation. Il ne va pas aller voir plus loin ni mettre la pression sur la marque pour qu’elle initie de vrais changements.

Et surtout, la communication ne peut plus se contenter d’être un simple traducteur de la réalité des entreprises.

Elle doit façonner un nouveau discours, reprendre un rôle actif en contribuant à l’amélioration de la société. Que la communication devienne elle aussi un secteur à impact positif sur la société.

Comme le disait très justement David Leclabart dans Stratégies : « Si la publicité a su donner envie de consommer, parfois beaucoup, trop ou de travers, elle peut aussi donner envie de consommer autrement, mieux, de façon plus vertueuse. »

C’est là que nous autres communicants avons un rôle à jouer.

En créant un nouvel imaginaire qui va aider les individus à redéfinir leur propre manière de consommer. C’est ce que j’appelle la D Com (Détox Communication).

Comment pouvons-nous agir ? En aidant les marques à repenser les liens avec leurs clients et prospects. Pour leur vendre, non pas plus, mais mieux.

C’est ce qu’à fait par exemple Interbev avec sa campagne « aimez la viande, mangez-en mieux » (agence Ogilvy), en passant d’une logique de volume à une logique de valeur.

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 Pour mener à bien cette D Com, il faut s’attaquer à 3 chantiers :

1)    Mettre en avant la désirabilité de la marque en général et non d’un produit en particulier. C’est au consommateur d’être maître de sa consommation. En revanche, nous voulons qu’il choisisse notre marque au moment de sa décision d’achat.

On pense là bien entendu à tous les outils de brand content et de storytelling, sous toutes ses formes. Divertir et/ou être utile plutôt qu’un discours commercial basique.

2)    Redéfinir, dans les prises de parole, la notion même de désir. Il doit être synonyme d’un plaisir en soi (qui peut être individuel ou collectif) et non d’un acte de valorisation sociale. Consommer pour avoir une existence, un rang social aux yeux des autres, voilà un discours « d’avant ».

3)    Repenser le lien commercial avec ses clients et prospects. Comment animer ses ventes sans pousser à la surconsommation ? Que faire des soldes, des actions de parrainage, des programmes promotionnels ou de fidélité ? Dès 2011, Patagonia avait déjà assumé une parole forte avec le célèbre « Don’t buy this jacket », dont on oublie trop souvent que l’annonce était sortie dans le supplément « Black Friday » du New York Times. C’était une véritable prise de position universelle sur la société de consommation. Aujourd’hui d’autres marques « résistent ». Maison Standards par exemple avec un discours assumé sur « Refusons les soldes », pour une politique de prix justes toute l’année.

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En plus, ce type de communication a de multiples avantages.

Pour les marques tout d’abord. Surtout pour l’efficacité de leurs communications : très rapidement les discours d’engagements seront tellement banals qu’ils n’assureront plus ni différenciation, ni préférence de marque. Une marque qui a su assumer un lien fort avec ses clients en appelant à une consommation raisonnée saura se démarquer.

Et puis une communication tournée en priorité vers la société et l’individu, n’est-ce pas le meilleur moyen de redonner confiance aux consommateurs, à la fois envers la communication et la marque qui signe le message ?

En retrouvant un objectif respectable, la com se fait du bien à elle aussi. Au moral, mais pas que : en redorant notre image, il sera plus simple d’attirer de nouveau les meilleurs talents. Plus que jamais, nous en avons besoin.

La pub pour accélérer la néo-consommation (je préfère ce terme à « déconsommation » pour éviter les débats sur la viabilité économique de la démarche). Que Jean-Marie Dru me foudroie si ce n’est pas disruptif !

Pas de solutions toutes faites bien sûr. C’est du sur-mesure, parfait pour notre secteur d’artisans. Travaillons avec chaque marque, avec des méthodes participatives, collectives pour adapter chaque discours, structurer chaque action.

Sortons de la com classique pour toucher au mieux les individus et les convaincre de consommer autrement : services, événements, partenariats,... Nous avons 2 types d’avantages exclusifs : nous savons anticiper les tendances et nous regorgeons d’esprits stratégiques et créatifs. Je suis persuadé que nous pouvons être un formidable laboratoire d’idées vertueuses.

Je ne sais pas vous, mais moi, je trouve cette opportunité d’évolution de nos métiers ultra-motivante. Je remercie les premières marques qui ont décidé d’initier ce travail avec moi.

J’espère que l’on sera bientôt très nombreux à agir dans le même sens.












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Mélanie SEVILLA

🌟 Facilitatrice : Stratégie | engagement collaborateurs | RSE - Profil Atypique

4 ans

Enthousiasme partagé ! Nul besoin de convaincre la totalité des acteurs. Il suffit d'une poignée plein d'énergie pour faire changer les choses. Cette poignée existe et à bel et bien de nouvelles idées, toujours de l'envie pour révolutionner nos métiers, avec plus d'humain, de cohérence et de bienveillance, envers nous-même, envers les consommateurs, envers l'environnement. C'est en marche ! Et je confirme : quel plaisir de pouvoir y contribuer et vivre ces changements ! merci pour cet article guillaume allilaire

jean yves antigny

Contenu et data marketing - CRM, BI et Marketing digital - Vulgarisateur du digital

4 ans

Je pense qu'un mouvement plus "responsable" (enfin je le souhaite) est lancé dans notre génération de quadra. en tant que passionné du métier, je milite pour un slow content, une approche plus ciblée et plus pérenne. En quelques mots : la culture de la patience et du long terme ...même si je sais qu'il s'agit d'un voeu pieux.

Bénédicte DELU DE CAL

Coach certifiée & Consultante RSE || BCorp, Raison d'Être, Société à Mission || Conduite du Changement // Convention des Entreprises pour le Climat

4 ans

Tu viens en parler devant mes étudiants de Master spé ?!

Hélène Sagné

Founding Director - Impact brands strategy by training - Sustainable business entrepreneur by choice - Regenerative forestry by passion

4 ans

J ai bien aimé ton clin d œil à la sobriété numérique et aux sites eco conçus 😏 la com sera Digital Green ou ne sera pas....

Caroline Chapel

Conseil, Formation & Facilitation en Intelligence Collective dans divers domaines: - UX Design et CX Design - Transformation Numérique - Accompagnement au changement - Management Visuel - Agilité

4 ans

Contente de voir que le Design centré utilisateur investit de plus en plus tous les domaines pour redonner du sens, de la valeur et rétablir un peu de sobriété dont nous faisons tant défaut - on voit ce qu'on pollue sur terre mais pas ce qu'on pollue sur le Cloud et on commence seulement à s'en soucier avec 20 ans de retard - Le Design a le pouvoir de changer le monde tel qu'il fonctionne aujourd'hui - qu'il s'applique à la Com, aux produits, services, interfaces, processus, ressources, systèmes, espaces ... Bref, on a de beaux challenges à relever pour conceptualiser et concevoir le monde d'après ...

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