Dans la tête d'un entrepreneur

Dans la tête d'un entrepreneur

Dans le monde de l'entreprise, il est indispensable de distinguer les prises de décision froides des prises de décision chaudes. Les premières concernent principalement les processus de réflexion "émotionnellement neutres" qu'un manager doit parfois solliciter dans l'exercice de ses fonctions : par exemple, pour planifier les étapes administratives qui seront nécessaires afin d'ouvrir une nouvelle branche de la compagnie.

Le second type de prises de décision se réfère aux processus où il y a évaluation entre gains et pertes potentiels, et ces décisions s'accompagnent généralement de vécus émotionnels forts dus à la prise de risque qui leur est inhérente : par exemple, décider de financer une opportunité de business parmi de nombreuses autres tout aussi intéressantes, potentiellement.

Bien que des travaux en psychologie, ou dans le domaine biomédical, aient associé la prise de risque à une expression anormale du comportement humain (notamment pour le cas des addictions), force est de constater que celle-ci est un facteur essentiel à la créativité et à l'innovation, elles-mêmes vecteurs de croissance économique et donc d'emploi. Par ailleurs, les entrepreneurs se distinguent d'autres managers - à compétences intellectuelles, éducatives, et socio-culturelles équivalentes - par leur propension à prendre des risques et d'en assumer les conséquences. Alors quid des entrepreneurs : risk-addict ou risk-resilient ? C'est à cette question, notamment, qu'ont essayé de répondre Andrew Lawrence et ses collègues dans un article de synthèse paru il y a quelques temps maintenant dans l'excellente revue Nature (un résumé de l'article en anglais est disponible ici).

S'il y a toujours un débat scientifique quant à la distinction entre "cognition froide" et "cognition chaude", des données en neurosciences militent en faveur de l'existence de deux réseaux cérébraux distincts qui, chacun, sous-tend un type de processus précis : un de ces réseaux - celui des processus décisionnels froids - est "découplé" du système cérébral qui traite des émotions, tandis que l'autre - celui des processus décisionnels chauds - est intimement lié à ce dernier. Les entrepreneurs s'appuieraient-ils davantage sur un réseau plutôt que l'autre pour expliquer leur propension au risque ? Peut-être. La question reste à ce jour ouverte.

Ce que les travaux scientifiques ont cependant trouvé, c'est que dès qu'il s'agit de prise de décision chaudes, les entrepreneurs se distinguent clairement des autres managers, non quant au fait de prendre des risques à proprement parlé, mais dans la "quantité" de risque pris (cette distinction disparait pour les prises de décision froides). En d'autres termes, les risques pris par les entrepreneurs sont plus "osés" que ceux des managers.

Les travaux cités dans l'article montrent aussi que l'audace des entrepreneurs s'explique davantage par leur capacité de résilience face aux risques encourus - notamment, de perte - que par une recherche quasi-addictive de situations risquées à proprement parlé. Les chercheurs ont noté en effet une plus grande impulsivité fonctionnelle chez les entrepreneurs - ce qui leur confère un avantage "évolutionnaire" pour capitaliser sur des niches de leur environnement, notamment -, et des capacités de flexibilité cognitive accrues qui leur permettent de corriger leurs stratégies presque instantanément afin de s'adapter aux contraintes fluctuantes du milieu dans lequel ils se trouvent.

Cependant, la question de fond que pose l'article d'Andrew Lawrence et coll. est de savoir si ces compétences entrepreneuriales sont "innées", ou si elles peuvent être acquises et dans ce cas, possiblement enseignées au "tout venant" ? Notre expérience de chercheurs en sciences du comportement nous pousse à croire que dès qu'il s'agit de traits psychologiques, les choses ne sont pas si dichotomiques qu'il n'y parait.

En effet, plus qu'un programme qui nous inciterai à agir de telle ou telle manière, nous pensons que nos attitudes résultent davantage d'une posture mentale face à une situation donnée, et notamment dans l'adversité (défi, challenge, menace...). Serait-il possible alors de sortir de sa "zone de confort" pour osez franchir ce pas vers l'inconnu... même lorsque nous pensons ne jamais pouvoir y arriver ? Oui. Et si nous bloquons c'est essentiellement à cause de deux facteurs naturels que notre pensée rationnelle refuse catégoriquement d'intégrer : la peur, et la chance. Si nous les intégrons comme éléments normaux de l'équation de la vie, alors l'audace peut nous donner les ailes qui nous manquent pour entreprendre bien des choses.

Si vous souhaitez allez plus loin sur ce sujet passionnant, je vous conseille vivement de faire un petit tour chez mes collègues - et non moins amis - de Daredo qui travaillent précisément sur ces thématiques, et viennent d'éditer un livre électronique riche en enseignements portant sur ce sujet (la première partie est en téléchargement gratuit, ce serait dommage de ne pas en profiter). Loin d'être une méthode Coué adaptée à l'audace qui se résumerait à un "Quand on veut on peut, et quand on peut on doit", ce livre fourmille d'exemples précis et de conseils clairs, tous appuyés par de nombreuses sources scientifiques... et ce en réalisant l'exploit de rester très accessible.

Dans Les Tontons Flingueurs Michel Audiart posait cette fameuse réplique dans la bouche de Lino Ventura : "Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait."  Avouez quand même, de vous à moi, que les Volfoni (Bernard Blier et Jean Lefèbvre) était de piètres entrepreneurs. C'est sur ces réflexions philosophiques que je vous laisserai donc.

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