"Dans les secrets d'un chasseur de têtes..." Interview d'Igor Quezel-Perron
Je reçois avant les vacances Igor Quézel- Perron, du cabinet Éric Salmon & Partners. Le sujet de cette chronique sera « Dans les secrets d’un chasseur de tête ». Le but est de balayer les idées reçues, de faire un état du marché de l’emploi aujourd’hui et d’expliquer ce que les professionnels du recrutement ne disent pas.
Mireille Garolla : Merci de vous prêter à cet exercice. L’idée est de partager les conseils qu’un professionnel de l’Exécutive Search pourrait donner à un candidat et balayer tous les poncifs et les idées reçues sur ce qu’on peut attendre d’un cabinet de recrutement de haut niveau. Tout d’abord, y a-t-il des critères d’âge pour s’adresser à un cabinet d’Executive Search ?
Igor Quézel Perron : Pour s’adresser à un cabinet de recrutement de cadres dirigeants, il faut a minima 35 ans. Les quelques postes que nous avons à partir de cet âge sont par exemple des responsabilités de chef de cabinet ou de jeune partner dans le conseil. Mais je crois que vous voulez toucher au sujet concernant l’âge maximum. La France est le vilain canard de l’Europe en ce qui concerne l’emploi des seniors, même si la capacité à trouver un emploi pour les 50-60 ans s’améliore aujourd’hui. Dans le discours, nos clients sont ouverts, mais la réalité est toute autre. On arrive donc à une situation aberrante : les chasseurs de tête devraient présenter des candidats majoritairement entre 38 et 50 ans. La vie professionnelle durerait une dizaine d’années, ce qui pose un vrai problème social. L’évolution en France est trop lente.
MG : Quel conseil donneriez-vous à des candidats en fonction de leurs classes d’âge ?
IQP : Jusqu’à 35 ans, les opportunités sont là. On a vécu des périodes plus glorieuses, mais à cet âge, les entreprises sont dans une logique d’investissement, et ce marché est actif. Cependant, on reste dans un marché de clients, c'est-à-dire où les entreprises ont le pouvoir. Ce marché s’est, plus généralement, radicalisé sur des parcours lisses, linéaires, sans heurts, alors que ces derniers sont de plus en plus rares compte tenu des transformations accélérées que connaissent les entreprises.
En parlant de conseil à donner, j’ai récemment discuté avec un DRH de 55 ans qui s’est retrouvé sur le marché. La leçon qu’il a tirée de sa recherche, selon ses mots, c’est « volume ». Il lui a fallu 100 contacts pour obtenir 10 pistes, et finalement 1 offre. Là où il fallait en 2007, période encore faste, 30 à 40 contacts pour avoir 2 à 3 opportunités solides, il en faut aujourd’hui 3 à 4 fois plus, pour le même résultat. L’énergie nécessaire à déployer pour décrocher un emploi n’est pas du tout du même ordre.
A propos des techniques d’approche, le mail offre parfois trop de facilité, et nos boîtes de réception sont engorgées. Les emails manquent surtout de personnalisation, d’un minimum de travail fait sur la personne ciblée. Parfois, je vois même que les autres chasseurs de tête sont en copie, ce qui accentue l’impression de campagne publicitaire peu ciblée. L’email ne doit pas s’affranchir d’une approche de qualité. Un email de 4-5 lignes est suffisant pour effectuer une approche personnalisée et une présentation de sa différentiation. Le volume nécessaire à une démarche de recherche d’emploi ne peut s’affranchir d’une démarche très qualitative. Le volume doit être intelligent.
MG : Entendu. Ces remarques sont pour les personnes qui s’adressent à votre cabinet d’Executive Search. Mais, que diriez-vous aux jeunes qui ne s’adressent pas à ce type de cabinet, aux personnes de plus de 57 ans environ. Ils passent par des cabinets de recrutement parfois. Mais c’est compliqué. Ils passent sinon par LinkedIn et Viadeo. Pour ces 2 catégories extrêmes dont on parle beaucoup en France, quels trucs et astuces auriez-vous à partager pour se différencier. Si l’effet volume joue pour les catégories employables dont vous parliez, que peuvent-ils faire de plus?
IQP : Malheureusement, il n’y a pas de baguette magique sur le marché. Les candidats aimeraient qu’on leur donne les 2-3 conseils qui vont tout régler. Pour ces deux catégories, mes conseils s’appliquent. Cela me fait penser à ma fille qui fait une école de commerce, et qui me dit qu’il n’y a plus de stage en France. Elle me dit accablée qu’elle a déjà envoyé 9 emails ! Je lui explique donc aussi l’importance du « volume » de contact.
Quant à la situation des jeunes, les entreprises cherchent toujours des jeunes avec des têtes bien faites, diplômées ou pas. Elles ne passent pas forcément par des recruteurs. Il y a pour les jeunes – et les moins jeunes- des opportunités à l’international ou dans les PME. Il y a quelque chose de surprenant dans les études scolaires : on ne passe que très peu de temps à se demander comment approcher le marché du travail. Avant, lorsque le marché du travail était facile jusqu’en 1991, ce travail était peut-être moins nécessaire. Aujourd’hui, il l’est ! Ce que les jeunes doivent absolument faire, c’est commencer par se connaitre, définir en termes généraux ce qu’ils aiment. Il en découlera pour eux un choix meilleur quant à leur future orientation.
MG : Personne ne demande de faire ce type de travail. Même des personnes de 50 ans. Ils ne se demandent pas qui ils sont et ce qu’ils peuvent apporter. Certains arrivent avec une approche de couteau suisse en précisant qu’ils peuvent tout faire. Le DRH doit choisir. Et dans ce cas, la réponse est facile. Pour tel poste, on leur dit qu’une expérience n’a pas été assez approfondie ; qu’une autre expérience a été faite à un mauvais moment. La personne est de facto recalée. La première chose que je demande à mes clients est de fermer leur éventail. Définissez ce que vous êtes ou au moins ce que vous n’êtes pas. A partir de là, vous éviterez de vous faire recaler pour des choses que vous n’avez pas envie de faire. Ce sera meilleur pour le moral.
IQP : Je suis parfaitement d’accord. J’ajouterais qu’il est parfois difficile de savoir ce que l’on veut.
MG : Je serai hors job si cela était facile !!
IQP : Et cela peut arriver à 25, 40 et 50 ans. On ne sait plus. Le marché vous a exclu. On a des rêves pour tel ou tel secteur, dans un moment de rupture peu apte à une projection murement réfléchie. Un chasseur ne peut pas travailler à la fois sur le versant personnel et professionnel. Le candidat doit avoir fait ce travail préalable, connaître du moins ses motivations, afin de concilier projet personnel et professionnel.
MG : La personne doit prendre les deux. Sinon, il y a un « mismatch ».
Tout à fait. Et, le « match » c’est quoi ? C’est la convergence entre un projet personnel et un marché. La personne doit, avant tout, savoir si elle veut être dompteur de lion ou CFO. Et prendre conscience ensuite que le marché est plus petit si on veut être dompteur de lion. Parfois, on est perdu, surtout à l’issue d’une expérience difficile. Et dans ce cas, il y a des personnes comme vous, Mireille, qui aidez à prendre du recul et à reprendre confiance dans son projet personnel et professionnel.
Une fois que l’on sait ce que l’on veut et que l’on connait son marché, une bonne partie du problème est résolue. Il faut ensuite batailler. Il y a toujours un marché, c'est-à-dire un job, pour quelqu’un qui a une démarche et un projet précis. Cela fonctionne quand les démarches sont actives, authentiques et optimistes, que les projets sont précis, et qu’on connaît les deux ou trois choses que l’on aime faire. Après, tous les chemins ne sont pas linéaires et les embuches sont présentes. Dans l’économie actuelle, en réalité, on apprend la nécessité de se reconfigurer, l’échec. Dans nos études, on ne parle pas d’échec.
Dans ce contexte, notre but est surtout de leur donner des clefs pour se repositionner.
MG : le deuxième grand thème que je voulais aborder était la flexibilité des parcours et des métiers ; La France apparait comme étant très rigide sur ce point ? Y a-t-il une amélioration?
IQP : Non, je crois que c’est l’inverse !
Dans le discours, certains DRH sont ouverts. Ils nous demandent d’être créatifs dans la recherche d’un profil. Ils nous demandent de rechercher des compétences plus que des parcours. Ils aimeraient avoir dans la short list des profils auxquels ils n’auraient pas pensé. Donc, dans les mentalités oui, il y a une évolution.
Seulement, la crise a l’effet inverse. Quand on compte les investissements, quand les décisions sont collectives, quand on a besoin de se réassurer et quand le marché le permet, on se crispe sur les critères. Dans la réalité, c’est difficile de faire passer quelqu’un qui n’a pas toutes les expériences requises mais pourtant une personnalité et des compétences adaptées. On doit batailler pour cela. Et c’est notre rôle. Mais, cela reste toujours beaucoup plus difficile que dans les pays anglo-saxons. C’est dommage. Et, je dirais même que c’est un drame humain.
MG : Je pense à un parcours très particulier. C’est celui de l’entrepreneuriat. J’ai beaucoup de clients qui y pensent. Que conseillerez-vous à quelqu’un qui a essayé de lancer sa société ou qui va se lancer dans l’entrepreneuriat ? Que ce soit en création ou en reprise d’entreprise. Et, comment valorisez-vous l’essai de quelqu’un qui vient de subir un échec ?
IQP : C’est une question importante car, effectivement, certains en difficulté et pétrifiés par le marché de l’emploi se disent : pourquoi ne pas créer une société ? Excellente idée, il faut des entrepreneurs d’un point de vue macroéconomique. Mais cela nécessite une capacité de rebond, un optimisme et une capacité d’adaptation à tout crin !! Il faut se tester sur ces qualités. Car, dès le premier jour, un entrepreneur va faire face à trois ou quatre évènements qui vont lui dire que cela ne va pas marcher. Cela peut être lié à son entourage, son produit ou son marché. La persévérance dans l’entreprenariat est un grand sujet. Un mental d’acier et un projet précis sont nécessaires. Et il faut savoir se réinventer en permanence. Le business model de départ n’est pas toujours le même à l’arrivée. C’est important de préciser le temps qu’on se donne et de se lancer en prenant en compte ses limites financières. Sans cela, il peut y avoir le risque de mettre en péril toute sa famille. Ensuite, est-ce que je le valorise en tant que chasseur ? Oui, évidement! Prendre des risques, persévérer, se battre seul, c’est remarquable. Il y a tant de cas de réussite alors que personne n’y croyait. J’ai autour de moi des amis de 50 ans en qui personne ne croyait. Et finalement, ça marche. Dans tous les cas, il y a un prérequis : avez-vous le mental pour le faire ? Et puis, ensuite, il faut avoir l’honnêteté de se dire j’arrête et je recommence ma vie dans une entreprise. Ceux qui ont mesuré tout cela, ceux qui ont vraiment envie, allez-y !
MG : Aujourd’hui, pensez-vous que certains secteurs ou certaines fonctions sont plus demandées que d’autres ?
IQP : En France, le secteur de la santé se porte bien. Idem pour la distribution, du fait de la remise en cause des business-models avec le développement du e-commerce. Il y a un peu moins d’opportunités dans l’industrie en France. Toutefois, l’approche macro-économique, quand on recherche un poste, a ses limites. Il suffit d’une opportunité à l’échelle d’un individu.
MG : Que conseillerez-vous à quelqu’un qui a fait un type de poste pour une société étrangère dans les 10 dernières années et qui est rentré dans son pays ? Lui conseillerez-vous de changer de poste ou de réessayer le même poste dans une société française ?
IQP : En France, il est difficile de changer de secteur et de métier. Les recruteurs qui essaieront d’analyser rationnellement son parcours professionnel donneront peu de degrés de liberté. Par le réseau, on peut faire des rencontres plus créatives, et mettre en avant ses compétences, sa personnalité, ce qui ouvre plus d’horizons. A nouveau, il faut avoir un projet et démontrer ses capacités.
MG : Etes-vous appelés pour des missions autres que des recherches de salariés en CDI ? Des CDD, des conseils à d’administration, tout autre chose que le CDI dont on dit qu’il est mort ?
IQP : Le CDI classique n’est pas si mort que cela. Nous conduisons également des recherches d’administrateurs pour des sociétés de taille diverse. Nous avons également une offre d’évaluation de conseils d’administration, et d’évaluation de dirigeants.
CFO Division Africa/Middle East/ Asia at Lactalis Group
9 ansInterview très intéressante. Je partage les analyses.