De la Chine à l’Inde, il n’y a qu’un pas ? (My next press article)
La Chine est aujourd’hui la plus grande puissance commerciale, à la fois en volume et en valeur, mais parviendra-t-elle à rester le partenaire commercial incontournable du monde occidental ? Plus grande démocratie du monde, l’Inde n’a-t-elle pas l’occasion unique de combler son retard économique sur sa grande rivale face aux tensions géopolitiques et aux défis que la Chine doit encore relever ?
Lors de la Conférence de Belgrade en 1961, l’Inde avait joué un rôle crucial dans le lancement du mouvement des pays non-alignés, contrairement à la Chine qui ne l’avait rejoint qu’en 1975. L’avant-gardisme politique du premier ministre indien Jawaharlal Nehru n’aura finalement pas répondu aux attentes du pays. C’est avant tout l’avant-gardisme économique de Deng Xiaoping que l’Histoire retiendra.
Sa campagne de séduction en 1979, au cours de laquelle il rencontre le président Jimmy Carter, visite la NASA à Houston, les sièges de Boeing et de Coca-Cola, est un succès diplomatique évident. Profitant de la rivalité entre la Russie et les Etats-Unis, la Chine parvient à normaliser ses relations diplomatiques et à renforcer ses échanges économiques. Deng ambitionne de faire avancer les « quatre modernisations » de l’économie chinoise : industrie et commerce, éducation, organisation militaire et agriculture. La priorité n’est plus l’idéologie communiste. Le message de Deng au peuple chinois est clair : « Il est bon de s’enrichir ». « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape la souris, c’est un bon chat », avait-il osé affirmer aux lendemains de l’échec dramatique du « Grand Bond en avant », campagne lancée par Mao Zedong, qui avait abouti à la collectivisation agricole, la formation de communes populaires et la décentralisation de la production industrielle dans les zones rurales. Déjà à cette époque, au début de la Révolution culturelle en Chine en 1966, Deng avait été accusé de « promouvoir le capitalisme » et de s'opposer aux idéaux communistes. Sa femme et lui seront même placés en résidence surveillée à Pékin en 1968. Deng décède en 1997. Il n’assistera pas, quatre ans plus tard, à l’adhésion de la Chine à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
La situation a bien changé depuis 2001. La Chine a perdu 850 000 habitants en 2022, du jamais vu depuis la tragédie du « Grand Bond en avant ». Cette baisse concerne à la fois la population active et le nombre de naissances si bien que la population de l'Inde devrait dépasser celle de la Chine à la fin de cette année. La croissance de la productivité, sans laquelle le revenu par habitant ne peut pas durablement augmenter, passera de 8,5 % durant la décennie 2000 à moins de 2 % en 2030. La Chine est également mal préparée au vieillissement rapide de sa population qui accumule une épargne de précaution dépassant 30% du revenu brut, épargne d’autant plus forte que les systèmes de retraite et de santé sont sous dimensionnés. Cette épargne de précaution, mal orientée, favorise l’hypertrophie de l’industrie de la construction et de l’immobilier résidentiel. La baisse de la contribution de la Chine à la croissance du PIB mondial est inexorable. La Chine ne pourra plus tirer à elle seule la croissance mondiale. L’Inde le peut-elle ?
La croissance économique de l’Inde bénéficie actuellement de la force de sa consommation et de son investissement privé. Son secteur « IT » est florissant. La croissance de la productivité y est bien plus élevée qu’en Chine et le restera. L’Inde est également devenue une économie très ouverte : ses importations représentent 30 % du PIB. L’Inde pâtit néanmoins d’un faible niveau d’éducation : environ 35 % de la population n’ont pas terminé ses études primaires. Plus de 60 % de la population continuent de travailler dans le secteur agricole. Tout aussi préoccupant est la baisse du taux d’emploi depuis plus de 20 ans : pour les hommes, il est passé de 78 % en 2000 à 66 % l’année dernière et de 29 % à 18 % pour les femmes. La structure fédérale du pays est d’une complexité administrative redoutable, ce qui freine l’accès au marché indien, sans compter la vingtaine de langues régionales que l’hindi n’a pas remplacées dans les zones rurales. Enfin et surtout, son revenu par tête ne représente que le cinquième de celui de la Chine. Le poids de son économie sur le plan mondial ne représente que 30 à 40 % de l’économie chinoise.
L’économie indienne n’est actuellement pas capable de remplacer la Chine comme principal moteur de la croissance mondiale. Peut-elle néanmoins la remplacer dans les portefeuilles des grands investisseurs institutionnels ? De 2000 à aujourd’hui, la performance de l’indice Sensex de la bourse de Bombay, mesurée en euros, a dépassé celle de l’indice de Shanghai de 214 p%, soit 3,33 p% par an. Quant à l’indice Hang Seng de Hong Kong, il a fait du surplace et porte désormais très mal son nom : « Hang Seng » signifie « en croissance continue ». Le statut de « région administrative spéciale de la République populaire de Chine », acquis en 1997 sur la base du fameux principe « un pays, deux systèmes », n’aura pas servi les intérêts boursiers de Hong Kong. Investir dans l’indice Sensex plutôt que dans l’indice Hang Seng depuis 2000 aurait conduit à un surplus de rendement annualisé égal à 12 % environ. Cela laisse rêveur, sachant que la volatilité de ces trois indices est similaire et proche de 20 %. L’Inde boursière a indubitablement fait ses preuves.
Quand il s’agit de prendre des décisions d’investissement, priment la situation macroéconomique, la direction des flux de capitaux, la capacité des entreprises à générer de la croissance profitable, et le hasard, ne l’oublions jamais, que Sénèque considérait comme « le mariage de l'opportunité et de la préparation ». Sagesse universelle, elle vaut autant pour la Chine que pour l’Inde.
Mikael PETITJEAN, Professeur (UCLouvain) et Chief Economist (Waterloo Asset Management)
Recommandé par LinkedIn
Is it a short step from China to India?
China is now the world's largest trading power, both in terms of volume and value, but will it manage to remain the Western world's key trading partner? As the world's largest democracy, does India not have a unique opportunity to catch up economically with its great rival in the face of geopolitical tensions and challenges that China still faces?
At the Belgrade Conference in 1961, India played a crucial role in launching the non-aligned movement, unlike China, which joined only in 1975. The political vanguardism of Indian Prime Minister Jawaharlal Nehru ultimately failed to meet the country's expectations. It is above all the economic avant-gardism of Deng Xiaoping that history will remember.
His campaign of seduction in 1979, during which he met President Jimmy Carter, visited NASA in Houston and the headquarters of Boeing and Coca-Cola, was an obvious diplomatic success. Taking advantage of the rivalry between Russia and the United States, China managed to normalise its diplomatic relations and strengthen its economic exchanges. Deng's ambition is to advance the 'four modernisations' of the Chinese economy: industry and commerce, education, military organisation and agriculture. The priority is no longer communist ideology. Deng's message to the Chinese people is clear: "It is good to get rich". "It doesn't matter if a cat is black or white, if it catches a mouse, it's a good cat", he dared to say in the aftermath of the dramatic failure of the "Great Leap Forward", a campaign launched by Mao Zedong, which had led to agricultural collectivisation, the formation of people's communes and the decentralisation of industrial production in rural areas. Already at that time, at the beginning of the Cultural Revolution in China in 1966, Deng was accused of "promoting capitalism" and opposing communist ideals. He and his wife were even placed under house arrest in Beijing in 1968. Deng died in 1997. Four years later, he did not attend China's accession to the World Trade Organisation (WTO).
The situation has changed significantly since 2001. China has lost 850,000 people by 2022, the first time this has happened since the tragedy of the Great Leap Forward. The decline is in both the working population and the number of births, so that India's population is expected to exceed China's by the end of this year. Productivity growth, without which per capita income cannot sustainably increase, will fall from 8.5% in the decade 2000 to less than 2% in 2030. China is also ill-prepared for the rapid ageing of its population, which is accumulating precautionary savings in excess of 30% of gross income, savings that are all the greater because the pension and health systems are under-sized. These precautionary savings, which are poorly directed, encourage the hypertrophy of the construction industry and residential property. The decline in China's contribution to global GDP growth is inexorable. China will no longer be able to drive global growth on its own. Can India?
India's economic growth is currently driven by the strength of its consumption and private investment. Its IT sector is flourishing. Productivity growth is much higher than in China and will remain so. India has also become a very open economy, with imports accounting for 30% of GDP. However, India suffers from a low level of education: about 35% of the population has not completed primary school. More than 60% of the population continues to work in the agricultural sector. Equally worrying is the fact that the employment rate has been falling for more than 20 years: for men it has dropped from 78% in 2000 to 66% last year and from 29% to 18% for women. The country's federal structure is dauntingly complex, which hinders access to the Indian market, not to mention the 20 or so regional languages that Hindi has not replaced in rural areas. Last but not least, India's per capita income is only one-fifth that of China. The weight of its economy in the world is only 30-40% of China's.
The Indian economy is not currently capable of replacing China as the main driver of global growth. But can it replace it in the portfolios of large institutional investors? From 2000 to date, the performance of the Bombay Stock Exchange's Sensex index, measured in euros, has outperformed the Shanghai index by 214%, or 3.33% per year. Hong Kong's Hang Seng Index has stalled and now bears its name badly: "Hang Seng" means "continuously growing". The status of "Special Administrative Region of the People's Republic of China", acquired in 1997 on the basis of the famous "one country, two systems" principle, has not served Hong Kong's stock market interests. Investing in the Sensex index rather than the Hang Seng index since 2000 would have led to an annualised excess return of about 12%. This is quite an achievement, given that the volatility of these three indices is similar and close to 20%. Stock market India has undoubtedly proved its worth.
When it comes to making investment decisions, the macroeconomic situation, the direction of capital flows, the ability of companies to generate profitable growth, and chance, which Seneca considered to be "the marriage of opportunity and preparation", take precedence. A universal wisdom, it is as valid for China as for India.
Mikael PETITJEAN, Professor (UCLouvain) and Chief Economist (Waterloo Asset Management)