De la PME Excel Au 4.0
Le constat est accablant. En 2020 l’essentiel du tissu économique industriel (de la TPE a l’ETI) utilise des outils informatiques hors d’âge, totalement inadapté, multipliant les pertes de temps, accumulant les failles de sécurités et interdisant tout usage d’outils de pilotage ou d’interconnexion. Si certaines de ces entreprises sont labélisées d’un pompeux « Transformation numérique 4.0 » c’est souvent sur une fonction bien spécifique de l’entreprise (Production, R&D ou Web BtoC) mais en arrière-plan le fonctionnement reste bien trop souvent archaïque.
Un président de chambre de commerce me commentais il y a quelques années l’évolution du niveau d’informatisation dans la société en général depuis l’arrivée des PC grand public ( 1995 en gros ) :
« Dans les années 1995-2005 on a un tissu industriel qui s’informatise massivement, achat de PC, mise en place d’outils comptables, d’ERP, de WMS …. C’est l’occasion pour un grand nombre d’éditeurs d’émerger. Pendant ce temps, la population entre doucement dans l’ère de l’informatique à la faveur de la baisse des prix, intégrant petit à petit les PC, les téléphones, internet avant les smartphones. La fonction publique reste alors très en retard. Sur équipée en personnel, très prudente sur la sécurité des données, en sous-formation chronique, peu de service sont correctement équipés avec des systèmes performants. A partir des années 2005-2010 et avec la réduction drastique du nombre de fonctionnaires l’administration commence à s’équiper. Mettant en place, en tâtonnant souvent, des SI de plus en plus performants et efficaces. Hôpitaux, bases de données financières, administratives, croisement de fichier, le niveau ne cesse de progresser en transformant les salaires en investissements informatiques. Pour le tissu économique il en va tout autrement. Echaudé par des mises en place couteuses qui se sont avérées peu efficaces, affolé par les budgets engendrés (sans analyse des ROI le plus souvent), ne maitrisant pas les technologies ou même le vocabulaire, les PME/ETI industrielles ont laissé complétement de côté le volet informatisation. Ils Investissent cependant correctement dans les secteurs clés de l’informatique comme les sites Web BtoC ou quelques fonctions métiers critiques. Les notions d’ERP, de Système d’information, de conduite du changement sont devenues anxiogène pour beaucoup. »
Ce diagnostic date de 2016, alors que je reprenais ma casquette de consultant. Je ne l’ai pas cru … J’avais raison. La réalité est bien pire.
Un diagnostic terrifiant
J’étais consultant pour un intégrateur ERP à la fin du siècle dernier. Alors que l’on passait les parcs informatiques sur du réseau IP et que l’on équipait tout cela de Windows NT. Il n’était pas alors étonnant d’arriver dans une entreprise de 150 personnes avec un unique PC contenant la comptabilité et la paye. Tout le reste du processus de l’entreprise était encore souvent sur papier. De la réception des commandes par fax aux photocopies de fiches de fabrication. J’ai ensuite passé 10 ans comme DSI de plusieurs petites PME Industrielles pour les aider à optimiser leurs processus à partir des outils informatiques : Site Web, ERP, CRM, WMS, MES, CAO, CFAO … choisir le bon outil en fonction du besoin et du ROI, le mettre au bon endroit, l’intégrer correctement dans l’entreprise et le faire vivre pour en tirer un réel bénéfice. Le job normal d’un DSI avec une grande couverture fonctionnelle puisque dans ces PME on s’occupe à la fois du PC à dépanner et de la mise en œuvre des projets. J’imaginais, sans doute naïvement, qu’il en était de même dans toutes les PME de France qui, poussées par la nécessité d’être réactives a la concurrence, agiles (c’est le terme à la mode), performantes sur leurs marchés, mettaient sur la table le budget nécessaire et suffisant à l’amélioration de leur SI.
Je tombe de haut quand je vois l’état de l’informatisation de ce secteur de l’économie. Je parle ici des TPE/PME voir ETI industrielles de moins de 150/200 salariés qui n’ont pas de DSI et dont le système informatique repose sur la compétence ( et la motivation ) d’un cadre qui a autre chose à faire ( souvent le DAF ou pire, le PDG ), dans le meilleur des cas sur un prestataire réseau et sur les intégrateurs de solutions logiciels.
L’objet ici reste les PME industrielles, je ne parlerai donc pas des autres secteurs de l’économie, et l’ensemble des consultants de ce secteur fond a peut près le même constat.
L’équipement (l’infrastructure dans son ensemble) de ces entreprises est, la plupart du temps, relativement correct. Les PC ne coutent plus grand-chose, les équiper de bureautique et de messageries non plus, satisfaire des collaborateurs qui utilisent du matériel obsolète est relativement simple, peu couteux et la plupart des gens savent maintenant utiliser ces outils sans formation supplémentaire. C’est du Plug and play, le collaborateur arrive, on appelle le prestataire qui installe la machine, 48 heures plus tard le nouveau venu à accès aux données de l’entreprise et a sa messagerie. Jusque-là tout va bien. Idem lorsque l’on regarde dans les bureaux de la comptabilité/finance. Les normes légales sont telles qu’en général les logiciels sont correctement implémenter et fonctionne plutôt bien. Mais quand on commence à regarder l’intégration des processus fonctionnels métiers de l’entreprise on découvre des choses aberrantes en 2020.
On tombe encore très régulièrement sur des flux totalement papier que ce soit des gestions commerciales ou de production ( pour des CA de 15 M€ ). Au mieux les données sont traitées sous Excel avec des macro–commandes monstrueuses que personne ne veut plus toucher et donc qui s’accompagnent d’une foule de tableaux annexes. Je pourrai mettre dix pages d’exemples avec des situations encore plus absurdes.
Les pertes de temps des collaborateurs sont ahurissantes entre la recherche de document et les ressaisies d’information en double ou en triple. La direction est bien sur incapable de consolider quoique ce soit et le pilotage de l’entreprise se fait a vu de nez ou à partir d’informations probablement totalement erronées et en général obsolètes.
On est très, très loin des outils de BI et d’analyse par intelligence artificielle des flux de données vantées dans tant d’articles. Que veut dire pour eux l’entreprise 4.0 ? On commence seulement à voir pointer quelques dirigeants quadragénaires capables d’appréhender les outils Saas sur des parties de leurs processus.
Finalement les entreprises françaises qui arrivent à gagner de l’argent et des marchés dans des conditions comme celles-là montrent leur niveau de performance par ailleurs.
Souvent, je l’ai dit, ces entreprises ont des secteurs correctement équipés. Les outils Web clients, la CRM, la gestion du stock, le MES ... En fonction de leur expertise, l’outil clé de leur différenciation ou de leur processus métier est plutôt correctement implémenté (une CAO , un bout d’ERP pour la production, des gestions de stocks ou une WMS ) avec plein de trous dans la raquette fonctionnelle dus a des flux mal maitrisés mais cela reste opérationnel et stratégique.
Pour les plus grosses entreprises le constat est souvent moins sévère. Si les tableaux Excel fourmillent souvent avec les doubles saisies qui vont avec, il y a le plus souvent un outil qui centralise un minimum l’information avec un SI plus ou moins garant de l’intégrité des données et de l’intégration des différents composant logiciels dans les processus. Des budgets plus élevés leur permettent aussi un accompagnement plus efficient.
Pour les PME c’est souvent les collaborateurs qui tirent le signal d’alarme. Parfois durement lorsque le dirigeant constate un turn-over sur les jeunes recrus qui ne veulent plus travailler sur ces outils obsolètes. C’est souvent ce qui va finir par me faire intervenir dans l’entreprise. La nécessité de conserver ces ressources (ou d’en intégrer des nouvelles) poussent les dirigeants à s’interroger et à prendre du recul sur leurs outils de SI.
Des causes réelles
Une fois ce diagnostic, général et répété, effectué il faut en déterminer les causes. Elles sont bien sur multiples. Financièrement d’abord : l’informatisation de l’entreprise est ressentie par les chefs d’entreprise comme un gouffre financier sans fond qui ne rapporte rien. Lorsque l’on implémente une commande numérique elle fabrique des pieces a une certaine vitesse et a avec un certain niveau de qualité. En définir son ROI est donc plutôt facile. Lorsque je mets de l’argent pour changer d’ERP quelle sera mon ROI ? Mystère. Donc tant que cela fonctionne et que le besoin ne change pas trop, pourquoi dépenser de l’argent inutilement.
Techniquement ensuite : Qu’apportera un ERP de plus que ce que l’on fait déjà très bien sur Excel avec des grosses macros ? Qu’apportera de plus un MES plutôt que mes bonne vielles feuilles remplies a la main et ressaisies ? Bon, j’exagère un peu. Les taches très répétitives de saisie ( heures, stock … ) sont en général un peu mieux informatisées que les autres. Le raisonnement est cependant juste pour beaucoup d’autres outils. La perspective de passer plusieurs mois à mobiliser beaucoup de ressource ne fait pas aller dans le bon sens
C’est chronovore. Etudier de nouveaux outils, mettre en place une conduite de projet, mobiliser des cadres/des key-users déjà surchargés de travail, faire des tests et des recettes, assister à des réunions de maquettage … Ils n’ont simplement pas le temps.
La conduite du changement pour finir : Mettre en place ces outils transverses c’est devoir gérer des conflits latents et des oppositions plus subjectives : le commercial qui a peur de donner ses prospects et de perdre son pouvoir, le DAF et le directeur de production qui ne partagent pas les mêmes objectifs, la comptable qui tient à saisir ces écritures 3 jours par semaine pour ne pas perdre son travail … S’engager dans ces démarches va contraindre le dirigeant à gérer ces problèmes et il n’en a pas forcément l’envie ( ou la compétence )
L’ensemble de ces causes font que le dirigeant préfère le statuquo avec toutes les contraintes que cela lui impose en termes de pilotage. Il ne se rend pas compte que l’outil est justement là, une fois implémenté, pour supprimer la plupart de ces contraintes. Mais il sait ce qu’il a et ne sait pas ce qu’il pourra avoir. Donc il ne bouge que lorsqu’il est certain de là où il va atterrir. Impossible d’embaucher des dessinateurs sans leur fournir des CAO 3D, impossible d’intégrer une nouvelle ligne sans réfléchir a son pilotage numérique … Et puis il est accompagné par la région ou la CCI ou l’Europe pour mettre de la vision 3D dans l’atelier et devenir ‘entreprise 4.0’. Le voilà présenté comme une vitrine high-tech dans la presse que lisent ses clients et ses pairs… Derrière tout ca la gestion de la qualité est faite sur papier et la commande qui vient du site Web est ressaisie dans 3 systèmes …
On prend un chiffre : 39 % des entreprises sont équipées d’un outil de gestion de l’information centralisée. C’est le niveau Européen donc visiblement les autres pays ne sont guère meilleurs que nous et sur ce gros tiers des entreprises combien l’utilisent correctement ? 60 % des entreprises sous équipées !!!! Abyssal je vous l’ai dit …
Une saturation d’information
Comment un chef d’entreprise peut-il faire le tri dans la quantité hallucinante d’information qu’il reçoit en permanence sur le sujet ? Ce n’ai d’abord pas son métier donc l’essentiel des informations n’est même pas intégré et il n’a dans la plupart des cas pas le temps. Si un sujet va vite c’est bien celui des systèmes d’informations. Comment doit il réagir et se projeter devant les à-coups répétés de l’IT : mettre en place un site WEB, avoir un comunity manager, avoir une CRM pour les commerciaux, avoir un ERP pour centraliser l’information, mettre en place une gestion de stock automatisée, du WMS ou de l’EDI pour travailler avec la GMS, suivre ses container en douanes, les IA, la 3D, la mobilité des équipes, les smartphones, la sécurité, la RGPD, les TVA sur les caisses, les nouveaux outils WEB … quelles sont les priorités pour la PME ? Et surtout quelles sont les vraies innovations nécessaire et celles qui tomberont dans l’oubli dans 2 ans comme tant d’autres innovations ? Ou doit-on mettre de l’argent pour pas qu’il soit dilapidé ?
Impossible pour une PME lambda qui n’a que peu de moyen financier, de faire le tri.
La nécessité de l’accompagnement
C’est là que les conseils indépendants ont tout leur intérêt. J’insiste sur ‘indépendant’. Notre rôle est d’apporter à chaque dirigeant un conseil sur mesure en faisant un diagnostic précis de leur situation et en leur proposant un plan d’action qui couvrira tous le spectre des outils SI et des processus de l’entreprise. En prenant en compte l’appétence des équipes aux outils informatiques, la conduite du changement qui sera nécessaire, les budgets et en les rassurants sur les outils qu’ils mettent en places.
Ensuite, surtout, en accompagnant le dirigeant dans la mise en œuvre des solutions. Il n’a, en général, pas la ressource pour piloter le projet, on est là pour l’assurer qu’il n’y ait pas de dérive et que le projet ira bien au bout.
Une réponse moderne et standardisé
Cela passe de plus en plus par une réponse standardisé. Si la doctrine a été longtemps “c’est à l’informatique de s’adapter et non le contraire” elle évolue de plus en plus vers “mes confrères travaillent comme moi donc on s’adaptera a l’outil qu’ils utilisent”. Ce changement est fondamental puisque les dirigeants ne comprennent plus pourquoi il faut 60 jours pour intégrer un ERP alors que leur processus leur parait des plus standards.
De plus, je le disais, les entreprises intègrent maintenant de nombreux outils Saas dans leur flux fonctionnels. CRM, trello, slack … ces produits s’intègrent rapidement, sont la plupart du temps gratuits ou peu couteux, ne demandent pas d’installation et la formation est relativement courte. Pourquoi ce ne serait pas le cas de l’ERP ?
Ces outils sont le plus souvent intégrés de façon informelle et échangent rarement avec les autres outils de l’entreprise reproduisant les phénomènes de multi saisies. Notre travail de conseil est donc maintenant de proposer des solutions qui sont de plus en plus standardisées et qui seront en capacité de dialoguer avec tous ces outils sans pour cela couter des fortunes.
Une dédramatisation
Pour que les PME/ETI industrielles deviennent réellement 4.0 il va surtout falloir que nous arrivions à dédramatiser l’intégration de nouveaux logiciels.
Cela passe en premier lieu par des produits qui ‘parlent’ aux utilisateurs en arrêtant de proposer des solutions qui sont peut-être super riches fonctionnellement (et sous utilisées) mais dont les interfaces sont si vétustes qu’elles rendent l’usage complexe et lourd. Ensuite il faut arrêter de devoir réinventer les processus fonctionnels pour chaque client. La standardisation des processus fera baisser les prix et permettra de consacrer les budgets aux véritables plus-values des entreprises. Pour finir ces produits devront devenir ultra communicants. Cela veut dire qu’ils seront capables de dialoguer avec tous les outils (Saas ou non) naturellement (sans ajouter 10 jours de développement à chaque fois ) et efficacement pour limiter les saisies.
Tout cela n’empêchera pas de devoir piloter la conduite du changement mais aujourd’hui il est plus difficile de former un jeune de 25/30 ans a entré dans un ERP ancien que d’expliquer a un quinqua comment utiliser une application sur son smartphone. L’un doit rejoindre l’autre.
Les solutions d’ERP Saas, standards et communicantes qui s’installeront rapidement et sans heurts ont donc une véritable carte à jouer pour permettre aux industriels français de prendre une longueur d’avance sur leurs concurrents !
ACCDT ERP BZH/20.08.2020
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4 ansTotalement d'accord.
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4 ansBravo et Merci Arnaud pour ces analyses. Je constate aussi que de nombreuses PME sous-estiment le rôle stratégique de l’ERP. Je partage bon nombre de points de vue que vous exposez, mais je suis plus partagé sur quelques points : - Je partage votre regard sur la standardisation des solutions ERP, cependant, ces solutions doivent malgré tout, être suffisamment paramétrables pour répondre aux processus actuels de l’entreprise, à leurs évolutions, à l'automation des tâches ... qui peut constituer un avantage concurrentiel. - Le modèle économique SaaS est très intéressant mais pas forcément adapté à toute entreprise. Il peut en outre, s’avérer très coûteux à terme. Une offre hybride (Achat de licences et Hébergement Cloud) peut être pertinente pour certaines entreprises pour garder la maîtrise de leur hébergement (prestataire, coût, lieux de stockage des données …). Au dogme du Full SaaS, je préfère la souplesse et le libre choix du client sur le stockage de ses données stratégiques. - La technologie Full-Web (vu dans vos précédents articles) est la composante essentielle d’un usage multi-device, mais peut être moins adaptée dans certains cas d’usage. Un opérateur sur une ligne de production préférera la réactivité d’une application native plutôt que le chargement d’une page Web, aussi performante qu’elle puisse l’être. Une approche multi-techno, dopée par des API sécurisées pour intégrer des composants personnalisés me semble plus appropriée et plus souple.
Responsable commercial CRM Salesforce
4 ansTout à fait aligné avec ce constat sur la numérisation des PME et l'émergence de nouvelles technologies permettant d'aborder plus sereinement un projet ERP, Philippe ATELIN qu'en penses-tu ?
Directeur associé et fondateur
4 ansBonjour Arnaud LAHOCHE, parfaitement aligné avec vous sur les lacunes des PME en termes d'accompagnement aux changements et de vision d'un ROI tangible avec un projet ERP. J'appuierai également sur votre constat du défaut de mobilisation des ressources pour un projet ERP que la direction a tendance à sous-estimer. Toutefois, par expérience, les fameux flux standards simples que vous évoquez n'existent pas (ou peu) dans la vraie vie. Si les flux de nos clients étaient si simples et faciles à digitaliser, les ERP n'existeraient pas et tout le monde serait équipé de la même macro Excel ;-) C'est justement la prise en compte de ces différences qui fait la valeur ajoutée des intégrateurs et de certains ERP.