De la vulnérabilité à la liberté

Je reçois chaque semaine de nombreux témoignages de sympathie et de remerciement. Ces messages me touchent à un point que vous ne pouvez imaginer. Deux m’ont tout particulièrement marqué cette semaine, deux femmes m’expliquant que mes écrits et mes interventions leur ont permis de ne pas tomber dans l’abîme et ont été le point de départ de leur rebond. J’en ai été profondément heureux et bouleversé je vous le dis sincèrement. Et cela m’a bien évidemment questionné sur l’impact et la finalité de mes travaux.

Je connais intimement la vulnérabilité. Je l’ai été, vulnérable, maintes fois durant mon existence, je n’ai pas de gêne à l'écrire. A 7 ans quand je n’ai conservé la vie que pour une poignée de centimètres, à la différence de mon grand frère si protecteur qui n’a pas eu cette chance à mes côtés. Durant mes années d’humanitaire dans les pays en guerre à travers le monde où le destin a étonnement choisi de m’épargner. Plus tard enfin face à la maladie qui m’a mis à terre à plusieurs reprises. Durant tous ces moments de vérité, le touché-coulé n’a pas été loin. Très proche même pour dire les choses.

Je me suis battu. Comme un chien. Seul le plus souvent, les épreuves ont cette particularité de faire le vide autour de soi. J’ai colmaté les voies d’eau comme j’ai pu, fait des erreurs, ai été maladroit et probablement injuste dans cette lutte pour la survie. J'ai fait ce que j'ai pu, les combats ultimes ont toujours des effets collatéraux. Puis, à mesure que le ciel semblait moins encombré, j’ai repris espoir et alors redoublé d’ardeur au travail, en me disant que la vie était décidément bien joueuse et, qui sait, qu'un autre avenir était possible. Les médecins m’ayant suivi durant toutes ces années m’ont souvent demandé, perplexes devant l’évolution inattendue de mon état de santé, si j’étais allé à Lourdes… Non. Mais je crois néanmoins n’avoir jamais été aussi en forme qu’aujourd’hui.

La résilience n’est pas affaire d’héroïsme. Pas même de courage au fond. Comme le dit si justement Boris Cyrulnik, « c’est l’histoire de la bagarre d’un enfant poussé vers la mort qui invente une stratégie de retour à la vie ; ce n’est pas l’échec qui est donné dès le début du film, c’est le devenir imprévisible aux solutions surprenantes et souvent romanesques ». La résilience est avant tout affaire d'action et de détermination qui se renforce jour après jour. "Déterminaction" serait un néologisme tout trouvé en somme…

En bon résilient, je n’ai parlé de rien pendant des années, des décennies même. Jusqu’au jour où j’ai compris, l’âge venant, que toute cette expérience de vie invraisemblable accumulée pouvait servir et être utile aux autres. Je me sens aujourd'hui immensément privilégié de pouvoir écrire et intervenir sur le cerveau, et tout particulièrement sur notre fabuleuse capacité à nous transformer, à évoluer, à progresser, à nous réinventer, à nous étonner, à nous sublimer. Ce n’est pas un métier, c’est une passion. Une passion et une mission. La mission de redonner au centuple ce que j’ai pu recevoir et apprendre des exceptionnelles rencontres qui ont émaillé ma vie, en particulier avec la communauté neuroscientifique pour laquelle je nourris tant d’admiration.

Cette passion m’a permis de recouvrer ma dignité et ma liberté. De vulnérable je suis devenu libre. Libre d’être atypique, libre d’être sincère et authentique, libre de développer mon activité comme je l'entends, libre de choisir mes rencontres. C’est un incroyable privilège. Et je dois cette métamorphose à un travail acharné. Quand je vois que le sujet de discussions numéro un dans notre société est de savoir si l’on doit travailler jusqu’à 62, 63 ou 65 ans, je reste toujours un peu perplexe et me dis qu’on passe complètement à côté de l’essentiel, même si je ne sous-estime pas la pénibilité physique et mentale de beaucoup de métiers où une année de plus ou de moins a toute son importance.

Le vrai sujet n’est pas dans ces considérations arithmétiques. Le vrai sujet est de savoir pourquoi vous vous levez le matin ; comprendre quel sens vous voulez donner à votre vie ; quel impact concret vous désirez avoir sur votre environnement ; quelle image vous souhaiterez laisser à ceux que vous aimez quand vous ne serez plus de ce monde… Voilà les vraies questions. Ne laissez pas votre attention, vos croyances limitantes ou vos peurs vous en détourner. C’est un combat de tous les instants à mener pour votre liberté.

Bien amicalement.

Erwan